
Auteur, entre autres, de « Je hais le foot » (Lormont, Au Bord de l’Eau, 2015), Claude Javeau ne communie pas à la « grand-messe » du ballon rond qu’est la Coupe du monde. Il dénonce tous les excès qu’elle entraîne. Mais il tient aussi à faire la distinction entre l’événement planétaire, résolument commercial et aux relents nationalistes, et le sport en lui-même.
Dans un pays pas très grand, membre fondateur de l’Europe des marchés en 1957, sévit pour la seconde fois en moins d’un lustre une étrange maladie aux relents nationalistes. Il y a pourtant belle lurette que ce pays n’est plus à vrai dire une nation, au sens que Renan donnait à ce terme. Ces relents, il les doit à une idole toute ronde, pas très grosse, un ballon de foot. Courant après lui sur du gazon frais, un nombre restreint de joueurs composant l’équipe dite nationale, sont censés remporter un assez vilain trophée en participant à la Coupe du monde, laquelle se tient cette année dans un pays connu pour son respect des normes démocratiques, la Russie. Et cela, pas de manière gracieuse, cela va sans dire.
Drapeaux, masques, écharpes
Regardons-y d’un peu plus près. L’équipe dite nationale est constituée au sein du rassemblement de 23 personnes, dont une seule « évolue », comme on dit, dans un club établi sur le sol belge, en l’occurrence Anderlecht. Tous les autres joueurs sont mercenaires dans diverses contrées qui vont de la Chine aux Etats-Unis, en passant par la France et l’Allemagne. Le sélectionneur qui les a élus, appelé aussi « national », est de nationalité catalane et ne parle aucune des deux principales langues dites encore nationales. Ses déclarations publiques se font en anglais. Ce brave homme ne fait du reste que suivre un mouvement général d’anglicisation, dont même feu l’Orchestre dit « national » de Belgique n’a pas été immunisé, devenant ainsi le Belgian National Orchestra.
Depuis quelque temps déjà, les trompettes de l’enrégimentassion du peuple sont embouchées. Tous les citoyens sont sommés de « se proclamer Belgium » et de suivre soit in situ, soit sur les étranges lucarnes les exploits de nos vaillants mercenaires censés être belges (pour certains, c’est plutôt depuis peu). Drapeaux, masques, écharpes, gadgets divers aux couleurs « nationales » sont ainsi mis en vente comme en 2014. De curieux sauvages barbouillés de tricolore envahissent les petits écrans, sur lesquels les vicissitudes liées au moindre bobo que leurs héros ont chopé font l’objet de commentaires dignes des plus sérieuses crises politiques internationales.
« Foot-bizness »
Tant à la télé qu’à la radio et dans des journaux même dits « sérieux », la Coupe du monde est commentée, ses héros loués ou vilipendés, les sommes dépensées étalées sans vergogne. Les « Diables rouges » sont très plantureusement rémunérés, ceux qui veillent sur leurs carrières aussi. Le foot est un bizness, et malheur à celui qui s’en plaint : il méprise le peuple, celui qui ne s’intéresse pas qu’à la beauté du jeu et aux joies qu’il engendre, quitte à le parer des oripeaux d’une Nation réinventée pour la circonstance.
On aura beau répéter sur tous les tons que le foot, comme pas mal d’autres sports, n’est que magouilles, dopage, marché d’esclaves (richissimes, mais esclaves quand même), corruption, etc., rien n’y fera. La masse populaire suivra tous ceux qui font du foot un des plus grands scandales planétaires, encouragés par des intellectuels au demeurant parfois estimables, mais obnubilés par la pacotille sentimentale nécessairement associée aux dérisoires sagas du ballon rond. Ainsi préparait-on jadis les peuples à la guerre. On les prépare aujourd’hui à une lobotomie volontaire, comme la servitude du même nom.
Qu’on m’entende bien : c’est le foot que je voue aux gémonies, pas le football, jeu agréable tant à pratiquer qu’à regarder, mais malheureusement gangrené jusqu’à l’os, même aux petits niveaux où l’on n’ose plus désormais parler d’ « amateurisme ».
Claude Javeau, Professeur émérite de l’ULB
Extrait du Soir.
A reblogué ceci sur Roger Romain de Courcelleset a ajouté:
Le foot, …
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