Audi – Forest. Un problème (du) Capital … (suite n°2)

Le capitalisme financier.

Quelque chose s’est donc produit à l’intérieur du capitalisme pour que ce qui passait, il y a trente ans, soit aujourd’hui présenté comme un cataclysme digne des dix plaies d’Egypte, spécialement dans les médias mainstream ? Il faut pour répondre à cette question évoquer le retour en force de l’actionnaire dans la définition des stratégies d’entreprise. C’est cette mutation qui permet d’expliquer pourquoi des objectifs très élevés de rentabilité à court terme, les délocalisations, la mise en concurrence des travailleurs et le dumping social sont devenus une norme de fonctionnement au quotidien du capitalisme contemporain.

Cela ne fut pas toujours le cas. Entre la fin des années 1940 et le milieu des années 1980, le capitalisme se caractérisait par une dynamique différente. On parlait à cette époque de compromis social-démocrate à l’intérieur des entreprises. Les managers étaient la pierre d’angle de cet agencement particulier des rapports sociaux de production. A cette époque, les propriétaires des entreprises avaient renoncé à une partie de leurs prérogatives, précisément à l’avantage des managers . La pression du capital financier sur le capital industriel était alors moindre qu’aujourd’hui . Il faut interroger l’histoire de cette évolution du rapport de forces interne aux classes dominantes qui a débouché sur une modification fondamentale de la gouvernance des entreprises.

La fin des années 1960 se caractérise par une baisse des taux de profit . C’est une donnée évidemment négative mais cette dégradation reste latente jusqu’au moment où éclate la crise pétrolière. Le choc pétrolier fait grimper le coût de la vie. Il en résulte une montée de la conflictualité sociale. Les augmentations salariales arrachées à l’occasion des luttes ouvrières se traduisent pas des augmentations des prix de vente pour maintenir la profitabilité des entreprises et ces dernières de nourrir en retour des revendications salariales. L’inflation est autoentretenue à cette époque.

Le retour en force du capital financier dans la conduite des entreprises va s’exercer via la libéralisation financière, à comprendre comme libéralisation des mouvements de capitaux. Celle-ci prend place dans les années 1970-1980 et diffuse progressivement ses effets au sein des entreprises au cours des années 1990. D’un point de vue pratique, elle correspond au passage d’un système régulé par le politique contrôlant les mouvements de capitaux à une architecture financière internationale caractérisée par l’autorégulation des marchés et la garantie de liberté de circulation des capitaux. Le corolaire de cette libéralisation a consisté pour les banques centrales à accentuer la lutte contre l’inflation de manière à garantir la rentabilité des placements financiers. Cette pression renforcée du capital financier s’est accompagnée d’une augmentation du niveau des taux d’intérêt réels. Il en a résulté une augmentation du chômage qui a fini par discipliner le collectif des travailleurs. La formation du profit était alors assurée institutionnellement .

Les entreprises ont alors dû faire face à une pression accrue des actionnaires. La logique de gestion des grands groupes, d’industrielle, est devenue davantage financière. On est passé d’un système régulé par les gouvernements via le contrôle des mouvements de capitaux à un système centré par les marchés financiers. Cette fluidité accrue a relancé les taux de profit en permettant une baisse à la pression des salaires, laquelle résultait précisément de la mise en concurrence des travailleurs, des Etats et des sites de production. Pour revenir à l’exemple de VAG, l’impact de la libéralisation financière se marque par l’importance croissante dans le capital de la firme d’actionnaires liés à la finance de marché.

C’est ainsi que la catégorie des investisseurs institutionnels étrangers représentait 20% de l’actionnariat de VAG. Pour information, les investisseurs institutionnels désignent des entités qui collectent l’épargne des particuliers et la placent sur les marchés. Les fonds de pension et les compagnies d’assurance appartiennent à cette catégorie. En outre, 24,1% du capital appartient à des actionnaires privés. On retrouve également 2,2% du capital de VAG entre les mains d’investisseurs institutionnels allemands. Au total, la finance de marché dispose de 44,3% de VAG Group. Face à cela, la Porsche Automobile Holding (propriété des familles fondatrices Piëch et Porsch) détient 31,9% du groupe contre 11,8% pour le Land de Basse-Saxe et 10% pour le fonds souverain du Qatar. On peut toujours essayer de se rassurer en se disant que la majorité des actions correspondent à des acteurs industriels ou des entités publiques. Dans le même ordre d’idées, on pourrait aussi mettre en avant que les droits de vote que plus de 90% des droits de vote sont centralisés entre les mains de ces acteurs . Rien ne serait cependant plus illusoire. En effet, que les orientations du management disposant des droits de vote déplaisent aux acteurs de marché détenant 44% de la propriété du groupe et ces derniers n’hésiteront à se défaire des actions de VAG. Il en résultera une baisse de la valeur du cours de bourse de la compagnie et cette décapitalisation fera diminuer les moyens financiers dont elle dispose.

Tiberghien, Yves, Entrepreneurial States : Reforming Corporate Governance in France, Japan, and Korea, Cornell University Press, Ithaca, 2007.
Volkswagen Group, Shareholder Structure, 31 décembre 2023. Url : https://www.volkswagen-group.com/en/shareholder-structure-15951. Date de consultation: 5 décembre 2024.

A suivre.
Xavier Dupret
Economiste de l’ACJJ

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