Le dimanche 6 avril, l’Allemagne commémore les 80 ans de la libération du camp de concentration de Buchenwald. Situé à quelques kilomètres de Weimar, ce camp nazi a vu passer environ 250.000 détenus, dont plus de 56.000 sont morts sous la torture, les expériences médicales ou les conditions inhumaines de détention. Plus de 4200 Belges y ont été internés durant la Seconde Guerre mondiale.
Le camp de Buchenwald reste aussi dans les mémoires pour un acte de bravoure : la résistance organisée par les prisonniers politiques.
Création du camp

Rue des Nations, monument sur le mont Ettersberg, mémorial Gedenkstaette Buchenwald, ancien camp de concentration de Weimar, Thuringe, Allemagne
Créé en juillet 1937, Buchenwald sert initialement à l’enfermement des opposants politiques au régime nazi. Cependant, en novembre 1938, à la suite de la Nuit de Cristal, environ 10.000 hommes juifs sont arrêtés par les SS et la police allemande, puis envoyés à Buchenwald. Là, ils sont soumis à des violences extrêmes : près de 255 d’entre eux meurent en raison des traitements inhumains subis.
Mais les Juifs et les adversaires politiques du régime ne sont pas les seuls emprisonnés dans ce camp, observe le United States Holocaust Memorial Museum. Les SS y enferment également des récidivistes, des Témoins de Jéhovah, des Roms et des Sinti (Tsiganes), ainsi que des Allemands accusés de désertion. Buchenwald se distingue par le fait qu’il comptait aussi parmi ses prisonniers des « fainéants », des personnes que le régime considérait comme « asociales » parce qu’elles ne pouvaient pas ou ne voulaient pas trouver d’emplois rémunérateurs.
Dans les phases ultérieures du camp, les SS incarcèrent également des prisonniers de guerre de différents pays, des résistants, d’anciens responsables de gouvernement de pays occupés par l’Allemagne et des travailleurs forcés étrangers.
Les premiers détenus belges arrivent dès 1940, rappelle le centre belge d’expertise sur l’histoire des conflits du 20e siècle, le CegeSoma. Ceux-ci sont soit des travailleurs volontaires en rupture de contrat, soit des requis au travail obligatoire. Il s’agit alors de détentions décidées en guise de sanctions. Certains sont relâchés, mais à partir de 1943, puis massivement en 1944, les déportations s’intensifient. Entre mai et août 1944, plus de 3000 Belges — majoritairement des résistants communistes ou socialistes — sont envoyés à Buchenwald. Au total, ils seront 5745.
« Comité international »
Le camp est surtout connu pour l’organisation clandestine mise en place par les prisonniers politiques, communistes pour la plupart. Dès 1941, les déportés forment en effet une organisation militaire qui deviendra le « Comité international », composé de représentants élus de chaque nationalité présente dans le camp.
Il mène des opérations de sabotage, collecte des renseignements sur l’extérieur et fait entrer clandestinement des armes. Leur combat ne s’arrête pas là : l’un de leurs objectifs était de protéger les enfants internés dans le camp, juifs pour la plupart.

