
C’est en recherchant ses origines que Jean a découvert qu’avec son frère Yvon, ils étaient les derniers représentants d’une grande lignée de mineurs de fond.
Voici la rétrospective :
En l’an 1778, est né à Thiméon, Sturbois Antoine Joseph, journalier. Son fils Joseph est né à Gosselies le 15 mai 1810 et devint houilleur. Un des fils de ce dernier prénommé Adrien Joseph né à Gosselies le premier février 1839 devint également houilleur.
Adrien Joseph eut un fils prénommé Adolphe Joseph né à Gosselies le 12 octobre 1861. Profession : houilleur. Un des fils de Adolphe Joseph prénommé Auguste Adrien né le 29 janvier 1896 à Gosselies fut mineur de fond. C’est de lui que naquit le 6 octobre 21 à Gosselies Jean-Baptiste Sturbois qui devint mineur de fond également à l’âge de 14 ans.
Jean-Baptiste commence à travailler le 12 février 1936 au charbonnage du Mambourg, siège de Jumet Hamendes.
Yvon, quant à lui est né en 1935 et commence au fond le 9 octobre 1949.
Au début de février 1936, Joseph et Jean accompagnés de leur maman se présentent au charbonnage Saint-Louis à Jumet chef-lieu pour y obtenir du travail. Monsieur l’ingénieur qui les reçoit leur dit : « Oui. On a besoin de gamins pour le fond. » Il ouvre un grand livre et demande leur nom. Notre mère répond : » C’est Sturbois, Monsieur. » À ce moment, Monsieur l’ingénieur relève la tête et demande à notre mère : « Les Sturbois de Viesville ? ». « Oui, répond notre mère. » L’ingénieur referme son livre et nous dit/ « Il n’y a pas de travail ici pour les communistes, Madame ! » Mes parents étaient, en effet, tenanciers de café et les réunions du Parti communiste se tenaient chez eux.
Et voilà que nous arrivons en début de 1936. J’avais travaillé tout le mois de décembre 1935 dans une ferme de Gerpinnes. Puis au mois de janvier 1936, dans la ferme Dediste à Viesville. Mon frère Joseph m’avait remplacé à Gerpinnes car la boulonnerie l’avais mis en chômage mais il n’y est resté qu’un mois car il fallait beaucoup travailler pour 60 francs par mois et il fallait payer le logement et la nourriture. Alors lui aussi avait abandonné la ferme. Mais il nous fallait faire vivre la famille. C’est pourquoi en 1936, nos parents ont pris la décision de nous envoyer dans la mine car on ne trouvait pas de travail dans les casseroleries.
C’est ainsi que mon frère Joseph et moi sommes descendus au fond de la mine le 12 février 1936 au charbonnage du Mambourg, siège des Hamendes à Jumet
Je suis engagé au prix de 17 francs par jour et mon frère Joseph âgé de 16 ans à 20 francs. Je peux dire que je me souviens encore du 11 février au soir : je pleurais car j’avais peur de la mine. On avait toujours entendu mon grand-père, mon père et mon oncle raconter le travail. C’est pourquoi nous avions déjà peur avant de descendre. Mon père dit : » Ne pleurez pas. Aussitôt que nous nous serons rattrapés financièrement, vous sortirez de la mine car moi aussi, ça me faisait de la peine de savoir que vous alliez descendre demain. »
Au charbonnage, les mineurs se plaignent de leur travail. Les délégués qui représentent les syndicats socialiste et catholique parlent beaucoup des congés payés. Le 13 juin 1936, nous partons en grève. Tous les puits des bassins de Charleroi, du Centre et du Borinage sont fermés. C’est la grève générale. Elle ne sera pas longue car le 26 juin 1936, on reprend le travail. On a obtenu une augmentation de 1 % et 6 jours de congés annuels. Mais voilà les jours de congés étaient calculés sur l’année 1935. On avait droit à un jour de congé pour 2 mois de travail. Ce qui fait que mon frère et moi, nous n’avions pas droit aux congés payés cette année-là
Pour en revenir au 12 février 1936, jour de ma première descente, un surveillant prénommé Dekersse dit à un ouvrier : « Prends le gamin entre tes jambes dans la cage de l’ascenseur pour qu’il n’ait pas peur. « . Arrivé au fond, je regardais la galerie comme si je l’avais déjà vue auparavant. Je n’avais qu’une petite lampe à huile et l’ouvrier m’a dit: « Attention de ne pas la cogner car vous n’auriez plus de lumière. » Les ouvriers, eux, avaient des lampes électriques.
Donc au mois d’août 1936, les ouvriers ont reçu leur première semaine de congés. Mon frère et moi avons été mis au chômage car nous n’avions pas 6 mois de service. Alors, nous sommes allés nous engager chez Monsieur Bronchain, propriétaire d’une moissonneuse batteuse qu’il déplaçait de ferme en ferme et sur les champs pour battre les meules de blé
Toujours est-il que nous sommes rentrés en fin de la semaine avec un salaire et nous avions été nourris ce qui fit la joie de nos parents.
Le lundi suivant, retour à la mine. L’après-midi, après avoir terminé notre travail, il y avait des délégués du syndicat à la grille. C’était un contrôle car ils souhaitaient savoir si nous étions syndiqués.
Alors, un délégué m’a dit ; « Vous direz à votre papa qu’il doit aller vous inscrire dans un syndicat car si nous vous n’avez pas votre carnet pour le mois prochain, vous ne pourrez plus travailler. » Comme de bien entendu, nous sommes allés nous inscrire à la Maison du Peuple de Viesville.
De nos parents, je recevais 3 francs et mon frère 5 francs par dimanche pour nous rendre à notre travail. Nous allions à pied jusqu’à Gosselies Calvaire. Là, nous avions en tram jusqu’à la chaussée de Gilly à Jumet et nous devions changer de tram vers Ransart jusque Jumet Hamendes. On payait 75 centimes aller et retour pour une demi-place car nous possédions un carnet de famille nombreuse
Je me souviens qu’en passant à Joly, un coron de Viesville, c’était notre chemin pour aller travailler, ma marraine me voyant passer avec les deux mains bandées me cria : « Mon Dieu, vous avez été blessé, gamin ? « Je lui dis : « Non marraine, j’ai attrapé la gale de l’eau car je travaille dans une taille où il y a beaucoup d’eau. »
À suivre
Jean, le mineur