
Une Géorgie prorusse et une Moldavie proeuropéenne ? Deux identités prises entre tiraillements et ombre de la fraude
À une semaine d’intervalle, le 27 octobre, puis le 2 novembre, les deux petites républiques ex-soviétiques de Géorgie et de Moldavie ont voté de façon diamétralement opposée. L’une aurait fait le choix de la Russie contre son avenir européen, tandis que la seconde, dont les négociations en vue d’intégrer l’UE ont été ouvertes en juin dernier, se serait tournée vers Bruxelles. Analyse.
Quel contraste ! Lors des législatives du 27 octobre en Géorgie, entachées de fraudes et contestées par l’opposition, le parti populiste « Rêve géorgien » de l’oligarque Bidzina Ivanishvili, au pouvoir depuis 2012, récolte 54,2 % des voix, contre 37,3 % aux quatre partis de l’opposition proeuropéenne.
En Moldavie, en revanche, lors du second tour de la présidentielle le 2 novembre, c’est la présidente proeuropéenne sortante Maia Sandu qui a été réélue, avec 55,41 % des voix, contre 44,59 % pour son adversaire Alexandr Stoianoglo, soutenu par les socialistes prorusses et l’oligarque Ilan Șor, recherché par la justice moldave pour malversations et réfugié en Russie.
Un score obtenu grâce aux voix de la diaspora : 160 000 en Europe occidentale, dans un pays de 2,6 millions d’âmes. Car sur le territoire de la république de Moldavie, Alexandr Stoianoglo l’a emporté sur la présidente sortante avec 51,19 % des voix contre 48,81 %.
Certains n’hésiteront pas à affirmer que, à Tbilissi comme à Chisinau, c’est le parti au pouvoir qui aurait décidé du résultat des urnes. Or, en Géorgie comme en Moldavie, les mêmes voix proeuropéennes ont dénoncé les mêmes fraudes organisées « sur le modèle russe », selon la présidente géorgienne Salomé Zourabichivi, ou, pour Maia Sandu, désignant la Russie sans la nommer, la « guerre hybride et une attaque sans précédent menée contre la démocratie », évoquant une « fraude » visant l’achat de 300 000 votes.
En Géorgie, appuyant les conclusions des observateurs indépendants, l’institut de sondage américain Edison Research, auteur de sondages sortie des urnes qui donnait la victoire à l’opposition, a affirmé que la différence entre ses prévisions et les résultats officiels « ne peut être expliquée par des variations ordinaires » et évoqué « une manipulation au niveau local du vote ».
Pas convaincus par l’UE.
Différence notable entre les deux pays, cependant : alors que la police géorgienne est restée au mieux passive, son homologue moldave a décrit les méthodes employées par le voisin russe pour manipuler le scrutin – désinformation, achat massif de votes, menaces de mort, cyberattaques et transports organisés d’électeurs. Elle a documenté un million de transferts d’argent arrivés sur les comptes de 138 000 Moldaves, et chiffré à 100 millions d’euros la somme dépensée par la Russie pour influencer l’électorat moldave.
Reste que l’on aurait tort de conclure que les Moldaves sont proeuropéens. Dans ces deux pays pauvres, Moldavie et Géorgie, qui ont tous deux, à la suite de la sécession de séparatistes, une partie de leur territoire contrôlée par la Russie, la perspective d’une intégration à l’Union européenne (UE) ne convainc guère.
Si 800 000 Moldaves, détenteurs d’un passeport roumain, peuvent directement profiter de ses avantages en venant notamment y travailler, une grande partie de la population sur place craint par-dessus tout la contagion chez eux du conflit en Ukraine. Et reste donc fort réceptive aux réseaux complotistes prorusses, qui martèlent à longueur de journée que l’UE est synonyme de guerre, de perte d’identité et de propagande LGBT…
Par Anne Dastakian
Extrait de Marianne.