Un bel hommage rendu au camarade André Henri.

Il y a quelques jours André Henri, leader de la lutte des travailleurs de Glaverbel dans les années 70, est mort. En 2013, suite à la parution d’un livre racontant leur extraordinaire lutte, j’ai eu la chance de le rencontrer lors d’une conférence où j’avais été amenée à commenter le livre. Voici le texte que j’avais écrit à l’époque:

« Quelle aventure passionnante de lutte ouvrière ! Merci de l’avoir racontée pour que nous puissions nous en inspirer. Merci de l’avoir menée pour que nous puissions renforcer notre conviction qu’un autre monde est possible et qu’il faut se battre pour le construire.

En ces temps de régression sociale, nous avons besoin de convictions et de forces pour empêcher le pire, l’horreur fasciste. Contrairement à ce que les gourous de la «compétitivité » nous inculquent, l’ennemi n’est pas l’autre travailleur… le Polonais, le sans papier, le musulman ou le travailleur sans emploi. C’est contre le vol de notre richesse par les détenteurs de capitaux qu’il faut se soulever et renouer avec l’histoire du mouvement ouvrier. Même si c’est dur, même si le discours patronal s’infiltre dans nos esprits, même si le chômage de masse rend le rapport de force difficile, même si les médias dominants jouent contre nous, nous devons, comme les travailleurs et travailleuses du verre, nous battre avec détermination et persévérance. Nous n’avons pas d’autre choix. Mais comment tenir sur la longueur ? rassembler massivement ? construire espoir et dignité ? et au final,… gagner ? Le récit d’André Henry nous donne des pistes. En voici quelques-unes. A nous de les adapter au contexte actuel, d’en tirer du souffle pour nos combats présents et à venir.

Politiser l’action syndicale et construire une conscience de classe:
Les travailleur/ses ont des intérêts de classe qui dépassent largement la sphère de l’entreprise ou du secteur, où par ailleurs, avec la concentration du pouvoir économique, leur pouvoir se dissout. Seuls créateurs de richesse, ils et elles ont la tâche et le pouvoir de mettre l’économie au service des intérêts collectifs plutôt que d’être eux-mêmes au service de l’enrichissement des actionnaires. Les actions syndicales doivent construire le chemin vers la société à laquelle nous aspirons. Pourtant, aujourd’hui, alors que les attaques contre les travailleur/ses touchent tous les secteurs professionnels, tous les domaines de la vie et toutes les catégories de travailleur/ses, un courant encourage le repli corporatiste et l’enlisement dans la technicité. Retenons les leçons des verriers et ramons collectivement à contre-courant. Ce n’est qu’avec un front très large que nous pourrons affronter le capitalisme.

Appliquer la démocratie comme règle d’or de l’organisation:
Les personnes concernées doivent être celles qui décident. Pour qu’elles le fassent en connaissance de cause, elles doivent être bien informées. Fini la stencileuse de «la Nouvelle Défense », aujourd’hui nous avons des moyens technologiques plus pratiques. Mais le contexte ne facilite pas tout, c’est plus difficile qu’avant d’organiser de larges assemblées délibératives. Le développement des services a dispersé les travailleur/ses et les Maisons du Peuple n’occupent plus les mêmes fonctions. A nous d’imaginer des espaces de débats et de décisions dans et hors de l’entreprise, articulés entre eux, et connectés aux réalités concrètes des travailleur/ses. Le livre raconte aussi comment garantir la démocratie de l’action syndicale au travers d’élections avec mandat révocable et, en cas de lutte, par l’organisation de comités de grève. Si tout est construit dans la recherche d’égalité, sans déposséder qui que ce soit de son pouvoir de décision, les travailleur/ses expérimentent leur pouvoir. C’est le chemin de l’émancipation collective.

Construire des actions combattives:
Malgré l’urgence, il nous faut envisager les actions sur la longueur. Pour éviter l’activisme et contribuer à inverser le rapport de force, les stratégies et les formes d’action doivent être bien pensées. Elles doivent parvenir à mobiliser massivement. Aujourd’hui, les manifestations « promenades » n’illusionnent plus personne. Utilisant le slogan « ça ne changera rien », certains troqueraient la lutte par le lobby au lieu de reconnaître le bilan désastreux de la concertation sociale depuis 30 ans.

Le combat des verriers rappelle qu’il n’y a pas eu de conquêtes sociales sans luttes, des grèves massives avec occupation, des grèves générales… Sans actions combattives massives, la concertation ne peut que desservir les travailleur/ses. Seules les actions sur l’outil économique peuvent contraindre les patrons à accepter des revendications contraires à leurs intérêts. La lutte organisée des travailleur/ses a, plus que jamais, tout son sens.

Oser des revendications mobilisatrices et profondément à Gauche:
Pour donner des perspectives mobilisatrices, loin de la moralisation du système capitaliste intrinsèquement destructeur, il est important d’oser aller à l’opposé des politiques actuelles. Certains peuvent nous traiter d’irresponsables ou d’utopistes, ça n’a pas d’importance. Nos revendications doivent être construites collectivement et susciter l’adhésion. Face au détournement des gains de productivité et au chômage de masse, reprenons la revendication d’une réduction collective du temps de travail. Face à la destruction des services publics et aux privatisations, exigeons au contraire leur développement sous contrôle des travailleurs et des usagers. Face aux dégâts sur l’environnement et à l’accaparement des ressources, revendiquons la reconversion des travailleurs pour préparer la transition écologique. Sur cet aspect, c’est à la fois impressionnant d’apprendre que les travailleurs de Glaverbel en étaient déjà conscients en 1979 et il était révélateur que certains partis politiques aient bloqué leur projet public d’isolation de l’habitat. Face au détournement de la démocratie représentative par les intérêts financiers, nationalisons le secteur bancaire. Face aux licenciements massifs « malgré » les cadeaux intarissables au patronat, réquisitionnons les entreprises et menons-y des expériences d’auto-gestion. Tout devrait pouvoir, au minimum, être redébattu face aux régressions sociales et démocratiques en cours.

La lutte à Glaverbel – Gilly a ceci de fabuleux que la manière de la mener fut en parfaite cohérence avec les objectifs qu’elle poursuivait. Elle dessine les contours du monde à construire.

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Myriam Djegham, secrétaire nationale de la CNE

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