Quand on parle, à Gauthier Saelens, le directeur général du Grand Hôpital de Charleroi, d’une potentielle nouvelle pandémie, comme celle du Covid-19, il n’est pas particulièrement rassurant. Ce qui l’inquiète le plus, c’est la pénurie de personnel soignant. « Si on a fait d’importants progrès en termes de connaissances pour gérer des crises comme celles qu’on a connues avec le Covid, on doit pourtant reconnaître que la situation en matière de pénurie du personnel s’est aggravée depuis cinq ans. Et je crains, malheureusement, que si on devait être confronté à une telle crise aujourd’hui, on serait plus en difficulté qu’on ne l’a été il y a cinq ans ».
Pénurie de personnel soignant
Dans le service d’infectiologie du site Les Viviers au Grand Hôpital de Charleroi, c’est le même constat. Il y a 5 ans, le service a été totalement dédié aux soins des patients atteints par le Covid-19. Toute l’équipe s’est mobilisée sans relâche. Après avoir été applaudi tous les soirs par la population, le personnel soignant s’est senti oublié. Beaucoup sont en arrêt maladie ou ont quitté la profession. Soraya Bakkouche est l’infirmière en chef du service d’infectiologie : « Il me manque deux équivalents temps plein. Cela entraîne des difficultés dans l’organisation du travail. Je n’ai pas assez de personnes en suffisance le week-end ou le soir. On se retrouve alors avec une infirmière pour quinze patients ».

Grand hôpital de Charleroi
Pourtant depuis le Covid-19, le fonds fédéral « blouses blanches » a permis de créer près de 4900 équivalents temps plein parmi lesquels on retrouve 3372 infirmiers ou infirmières. Mais certains hôpitaux n’ont pas fait d’engagements et un peu partout la cadence de travail s’est accélérée. Le risque d’épuisement émotionnel et d’arrêt de travail de longue durée a donc amplifié le manque de personnel.
D’après une étude de la Mutualité chrétienne : « Entre 2000 et 3000 lits étaient fermés sur l’ensemble des hôpitaux du pays faute de personnel infirmier (Chambre des représentants de Belgique, 2023, p. 11) et rien que dans les hôpitaux bruxellois, la fermeture de lits hospitaliers est chiffrée à 10% (ACN, 2022 ; Hellendorff, 2023) ».
En Belgique, on estime qu’il manque à peu près 30.000 infirmiers ou infirmières.
Au CHU de Liège, on vit aussi cette pénurie. Dans le service des maladies infectieuses, tout le personnel est parti depuis 2020. Il a fallu recruter une nouvelle équipe mais le service est toujours en sous-effectif.
Frédéric Frippiat est le chef du service des maladies infectieuses au CHU de Liège. À cause de la pénurie, il ne peut en principe ouvrir que 18 lits sur 30 : « Face à l’épidémie de grippe, on a été obligés à passer à 20 lits, puis 24 et maintenant 30 lits. Cela a été possible grâce à des efforts de l’institution pour nous aider à avoir du personnel temporaire. Mais c’est compliqué de prendre en charge les patients dans ces conditions, puisqu’évidemment ce n’est pas du personnel qui est forcément qualifié pour ce type de pathologie. Cela amène des grandes difficultés à exercer une médecine de proximité et des soins avec de l’humanisation ».
Marie-Hélène Beaupain, infirmière en chef confirme cette analyse : « Depuis 2020, on essuie une pénurie de personnel. Nous étions à 1800 infirmières, nous arrivons plus ou moins à 20% en moins. Nous avons comblé notre staff infirmier avec des aides-soignantes qui nous venaient des maisons de repos. Nous en avons plus ou moins 200 actuellement, mais nous ne pouvons pas compenser une infirmière par une aide-soignante ».
Le métier d’infirmier ne fait plus rêver ?
Pour Gauthier Saelens, directeur général du Grand Hôpital de Charleroi, l’hôpital seul ne peut pas améliorer l’attractivité du métier. Il faut une politique globale qui doit intégrer l’enseignement et qui s’adresse aux jeunes en quête d’un futur métier.
Les filières d’enseignement en matière de soins infirmiers n’étaient déjà pas assez attractives il y a cinq ans et force est de constater que cinq ans plus tard, il y a une baisse des inscriptions dans ces filières d’enseignement, constate-t-il avec regret. Sur le terrain aussi on le ressent. « Il y a très peu de postulants. Donc on n’arrive pas à recruter » se plaint l’infirmière en chef du service infectiologie, Soraya Bakkouche.
L’hôpital, estime Gauthier Saelens, peut cependant être attentif aux conditions de travail pour retenir le personnel. Par exemple, « on doit repenser la manière dont on rémunère les prestations irrégulières de nuit et de week-end pour donner envie à un jeune de s’investir dans ce métier alors que la société met en avant la qualité de vie. C’est un métier qui a des contraintes, mais on oublie de dire tout l’intérêt de ce métier et tout le sens qu’il peut apporter dans une vie professionnelle ».
