
Dans le triangle formé par les localités de Morialmé, Florennes et Saint-Aubin, la campagne est très jolie, surtout quand s’annonce le printemps ou que, l’automne arrive. A ce moment, les arbres prennent leur parure aux couleurs les plus chatoyantes. Il doit faire bon vivre dans cette région de l’Entre-Sambre et Meuse, du moins, le croit-on. Il n’en fut pas toujours de même au 18 ème siècle où tout n’était pas rose pour la population rurale. Le pénible labeur des minières de fer n’enrichissait pas les ouvriers. Ils devaient parcelliser leurs maigres picaillons à l’extrême pour parer à l’éventualité des fins de mois difficiles où la faim et la maladie étaient le plus souvent au rendez-vous.
Pour les journaliers des campagnes, la vie n’était pas plus douce. Il fallait aussi trimer pour gagner de quoi garnir un tant soit peu l’estomac des petits enfants qui réclamaient leur pitance. Pourquoi sommes-nous si pauvres pensaient-ils ? Des richesses, il y en a. Les gens, propriétaires terriens ont leur escarcelle bien rembourrée. Les granges sont remplies et les salaires regorgent de viande. Les maîtres des forges et les exploitants des mines de fer ne sont pas sans rien, eux non plus. Leur bas de laine doit certainement avoir plusieurs aunes de longueur.
Oh, pourquoi cette injustice ? Faut-il attendre, âmes pures que nous sommes, la béatitude éternelle de l’au-delà comme nous le promet toujours notre pasteur dans ses sermons ? Pourquoi ne pas partager les biens de la terre maintenant ?
Après une journée éreintante, lorsque le soir donne quelques instants de répit, ces idées agitent parfois le cerveau de ces gens d’habitude si résignés. Mais, à quoi bon, le lendemain, la triste réalité est de nouveau là. Mieux vaut ne pas y penser.
Pourtant au début du 18 ème siècle, deux femmes trouvèrent la solution et s’appliquèrent à concrétiser ce rêve. Prenons l’argent là où il se trouve dit un slogan cher aux syndicalistes de notre époque. Marie et Thérèse allaient le mettre en pratique au début des années 1700.
Marie Roty et Thérèse Authier, femmes de tête et résolues, originaires de Saint-Aubin, elles connaissaient toutes les habitudes de la région. Elles savaient où dénicher les plus décidés, ceux qui seraient les plus faciles à convaincre. Dans leur famille et leurs proches, ça ne manquait pas. On n’attendait qu’un chef (ou une cheffesse) dirions-nous aujourd’hui pour respecter notre nouvelle règle du féminin.
La Marie avait du cran et de l’audace et son amie Thérèse la secondait à merveille. On avait de l’admiration pour ces femmes. Plus d’un les aimait en secret mais nul n’aurait osé proclamer sa flamme tant elles en imposaient. Elles réunirent bientôt une petite troupe et on ne tarda pas à se mettre en action. D’abord timides et hasardeuses, les expéditions devinrent mieux organisées, plus fréquentes et plus osées. On écumait toute la campagne. La peur s’installait chez les gros, repus. Dès que la bande arrivait, les victimes s’empressaient de satisfaire leurs exigences. C’est qu’il ne faut pas longtemps pour bouter le feu à une ferme.
Quand la traque devenait trop serrée, il y avait l’inextricable fouillis du Bois des minières de Saint-Aubin où on se cachait en attendant des jours plus calmes. C’est que la bande était activement recherchée. On avait affaire à de véritables brigands.
Et la morale chrétienne, là-dedans ? « Arrière, curé, nous n’avons que faire de tes sermons, nous savons que notre âme est damnée mais nous ne craignons ni Dieu ni diable. Nous rendons la justice à notre façon et votre morale n’a pas cours chez nous. » clamait cette inconsciente Marie, déjà mûre pour les futurs tourments éternels.
Pour le prouver, nos aventurières mijotèrent un coup dont on reparlera longtemps encore. Il s’agissait ni plus ni moins, que de s’attaquer à l’abbaye de Florennes, pourtant puissante à l’époque. Le jour fixé, la place fut rapidement investie et là, comme ailleurs, la crainte d’un irréparable incendie, conseilla aux religieux de s’exécuter promptement. Une importante somme d’argent fut remise aux brigands. Après ce coup fumeux, la bande s’évapora dans la nature comme si de rien n’était.

Rue du Cheslé à Saint-Aubin.
Le coup fut réussi, mais pour les seigneurs, le clergé et les nantis, c’en était de trop. Il fallait, une fois pour toutes, mettre le paquet. Un conseil décida de lever une troupe puissamment armée pour mettre fin à ces brigandages. Un dispositif de ratissage fut mis en place et nul ne pourrait y échapper. L’étau se refermait, les caches se faisaient rares et bientôt la bande de hors-la-loi tomba dans une embuscade et fut capturée. Le jugement de la cour de justice de Florennes fut rapide ainsi que la sentence. Ils furent tous pendus au lieu-dit le Cheslé, un petit promontoire situé derrière le parc des ducs entre Florennes et Saint-Aubin. L’endroit est des plus sinistres. Un lieu où se dressent des gibets est toujours sinistre, dira-t-on.
Devant ceux-ci, Marie Roty, d’habitude si crâneuse, eut peur de la mort. C’est la stoïque Thérèse Wauthier qui la soutint moralement et lui dit : « Courage, Marie, cinq minutes de souffrances seront vite passées ». Les cadavres furent brûlés et les cendres dispersées.
Il faut replacer les faits dans le contexte du 18 ème siècle. Ont-elles voulu rendre gorge aux exploiteurs ou devinrent-elles des femmes brigands à la seule fin de s’enrichir ? Seule une étude approfondie et sérieuse des archives de l’ancien abbé Simon Nanquin de Florennes pourrait y répondre.
Pour ce curé qui relate l’histoire, la chose est définitivement classée. Ces criminelles, infâmes suppôts de Satan et leurs acolytes ont eu le sort qu’ils méritaient : le mort.
Au Cheslé en 1908, lors de la construction de la ligne de chemin de fer Florennes Walcourt, actuellement désaffectée, monsieur Lesire trouva une pièce fort belle, en argent, à l’effigie d’un empereur romain du premier siècle. Provenait-elle d’une cache de ces brigandes ?
Ecrit par Roger Nicolas, le 18 mars 1994.