Nationaliste flamand, fan de la Rome antique et obsédé par le « wokisme » … Qui est Bart de Wever, le nouveau premier ministre Belge ?

Le « pays le plus raté du monde »

Il y avait bien quelque chose de baroque à voir Bart de Wever et son fils parader avec un étendard romain à peine les résultats des élections communales livrés, en octobre dernier. Auréolé d’un aigle, le sigle romain « le Sénat et le Peuple romain » (SPQR) a néanmoins été adapté à la sauce flamande « SPQA » pour Anvers dont il est l’édile depuis 2013.

« Rome a gagné, la liberté a gagné, la prospérité a gagné, Anvers se pare d’or et de jaune », a-t-il claironné en référence à la couleur de son parti Nouvelle Alliance Flamande (N-VA, nationaliste). L’emblème romain provient de la collection personnelle du nouveau premier ministre. Celui qui a pris ses fonctions ce lundi 3 février, huit mois après les législatives, nourrit une passion sans borne pour la Rome antique, largement instrumentalisée par les idéologues d’extrême droite depuis Charles Maurras.

L’obsession de Bart de Wever pour les empereurs de l’Antiquité a de quoi faire frémir. Son bureau déborde de livres qui y sont consacrés et de pièces romaines. Lui arpente les tribunes en agitant le spectre d’une civilisation européenne sous la menace. Lorsqu’en 2016, un directeur d’usine est décapité en Isère par un islamiste, le bourgmestre d’Anvers tweete en latin « Hannibal ad portas » (Hannibal à nos portes). Fils d’un cheminot d’extrême droite, le premier ministre multiplie les parallèles entre l’histoire ancienne et l’actualité.

Si elles résonnent joliment, elles n’en sont pas pour autant pertinentes. « La Pax Romana, qu’Auguste a inaugurée, ce sont presque cinq cents ans de prospérité et de tranquillité en Europe. Moi, je ne suis pas sûr que l’Union européenne va connaître cinq cents ans de tranquillité. Et l’unité de l’Europe était plus profonde à son époque qu’à la nôtre », livrait-il au magazine wallon Wilfried. La fascination pour le colonialisme et l’impérialisme romain sont des ressorts connus à l’extrême droite dont son parti ne se revendique pourtant pas, malgré l’étanchéité de la frontière avec le Vlaams Belang.

Nationaliste et indépendantiste flamand, le nouveau chef du gouvernement dit Arizona, en référence au drapeau de l’État américain bleu, rouge, orange, a néanmoins une histoire familiale qui pèse lourd. « Son grand-père était cadre du VNV (la Ligue nationale flamande, NDLR), le parti aux ordres des nazis en Flandre. Ses parents, militants à la Volksunie (le grand cartel nationaliste jusqu’en 2001), louaient des locaux au VNJ, les jeunesses d’extrême droite flamande », note l’historien Adrian Thomas. Selon le site belge d’investigations Apache, Bart De Wever se rend sur la tombe de son père après chaque scrutin, preuve que « la vision politique du bourgmestre d’Anvers a, en grande partie, été structurée par les convictions nationalistes flamandes de son père et de sa famille », note le journaliste Georges Timmerman.

Né en 1970, Bart de Wever fait ses classes au sein du cercle étudiant catholique (Vlaams Hoogstundenten Verbond, KVHV), vivier de cadres de la N-VA et du Vlaams Belang. Comme d’autres à droite de l’échiquier, il considère qu’un « nihilisme identitaire » s’est emparé de la Flandres après mai 1968. Le racisme n’est jamais bien loin : « les gauchistes de mai 68 embrassent désormais le port du foulard comme symbole d’égalité », jure-t-il. Son obsession du « wokisme », auquel il consacre un livre, va dans le même sens. En 1993 et 1994, l’historien en formation prend les rênes de la revue Ons Leven du KVHV à l’université catholique de Louvain, avant d’entamer une thèse sur le mouvement nationaliste flamand d’après-guerre.

Deux ans plus tard, il se rend à une conférence du patriarche du Front national français, Jean-Marie Le Pen, de passage dans un cercle de débat d’extrême droite. Lorsque les archives refont surface en 2007, il tempère la portée politique de sa démarche : « J’avais juste fini mes études et je pensais que c’était une occasion unique de pouvoir entendre Le Pen, qui était à l’époque un personnage de poids dans la politique française. Je suis un légaliste, avec des convictions démocratiques, mais j’ai une conception anglo-saxonne de la liberté d’expression : dans une démocratie, tout le monde doit être libre d’exprimer son opinion, même si c’est une opinion que je déteste. Et je préfère toujours avoir une information de première main que de manière filtrée. »

La N-Va, qu’il préside, n’a jamais hésité à ouvrir ses portes aux figures de l’extrême droite régionale. L’ascension de Bart de Wever témoigne des digues qui ne cessent de sauter en Europe pour la formation d’alliances de toute la droite sur le modèle prôné par Giorgia Meloni en Italie et Marion Maréchal en France. Le voilà désormais à la tête du « pays le plus raté du monde », selon sa propre expression.

Lina Sankari

Extrait de l’Humanité

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