Le Congrès de Vilvorde a évité toute crispation sur la question de l’URSS. Le XXe Congrès du Parti communiste de l’Union Soviétique (PCUS) de 1956 vient ébranler bien des convictions et ne soulève pas l’enthousiasme d’Ernest Burnelle. Il approuve l’intervention soviétique en Hongrie, au nom de la lutte contre les fascistes qui veulent reprendre le pouvoir dans ce pays. Dans ses discours, Burnelle établit un parallèle avec l’intervention franco-anglaise contre l’Egypte la même année, pour dire à l’Occident qu’il n’a pas de leçons à donner. Il apprécie finalement la politique de Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du PCUS, la coexistence pacifique et la conception d’un passage au socialisme en Europe occidentale par la voie parlementaire et une succession de réformes. En 1964, le renversement de Khrouchtchev inquiète le PCB. En 1965, il sera confronté au cas « Willems », un militant envoyé en formation avant-guerre, disparu dans un goulag, réhabilité et intégré à la société soviétique, mais dont le retour en Belgique pourrait être l’occasion d’une campagne antisoviétique, ce que Burnelle ne souhaite pas.
Fin des années 1950 et début des années 1960, le PCB soutient le Front de libération nationale (FLN) algérien, le mouvement lumumbiste au Congo et la révolution cubaine avec une modération qui énerve parfois les jeunes communistes, plus pressés d’agir. Le PCB s’oppose bien entendu à la guerre menée par les Américains au Vietnam. Il combat l’appartenance de la Belgique à l’Organisation du traité Nord Atlantique (OTAN) et se méfie du processus de construction d’une communauté européenne occidentale. Quand le Parti communiste chinois développe sa critique à l’égard du « révisionnisme soviétique », Ernest Burnelle apparaît comme solidaire de l’URSS et pourfendeur de la politique maoïste. A l’époque du « printemps de Prague », il évoque la nécessité de démocratiser le socialisme mais insiste sur la souhaitable unité du mouvement communiste international et sur l’alliance nécessaire entre la Tchécoslovaquie et l’URSS. Nul ne sait comment il aurait réagi à l’intervention militaire survenue quelques jours après son décès.
Sur le plan de la politique intérieure, les élections de 1958 montrent que la nouvelle ligne n’a pas inversé la tendance. Il faut attendre celles de 1961 et surtout les élections communales de 1964 et les législatives de 1965 pour voir une embellie. Ernest Burnelle redevient député de Liège.
Le PCB récolte les fruits de son rôle dans les grèves de 1960-1961 et d’un autre ajustement de ligne. En effet, Ernest Burnelle renoue avec l’objectif d’une Belgique fédérale qui est le sien dès la veille de la guerre et qui a été abandonné au début des années 1950. Il n’oublie jamais son engagement wallon. Il partage les vues de Julien Lahaut sur l’autonomie wallonne et participe au Congrès national wallon de Bruxelles en 1948. Il est parfaitement à l’aise dans le Mouvement populaire wallon (MPW) et impulse la participation des communistes à la pétition de masse pour un référendum d’initiative populaire. Le PCB mène campagne pour le fédéralisme et les réformes de structures anticapitalistes. Burnelle est le porte-parole de la gauche syndicale wallonne. Il aspire à une nouvelle Belgique, fondée sur trois régions et non sur une séparation communautaire.

Alors que le PCB progresse en électeurs et en nombre de membres, la scission du mouvement communiste international a des retombées en Belgique. Autour de Jacques Grippa, figure importante de la Résistance, un courant prochinois se constitue. Il critique le révisionnisme du PCB et son abandon du marxisme-léninisme. Les tensions internes deviennent vives et se terminent par des exclusions au Congrès de 1963. Ernest Burnelle ne pratique pas le compromis. Pour lui, l’appel à l’unité du mouvement communiste international est une invitation à isoler la Chine. La scission reste marginale mais gêne le PCB en cette période de redressement. La direction groupée autour de Burnelle subit ensuite la fronde de René Noël, autre résistant de grande stature, qui s’appuie sur la fédération du Borinage (pr. Hainaut) et critique un rapprochement trop complaisant à ses yeux avec la FGTB et le Parti socialiste belge (PSB). Il prépare à Cuesmes (aujourd’hui commune de Mons, pr. Hainaut, arr. Mons), une alliance avec des chrétiens progressistes, l’expérience de l’Union démocratique et progressiste (UDP) est en marche.
La vision d’avenir d’Ernest Burnelle repose sur l’espoir d’une radicalisation de l’Action commune socialiste, d’une croissance parallèle du PSB et du PCB, d’une consolidation du front commun syndical avec la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et du détachement des démocrates-chrétiens liés au Mouvement ouvrier chrétien (MOC), de la droite du Parti social-chrétien (PSC).
Pour le PCB, 1965 marque une apogée. Les années suivantes voient un reflux du nombre de membres. En 1966, Le Drapeau rouge cesse sa parution quotidienne et devient un hebdomadaire. Ernest Burnelle s’inquiète du manque d’activités des cellules d’entreprise, du manque d’initiatives et d’unité intérieure, des hésitations et de la démotivation des militants. Il faut dire que le PSB se redresse et que le Rassemblement wallon est devenu un concurrent sérieux. En 1966, René Beelen, vice-président du PCB, et principal dirigeant liégeois, décède laissant un vide que sa fédération ne peut combler.
Ernest Burnelle est réélu député en mars 1968. En juin, il est frappé par une hémorragie cérébrale, en plein discours, dans son quartier d’origine, lors d’un colloque des mouvements wallons. Il a gardé un domicile à Liège et est affilié à une cellule locale, même s’il réside à Ixelles chez sa compagne, Lucienne, dite Lucette, Bouffioux, avocate, veuve d’un prisonnier politique, elle-même résistante, militante communiste depuis 1936. En raison de cet éloignement de sa cité, Burnelle n’a plus souhaité faire partie du conseil communal.
Le 6 août, Ernest Burnelle décède sans être sorti du coma. La participation massive à ses funérailles montre son ancrage dans le mouvement ouvrier. Les discours de circonstance sont prononcés par l’ambassadeur d’URSS, un représentant du Parti communiste français, Frans Van den Branden au nom de l’aile flamande du PCB, et Marc Drumaux, vice-président et successeur d’Ernest Burnelle à la tête du PCB. Tour à tour, ils saluent la mémoire d’un ami indéfectible de l’URSS, d’un Wallon qui comprend les Flamands, de celui qui a vaincu le sectarisme et le dogmatisme et lutte pour le socialisme et la démocratie. Au cimetière liégeois de Robermont (Liège), Rodolphe Gillet, au nom du Front de l’indépendance, rend hommage au résistant.
Jules Pirlot
Extrait de Maitron