Fragilité psychologique du personnel

CHU de Liège
La crise du Covid a laissé des traces. La majorité du personnel soignant se dit prête à retourner au combat, si nécessaire, mais avec beaucoup d’appréhension. Les décès de personnes isolées, sans famille, ont profondément marqué le personnel soignant.
Frédéric Frippiat, chef du service maladies infectieuses au CHU de Liège se rappelle avec émotion : « C’est très difficile à vivre au quotidien et les images très précises d’une morgue engorgée, c’est quelque chose qu’on n’oublie pas. Un jour en consultation, un monsieur m’a dit qu’il n’avait pas pu voir sa mère lorsqu’elle est décédée et il estimait qu’on lui avait volé sa mère. On n’oublie pas ce genre de phrases ».
Gestion du matériel et des stocks
Il y a 5 ans, les hôpitaux ont rapidement manqué de matériel au début de la pandémie. Tabliers, masques, gants, blouses, la pénurie a mis le personnel soignant dans des conditions très inconfortables et même dangereuses.
Au Grand hôpital de Charleroi, les stocks ont été revus. Comme un peu partout, il faut pouvoir tenir trois mois. Au CHU de Liège c’est toute la gestion du stock qui a été repensée. Il y a désormais un stock opérationnel et un stock stratégique. Régulièrement, une partie du stock stratégique est déversée dans le stock opérationnel pour qu’il n’arrive pas à péremption et est alors remplacé.
Olivier Thonon, infirmier en chef aux soins intensifs, estime que la crise du Covid-19 a été très instructive sur ce point : « On a la possibilité de tenir trois semaines avec notre stock opérationnel et environ trois fois plus avec le stock stratégique. Donc environ trois mois ». Après ces trois mois, les hôpitaux comptent sur les stocks stratégiques de l’État qui doivent permettent de tenir trois mois de plus.
Procédures et bâtiments adaptés
Grâce à l’expérience du Covid 19, tous les hôpitaux ont revu leurs procédures. Beaucoup ont mis en place des programmes de formation du personnel. Désormais la plupart des plans d’urgence hospitaliers intègrent l’apparition de pandémies.
C’est le cas au Grand Hôpital de Charleroi. Pour le directeur général, Gauthier Saelens, de grands progrès ont été faits. « On a été sensibilisé de manière considérable à travers cette pandémie. Et sur un plan plus technique, on est beaucoup plus prêt aujourd’hui qu’on ne l’était il y a cinq ans. »
Le site des Viviers n’était pas encore construit en 2020. Certaines adaptations ont donc pu être faites. Notamment dans le hall des urgences : « On a ajouté des installations qui nous permettent d’avoir accès à du vide, de l’air et de l’oxygène. Cela permet de traiter des patients dès le hall des urgences si besoin. On peut aussi transformer le garage en centre de tri. On doit pouvoir supporter l’arrivée d’un grand nombre de patients très rapidement. L’hôpital dispose aussi de beaucoup plus de chambres à un lit ce qui permet de gérer beaucoup plus facilement les épisodes infectieux. On peut mieux gérer les patients qu’il faut isoler. Et dans le cas actuel l’épidémie de grippe, on en voit déjà l’utilité ».
Millefeuille institutionnel
Lors de la crise du Covid-19, un facteur avait particulièrement compliqué le travail des hôpitaux : le millefeuille institutionnel belge. Les hôpitaux recevaient des instructions contradictoires des différents niveaux de pouvoirs.
Gauthier Saelens insiste sur ce point. « On a dénoncé par exemple à l’époque qu’il y avait un énorme morcellement des prises de décision en matière de santé en Belgique. Je crois qu’on doit faire le constat que, aujourd’hui, absolument rien n’a changé ».
Pour Frédéric Frippiat, il s’agira également d’un grand défi si une nouvelle pandémie devait apparaître. « Il faudra avoir une bonne communication et une bonne coordination ne fût-ce déjà qu’à l’échelon régional, mais évidemment au niveau national et international. Quand on voit les grandes difficultés qui ont existé préalablement, je ne suis pas sûr qu’on fera mieux prochainement ».
Fragilité financière
Une pandémie mettrait les hôpitaux face à de nouvelles difficultés. En effet, ceux-ci sont financés, en fonction du volume de patient, du type de patient et du niveau de sévérité de ces patients. Lors d’une pandémie, il y a moins de patients que d’habitude. Ces patients restent longtemps et ceux-ci bloquent les capacités de l’hôpital. Il y a une surconsommation du personnel. « Vous devez maintenir en dehors de l’hôpital toute une série de patients. Donc, par exemple, tout ce qui est chirurgies électives qu’on peut reporter. Et donc, même si votre hôpital est plein en termes de lits classiques, il voit quand même beaucoup moins de patients. Et donc son financement s’écrase littéralement » détaille Gauthier Saelens.
Or aujourd’hui : » Deux tiers des hôpitaux en Belgique sont en déficit, il est certain que si une pandémie arrivait dans les semaines à venir, on aurait d’énormes difficultés financières « .
Aline Delvoye
Extrait de RTBF. be