Un mineur parmi les autres (4)

Mon travail à Forchies

Donc, j’ai été engagé pour 20 francs par jour à Forchies-la-Marche. Pousser le charbon dans les couloirs jusque dans les chariots, c’était très difficile car souvent il y avait de l’eau dans les tailles. Ensuite, j’ai fait rouler des bérottes. Avec un Italien, je devais charger la bérotte de charbon à la taille et puis la verser dans une cheminée. Là, nous chargions le charbon dans des chariots. Nous devions relever les jambes de notre pantalon car nous avions de l’eau jusqu’aux mollets.

Un jour, un chef porion me demanda si je pouvais conduire les petits chevaux au-dessus du plan du bouveau montant. Il fallait monter au-dessus du bouveau avec les deux chevaux pendant que l’autre restait à la taille donc au chargement des chariots. Il devait faire avancer les chariots au-dessous de la trémie. Pendant ce temps, moi, avec l’autre cheval, je conduisais les 5 autres chariots à la tête du bouveau montant. Là, un homme les accrochait un à la fois, à un câble et le chariot plein faisait monter celui qui était vide. Comme j’avais eu mes 16 ans au mois d’octobre, je fus augmenté de 3 francs par jour. Ce qui faisait toujours plaisir.

C’est en faisant ce travail de conducteur que j’ai connu mon camarade Désiré Charlier qui, lui, était occupé en bas du bouveau montant. Il accrochait les chariots libres au câble et décrochait les pleins. À cet endroit, un homme formait des rames de 10 chariots qui étaient tirées par un gros cheval. C’était la règle : dans la mine un petit cheval ne pouvait pas tirer plus de 5 chariots à la fois alors qu’un gros cheval de trait en tirait 10. Moi, je remplaçais un manœuvre donc le conducteur des petits chevaux. Le voilà guéri et il va reprendre sa place au-dessus du bouveau.

Alors, le conducteur des travaux me demanda si je pouvais conduire le gros cheval en bas du bouveau. J’aurais 5 francs de plus par jour ! J’ai accepté de suite. Là, j’étais en compagnie de mon frère Auguste qui conduisait un autre gros cheval. Il desservait toutefois une autre taille et nous nous rencontrions dans la grande galerie. C’’est là que l’on formait les grandes rames de chariots qui étaient tirées par des treuils fonctionnant à air comprimé. Ces rames étaient composées de 40 à 45 chariots.

Comme je l’ai déjà écrit, en 1938, toute la famille était partie faire des briques à Jumet Hamendes. Mon frère Auguste et sa femme sont partis aussi pour former une bonne équipe de briquetiers. Je suis resté seul à la maison

J’étais occupé dans la grande galerie et j’avais un bon cheval appelé « Croux ». Un jour, j’ai glissé dans la boue. Heureusement, je me suis retenu à la chaîne du cheval mais je fus quand même blessé car coincé entre les bois et le premier chariot de la rame. Ce ne fut pas grave. Je n’ai perdu qu’une seule journée de travail.

Ce boulot me plaisait très bien car je n’allais plus dans les tailles qui étaient petites et où il coulait toujours de l’eau. J’avais de bons camarades comme Désiré Charlier, Demond Daoust, René Daoust et Raphaël.

Les porions étaient d’anciens camarades de mon père comme Jean-Baptiste Lacassaigne et Auguste Nisole, beau-frère de Alexandre Goret. Ce dernier a perdu son fils Goret Anatole et ses deux petits-fils dans la catastrophe du Bois du Cazier à Marcinelle.

Le conducteur des travaux m’avait promis 5 francs de plus par jour mais je n’en recevais que trois. Alors chaque samedi, au moment de la paie, j’allais réclamer auprès de lui. La seconde fois, il me dit qu’on ne m’augmenterait pas de 5 francs en une fois et qu’il fallait prendre patience. Alors je lui ai dit : « Il ne fallait pas me les promettre » et je lui ai remis mon préavis.

Comme j’avais un camarade, Fernand Bouillon, je lui ai demandé de me rechercher du travail. Ce qui fut dit fut fait : le 10 septembre, je terminais à Forchies-la-Marche et le 12 septembre 1938, je commençais à Amercoeur puis à Belle Vue à Jumet Gohyssart.

Bouveau: Galerie de traverse qui recoupe la couche de houille ; et, spécialement, galerie percée à partir des puits d’extraction ou d’aérage et recoupant la veine

Bérotte: brouette

A suivre.
Jean, le Mineur.

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