La justice belge manque de personnel et subit des pressions politiques, et elle peine à boucler certaines enquêtes sur des affaires de corruption au sein des institutions européennes.

Les policiers et les magistrats belges qui enquêtent sur des affaires touchant les institutions européennes sont débordés, alors que l’Union leur demande d’intensifier leurs efforts.
Devant le Parlement belge, le ministre de l’Intérieur Bernard Quintin a reconnu jeudi dernier la gravité de la situation. Ce dernier a expliqué aux députés que seuls 35 agents étaient affectés au bureau belge de lutte contre la criminalité économique et financière organisée, et que la moitié de la charge de ces policiers était liée aux enquêtes menées par le parquet européen (EPPO).
L’unité anti-corruption est à peine mieux dotée, avec seulement 64 enquêteurs pour tout le pays, a-t-il ajouté.
Alors que Bernard Quintin a insisté sur le fait que « la lutte contre la corruption et la fraude est une priorité absolue », la cheffe de l’EPPO, Laura Kövesi, a lancé en début de semaine dernière un avertissement bien plus urgent. Dans une interview accordée à De Standaard et au Soir, elle a décrit la Belgique comme une plaque tournante de la criminalité financière organisée, alors même que les actions du pays pour s’attaquer à cette menace sont selon elle une « plaisanterie ».
« Ce n’est plus seulement un problème belge », a-t-elle déclaré. « Les groupes criminels utilisent la Belgique comme une plate-forme pour leurs opérations. Et en tant qu’hôte de la plupart des institutions de l’UE, elle porte une responsabilité particulière ».
L’EPPO conduit actuellement 79 enquêtes, y compris des enquêtes sur des affaires politiquement sensibles comme le Pfizergate, qui implique Ursula von der Leyen, ou l’utilisation abusive de fonds européens par certains membres du Parlement. Parmi ces derniers, le Parti populaire européen (PPE) – le groupe politique le plus puissant de l’hémicycle -, le défunt groupe d’extrême droite Identité et Démocratie (ID), ainsi que plusieurs autres députés européens.
La qualité et la confidentialité des enquêtes belges font également l’object de vives critiques. Le mois dernier, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, s’est engagée à revoir les procédures de levée de l’immunité parlementaire avec la police belge, suite à des plaintes selon lesquelles la réputation des eurodéputés serait ternie par des accusations peu convaincantes et rendues publiques avant d’avoir été sérieusement documentées.
Cette critique a été reprise par des députés européens la semaine dernière, alors qu’ils débattaient de la levée de l’immunité de certains de leurs collègues, lors d’une réunion à huis clos de la commission des affaires juridiques du Parlement.
Selon trois personnes au fait des discussions, le PPE, les socialistes et les libéraux ont exhorté les autorités belges à étoffer leur dossier et à fournir des preuves plus sérieuses. Ces trois groupes ont des eurodéputés impliqués dans l’enquête du Huawei-Gate.
Le malaise qui entoure la justice belge est aussi renforcé par ses antécédents peu glorieux. Le scandale du Qatargate, qui avait révélé en 2022 un réseau d’influence lié à des puissances étrangères comme le Maroc et le Qatar, n’a toujours pas été jugé, en raison de contestations juridiques internes qui ont retardé l’enquête.
En coulisses, les responsables belges expliquent d’ailleurs que leur pays ne peut seul prendre en charge toutes les enquêtes qui concernent des affaires de corruption internationale.
L’ancien premier ministre belge Alexander De Croo a soutenu l’extension de l’autorité de l’EPPO en 2024, avec l’appui de certains pays de l’UE. L’idée fait son chemin au Parlement, alors que des discussions politiques sur la refonte de l’architecture anti-fraude de l’UE sont en cours.
L’année dernière, un rapport très critique de l’OCDE a mis en évidence les défaillances systémiques du système judiciaire belge. Depuis 2016, le pays n’a obtenu que trois condamnations pour corruption transnationale, impliquant cinq personnes – et aucune entreprise n’a jamais été sanctionnée. Le rapport ajoute que nombre d’affaires récentes se sont soldées par des acquittements, en raison de retards de procédure.
Le rapport a également mis en évidence de graves problèmes de capacité : Les juges d’instruction de Bruxelles traitent en moyenne 150 affaires chacun, et seuls trois procureurs fédéraux sont affectés aux affaires de corruption transnationale – une charge de travail qualifiée d’insoutenable par les magistrats.
Interrogé sur le manque de personnel au sein de la police, un porte-parole du ministre belge de l’intérieur a déclaré : « Nous allons intensifier le recrutement et la formation de nos officiers de police. C’est une priorité ».
De son côté, le porte-parole du ministre de la justice a déclaré que « des efforts importants ont été déployés ces dernières années pour remettre ce service spécialisé à niveau », ajoutant que les enquêteurs étaient difficiles à recruter et à conserver. Il a également indiqué qu’il était en contact avec l’EPPO.
Nicoletta Ionta a contribué au reportage.
Extrait de Euractiv