Mineur de fond : un métier harassant, dangereux

Nous voilà arrivés en 1944, un fort convoi de prisonniers russes arriva à Beringen. On les fit descendre au fond et chaque Belge fut accompagné de 5 prisonniers. On nous avait envoyé dans une taille de 1 m 50 d’ouverture qui avait été préparée pour mettre les prisonniers au travail. Nous devions veiller à leur sécurité ainsi qu’à la nôtre. En boisant au fur et à mesure de l’avancement, ils venaient au travail sans pain. Ils avaient juste un flacon d’eau. Nous leur apportions quelques poires ou pommes mais ce qui les intéressa le plus, c’était l’avancée des troupes allemandes en URSS.

Tous les jours, ils nous disaient : « Papa Staline nie kaput ! » Le jour où nous leur annonçâmes la capitulation du général von Paulus avec 80 de ses généraux et une armée entière devant Stalingrad, ils se sont mis à danser. Mes frères et moi avons arrêté le travail avec eux. Soudain un ingénieur arriva en gueulant que nous étions des saboteurs et qu’il nous punirait. Bien sûr, au carré, les Russes nous faisaient des gestes pour aller avec eux. Tout à coup, un grand type arriva sur nous. C’était un chef porion et pour notre punition, il nous envoya tous les trois dans la petite taille de 40 à 50 parfois 60 cm. Comme c’était du charbon anthracite, il était bien dur à abattre.

Ce jour-là, il s’est produit un coup de poussière dans la taille où étaient occupés nos camarades russes et flamands. Les moniteurs et le personnel de maîtrise belge étaient tous blessés plus ou moins gravement. Six Russes sont morts à l’hôpital. Ils étaient couverts de brûlures sur tout le corps. Notre punition nous avait donc sauvé la vie. Malgré tous les accidents que j’ai subis dans ma vie de gueule noire, j’ai toujours eu de la chance et on en avait bien besoin.

Des petites tailles, il y en avait aussi en Campine comme en Wallonie. Elles avaient de 40 à 50 cm d’ouverture. Parfois quelques veines de 10 à 15 m de long pouvaient atteindre 60 cm. Bien sûr, nous avions déjà travaillé dans de petites tailles en Wallonie. Je l’ai déjà raconté pour mon travail à 14 ans au puits du Mambourg, à Jumet Hamandes mais à Beringen, il n’y en avait pas d’aussi petites comme chez nous.  Dans leurs tailles, il y avait des couloirs oscillants. Notre punition était d’être bien serrés au milieu de la taille. Pour arriver sur notre lieu de travail, nous devons nous traîner dans les couloirs lorsqu’ils étaient bien sûr à l’arrêt

La hache était accrochée à notre ceinture, la lampe au cou. Nous avions aussi le marteau piqueur avec un flexible et une pelle. Arrivés sur place, nous cherchions un petit coin entre deux piles de bois pour y déposer notre veste avec notre bidon de café et notre musette avec nos tartines.

Il fallait toujours se dépêcher pour faire un trou dans la veine pour nous y placer avant que les couloirs oscillants ne se remettent en mouvement. Pour commencer notre trou, on ne savait même pas se servir de la pelle alors les premiers morceaux de charbon étaient jetés dans les couloirs en nous servant de notre calotte.

En ce temps-là, les casques des mineurs étaient faits en cuir bouilli. Quand on avait trouvé un trou pour s’y placer, on se servait de la pelle qui était spéciale aussi. Elle était petite et toute plate. Les premiers jours, le charbon était très dur à exploiter parce qu’il était contre les étançons. Au bout de quelques jours, nous étions parvenus à faire notre havée plus large pour ne plus placer les étançons contre la veine.

Les jours suivants, nous avions déjà beaucoup plus facile pour commencer à travailler. Pour manger, nous avions difficile car bien sûr les couloirs s’arrêtaient et nous devions reculer pour passer reprendre notre veste avec notre pain et notre bidon. Nous étions allongés sur le côté dans la nouvelle havée pour manger. Pour cela, ça allait encore mais pour boire, ce n’était que tout juste pour lever notre bidon. À peu près à chaque bouchée de pain, nous devions boire un coup pour pouvoir avaler. Il ne nous était pas possible de redescendre dans la voie pour manger car les couloirs oscillants ne s’arrêtaient que 15 minutes. Et oui, c’était le temps accordé aux mineurs pour manger et nous étions à 40 ou 50 m de la voie

Ce qui était terrible aussi, c’était lorsque nous avions un besoin naturel. Il fallait aller s’allonger entre deux piles de bois. Quelle affaire pour retirer notre pantalon ainsi que pour le remettre car nous étions toujours allongés sur le dos.

En écrivant ces lignes, je me demande encore comment Il était possible de travailler dans de telles conditions. Nous avions discuté avec le chef porion puis on nous avait appelé au bureau. Là, nous avons beaucoup parlé. Nous avions demandé pour avoir une fausse voie au milieu de la taille pour que l’on puisse manger comme des hommes. Plusieurs ouvriers nous soutenaient. L’ingénieur nous avait dit que nous pouvions réclamer mais pas entraîner les autres ouvriers. Au bureau, on nous appelait les rouspéteurs de Charleroi car souvent nous rouspétions sur les conditions de travail

Dans cette petite taille, nous ne sommes restés que quelques mois car lorsque nous avons été libérés des Allemands en septembre 1944, nous avions arrêté le travail durant quelques jours. Tout de suite, après la libération, on demanda des hommes pour aller travailler dans le camp de Beverloo et je me suis engagé.

À suivre
Jean le mineur

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