Le groupe figuratif de Fritz Cremer et le clocher sont photographiés sur le site commémoratif du camp de concentration nazi de Buchenwald, près de Weimar, dans l’est de l’Allemagne.
Protection des enfants
Les premiers enfants et adolescents arrivent au camp de Buchenwald à la fin de l’année 1938, à la suite de persécutions visant les Tziganes et les Juifs. Par la suite, leur nombre augmente, en particulier avec les déportations venues d’Europe de l’Est et de Russie.
Malgré leur jeune âge, ces enfants sont contraints au travail forcé, affectés aux kommandos dépendants du camp principal. Walter Barel, le président du Comité clandestin international, témoigne auprès de l’Institut international pour la mémoire de la Shoah, Yad Vashem : « Les enfants doivent se lever comme nous à 5 heures du matin et rester debout sur la place d’appel par temps de neige ou sous la pluie dans le vent glacé et par grand froid ».
Considérés comme inutiles par les SS, ces jeunes reçoivent des rations réduites. Pour les protéger, le Comité de résistance propose de les regrouper dans un bâtiment à part, officiellement pour leur inculquer la discipline allemande. En réalité, cela permet de les éloigner de l’influence néfaste de certains détenus adultes, parfois criminels. Le Bloc 8 est alors mis en place dans une ancienne zone d’isolement, échappant aux appels quotidiens. Les résistants s’efforcent d’y améliorer leurs conditions de vie : vêtements chauds, meilleures rations, travaux moins pénibles, et partage des colis envoyés par la Croix-Rouge.
En janvier 1945, alors que les camps de l’Est sont progressivement libérés, de jeunes survivants âgés de 7 à 20 ans — passés par les ghettos, les camps d’extermination et les marches de la mort — arrivent à Buchenwald. Un nouveau bloc leur est attribué : le Bloc 66. On y retrouve le même esprit de solidarité. Environ 800 enfants y reçoivent aide, nourriture et soutien.
Résistance face aux marches de la mort
Buchenwald est, peu avant la libération, le plus vaste camp de concentration encore en fonctionnement. À la fin du mois de février 1945, on y compte environ 112.000 détenus répartis entre le camp principal et ses 88 camps satellites, dont 25.000 femmes. Le nombre de prisonniers a considérablement augmenté à partir de la fin de l’année 1944, en raison l’évacuation progressive du camp d’Auschwitz. Cette surpopulation, combinée à des conditions de détention de plus en plus inhumaines, entraîne la mort de près de 13.000 personnes.
Au début du mois d’avril 1945, près de 48.000 personnes sont encore internées à Buchenwald. Mais bientôt, l’avancée des troupes américaines provoque la panique parmi les SS, qui commencent l’évacuation du camp le 7 avril. Ils la poursuivent jusqu’au 10 avril.
Roger Arnould, résistant français déporté à Buchenwald, racontera plus tard, dans un témoignage diffusé sur Radio France en mai 1965 : « La dernière évacuation, celle du 8 avril, est peut-être l’une des journées les plus terribles de l’histoire de Buchenwald. Nous avons vu partir non seulement les meilleurs groupes des prisonniers de guerre soviétiques mais également, du point de vue des Français, tous nos meilleurs camarades des blocs 26 et 10 qui ont été emmenés, ce qui a affaibli l’organisation de la résistance dans le camp. »
« On est tous montés sur la place d’appel, il y avait 400 hommes des troupes rangés devant nous. Tous les blocs rassemblés là », se rappelle-t-il avec émotion. « À l’époque, il y avait peut-être encore 40 ou 50.000 détenus dans le camp, qui avait déjà été bien vidé depuis plusieurs jours. Et ils ont commencé à évacuer les blocs qui se trouvaient les plus près de la porte. On a bien essayé d’empêcher, de retarder mais on n’a pas pu empêcher que ces blocs soient emmenés, il y avait trop de forces autour d’eux. Mais tous les autres, on a essayé de faire un mouvement de repli, qui a été une opération remarquablement bien menée et qui a empêché qu’il y en ait encore davantage qui partent. »
Malgré ces entraves à l’exécution des ordres nazis, quelque 28.000 détenus sont contraints de partir à pied dans des marches de la mort vers d’autres camps, notamment ceux de Dachau, Flossenbürg et Theresienstadt. Un prisonnier sur trois n’y survivra pas, abattu ou mort d’épuisement. Environ 21.000 détenus, dont plus de 600 Belges, restent dans le camp.
Libération du camp

Entrée du camp
Le 11 avril 1945 à 10 heures, rapporte le Mémorial de Buchenwald, alors que l’armée américaine approche, les SS reçoivent l’ordre de quitter le camp. Vers midi, tandis que les gardes abandonnent les miradors, les officiers SS en chef prennent la fuite.
Sentant la fébrilité des Allemands et forts de plusieurs années de préparation, les résistants du « Comité international » se mobilisent et commencent à distribuer des armes cachées. Roger Arnould est l’un d’eux. « Après plusieurs hésitations dans la matinée, sur le coup de 11h30-midi, le comité international a enfin donné l’ordre de passer à l’insurrection armée, ce que nous réclamions déjà depuis plusieurs jours », raconte l’ancien prisonnier sur les ondes de Radio France.
« Nous savions bien que nous ne recevrions pas un stock d’armes considérable. Nous avons donc envoyé notre compagnie de choc […] au point de rendez-vous convenu, derrière le bloc 50, où se trouvait un tas de charbon. […] On a déterré les armes. On n’a évidemment pas eu le temps de vérifier la part qui était donnée à chaque nationalité. Pour notre part (ndlr, les Français), nous avons reçu 28 fusils et les munitions en conséquence, une mitrailleuse, une caisse de grenades, des bazookas, etc. […] Pendant ce temps, on mobilisait les sections des autres bataillons, qui suivaient derrière, sans armes. »
Vers 14h30, l’opération de libération du camp par le « Comité international » commence, tandis que les chars de la 4e division blindée traversent le complexe SS, sans rencontrer de résistance. À 16 heures, les détenus ont déjà pris le contrôle total du camp. Environ une heure plus tard, les soldats américains de la 6e division blindée sont les premiers à atteindre le camp.
Buchenwald est libéré conjointement par ses propres prisonniers et par les soldats américains. 21.000 prisonniers retrouvent la liberté, dont environ 900 enfants et adolescents.
Depuis la fondation du camp en juillet 1937, plus d’un quart de million de personnes originaires de plus de 50 pays ont été déportées au camp de concentration de Buchenwald ou dans l’un de ses camps annexes : 249.570 hommes et garçons et 28.230 femmes et filles. Âgés de 2 à 86 ans, beaucoup n’ont pas survécu. Environ 56.000 y ont laissé la vie, selon le United States Holocaust Memorial Museum. Ce n’est qu’une estimation car les autorités du camp n’ont pas tenu de registres précis.
Par Cynthia Deschamps
Extrait de RTBF.be