Jean, un mineur parmi les autres (5)

La priorité : le salaire horaire.

Malheureusement, une nuit, mon frère Pierre était descendu plus bas dans la taille avec d’autres manœuvres pour placer les bois et les « sclimbes » ou « lambordes » entre les piles de bois. Ce travail terminé, il devait revenir auprès de son ouvrier mais celui-ci était revenu dans la voie que l’on devait miner. Mais Pierre n’était pas prévenu et ne se trouvait qu’à quelques mètres de la voie lorsqu’on a miné. Il fut projeté dans les couloirs mais Émile ne fut heureusement pas trop blessé. Mais il fut pris une très grande peur.

Pierre avait toujours peur le matin en rentrant chez nous. Lorsque maman nous appela, il faisait même de la fièvre et il resta 8 jours au lit. Il ne voulait plus revenir à la mine. Mais voilà, devant le besoin d’argent de mes parents pour faire vivre la famille, il fut bien forcé d’y revenir. Certains ouvriers nous ont dit : « Vos parents sont des abrutis de renvoyer cet enfant à la mine ! » car l’on voyait bien que Pierre était craintif et n’osait plus se déplacer seul dans la mine. C’est pourquoi en septembre 1944, il se porta volontaire de guerre pour ne plus descendre au fond de la mine.
Donc, nous étions au début de 1939 et j’étais promu jeune ouvrier. Et le plus important pour moi et ma famille, c’était le salaire. Je suis alors payé à 36 francs par jour. Je me souviens quand j’ai remis mon premier salaire aux parents, mon père me dit : « Tu es payé comme un homme. »

À ce moment, mes parents ont été prévenus que la maison que nous occupions étaient vendue. Maman se mit donc à la recherche d’une autre habitation. Elle en a reçu une dans la rue de Binche appartenant à la commune.

Le 31 mars, nous partions habiter le 90 de la rue de Binche. Nous étions un peu éloignés de notre travail. C’est avec l’aide de Monsieur Henri Glineur et de du Bourgmestre de Courcelles que nous fûmes relogés deux pièces bas et deux chambres pour 10 personnes.

Au charbonnage, au bout de quelques semaines, on me donna une bête en plus et je fus payé à 58 francs 50. Et ça continue car d’après mon carnet de salaire, je vois que j’ai reçu ce salaire jusque fin octobre. Et en décembre et novembre 1938, j’ai été payé à 62,40 FB. Ce dont je me souviens, c’est que j’avais encore reçu une bèle et même deux en plus. A ce moment, on m’avait donné un manœuvre, le fils de « papa Jean ». Ensuite, j’eus mon frère, Pierre comme manœuvre. J’avais 18 ans et Pierre en avait 16

Me voilà donc bien installé comme ouvrier. Il le fallait surtout que mon frère Joseph devait rentrer à l’armée pour faire son service militaire le 1er avril, juste le lendemain de notre déménagement à la rue de Binche. Et en avril, au travail je fais le même nombre de mètres qu’un adulte et je suis payé 67 francs par jour. Mon dernier salaire au mois mai 1940 quand nous dûmes évacuer était arrivé à 70 francs. Nous sommes partis en France le 12 mai avec les hommes de 16 à 35 ans.

Je rentre de France le 14 août et le lundi 19, je reprends le même travail avec mes frères Pierre, Auguste et Joseph. Nous sommes occupés tous les quatre au poste de nuit. Mon salaire est le même qu’au mos de mai soit 70 FB par jour et j’obtiens 350 kg de charbon par mois puisque je suis devenu chef de ménage car papa est toujours inapte.

Donc la vie continue comme avant le 10 mai 1940. Pour notre travail, c’est la même chose mais en allant danser au salon « le Ballon » et au « Casino », j’ai rencontré une personne qui allait devenir une amie.

Son père était aussi mineur de fond occupé au 6 Périer à Souvret. Il m’a entraîné à sa suite, prétextant que je gagnerais plus. Je l’ai donc écouté et je me suis engagé le 7 octobre 40 et je commençais au 6 Périer. Mon parrain et le frère de mon père y travaillaient déjà. Mais étant donné que j’avais moins de 21 ans, on me paya moins qu’à l’Amercoeur, donc moins qu’un ouvrier adulte.

Les ouvriers de ma taille m’ont accompagné chez l’ingénieur pour lui dire que je faisais le même travail qu’eux et que j’avais donc droit au même salaire. Celui-ci répondit que non car je n’avais pas 21 ans. Les ouvriers me conseillèrent de reprendre mon livret de travail ce que je fis le 14 janvier 1941 et je retournai à la l’Amercœur.

Je ne me suis jamais plu au 6 Périer car les porions étaient grossiers, très grossiers même et il fallait courir d’une taille à l’autre pour se procurer des bois de soutènement. On m’y envoya d’ailleurs dans une taille ou il y avait eu un coup d’eau quelques jours plus tôt car on y avait retrouvé des vêtements, des souliers et des sabots. Je crois qu’il y avait eu des morts dans cet accident. Pour moi le 6 Pérer, c’est le plus sale charbonnage que j’ai connu de ma vie de mineur sur les 6 puits où j’ai travaillé.

Donc je suis retourné à l’Amercoeur où j’ai repris mon travail d’avant mon départ. Ce fut ma chance.

A suivre

Jean, le mineur

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