Jean, un mineur parmi les autres (4)

Jean devient ouvrier.

Le conducteur des mines qui m’a engagé s’appelait monsieur Libotte. J’ai commencé pour 14 francs au deuxième poste. Je fus envoyé dans une taille d’un bon                                                                          mètre de hauteur. Je devais faire du remblayage. On faisait du stappe avec les terres appelées écailles qui se trouvent entre deux sillons de charbon. Le porion fut très content de moi et le deuxième jour, je lui ai demandé combien j’allais gagner. Il me répondit : « Ici l’âge ne compte pas. C’est selon le travail que vous faites et si vous continuez comme pour les deux premiers jours, vous recevrez plus de 30 francs par jour. » Je fus évidemment très satisfait de cette réponse inespérée.

Mon premier salaire me fut payé effectivement 38 francs chaque jour. Quelle joie pour moi et ma famille, j’avais 10 francs de plus qu’à Forchies par jour et en plus, le chemin du travail était beaucoup plus court. Mais le plus beau, c’est que mon salaire continua à d’augmenter.

Mes parents et mes frères ayant terminé leur saison de briques à Jumet sont tous rentrés en octobre 1938 à la maison. Mes frères Auguste et Joseph sont venus à la mine de l’Amercoeur. Auguste a commencé en tant qu’ouvrier à défaire les écailles sur le sillon dans la taille où je faisais le remblayage. J’ai donc pu lui apprendre comment faisaient les autres et il a eu droit aussi à un bon salaire. Si j’ai dû lui montrer le travail malgré qu’il était mon aîné, c’est parce qu’il avait toujours travaillé avec les chevaux dans les galeries. C’était donc la première fois qu’il venait travailler dans une taille. Je l’avais presque forcé à s’engager comme ouvrier. Cela lui ferait un beau gros salaire

En février 1939, j’avais déjà reçu 44 francs par jour. Mais voilà que le chef porion passe avec le conducteur. Il me demande ce que je faisais à Forchies. Je lui répondis que je conduisais le cheval dans le trait. Le trait, en langage de mineur, c’est amener les chariots vides à la taille et les faire redescendre vers le puits étant remplis.

Alors le conducteur dit au chef porion : « Mais il faut justement un conducteur de chevaux à l’étage 320 ! » Le lendemain, on me dit : « Voilà, vous irez à l’étage 320. Vous prendrez le cheval Pierre et pas un autre. D’ailleurs le porion arrivera tout de suite et vous expliquera votre travail ».

Là, je devais prendre des chariots de terre et les conduire à la taille pour faire le remblai et remonter les chariots vides vers le puits. Aussi, je devais descendre des bérottes. Une bérotte, c’était un châssis sur 4 roues et on y plaçait les bèles d’une longueur de 3 m ainsi que les longs bois pour étançonner la voie au pilé.

J’étais très ennuyé car le cheval était très difficile. Plusieurs fois, j’ai dû aller le récupérer à l’écurie. Un jour, mon pied est resté coincé dans un aiguillage et j’ai eu le pied tordu, une foulure de la cheville mais pas cassé. On m’a conduit au dispensaire du Sacré Français ensuite chez moi. Mes parents ont eu peur. À la suite de cet accident, je travaillais au poste de nuit. Voilà ce qui s’est passé : comme j’avais beaucoup de mal avec ce cheval très difficile, j’en avais parlé à Monsieur Libotte. Alors il m’a proposé de venir au 3 ème poste et j’ai accepté. Mon frère Auguste quant à lui, est resté au deuxième poste.

Au troisième poste, on me mit comme manœuvre à la taille. Je servais un ouvrier en bois et je le dégageais de son charbon car il faisait le sillon. Il fallait remplir le charbon et placer les tôles qui servent à le faire glisser vers la trémie. Cet ouvrier s’appelait Paul Constant. C’était le frère du chef porion Paul Jean. Tout de suite, il m’a conseillé d’acheter une hache et m’a appris à étançonner, à couper les bois, à faire les teints. Un teint, c’est façonner la tête du bois de manière à ce qu’elle puisse glisser en-dessous de la bèle.

Tout de suite, je devins donc jeune ouvrier. Je suis placé un peu plus bas dans la même taille. On me donna pour commencer 4 bèles à faire le sillon. 4 x 3 m = 12 m de sillon de beau charbon. On pouvait faire de belles grosses gaillettes. En plus, j’étançonnais.

Le sillon avait une épaisseur de 40 à 50 cm. La largeur de l’havée avait un mètre 60. Je suis placé entre deux bons ouvriers. L’un s’appelait Edmond, l’autre Jean-Baptiste. Le premier était surnommé Banane parce que chez lui, c’était un petit magasin de fruits et légumes. Le second, on l’appelait Papa Jean parce que son manœuvre ? c’était son fils. À ce moment, j’avais 17 ans et je recevais 56 francs par jour. J’en ai gardé les preuves parce que je possède toujours mes carnets de salaire.

Et c’est à cette époque que mon frère Pierre est venu commencer à la mine au poste de nuit. Il était le manœuvre de Paul, cet ouvrier qui m’avait appris à boiser. Pour lui, c’était donc bien car nous étions toujours ensemble.

Stappe : pilier utilisé pour soutenir la toiture d’une galerie minière.

A suivre

Jean, le mineur.

Laisser un commentaire