Épicure de guêpe

Vous avez croisé des guêpes dernièrement ? Nous non plus. Alors qu’elles commencent habituellement à peupler les terrasses, parcs et jardins dès le printemps, celles-ci semblent faire grève. La faute au gros temps, mais pas seulement.
Les piqûres de guêpes qui pourrissent une journée de vacances en faisant gonfler notre main vont-elles réussir à nous manquer ? Pas sûr, mais l’absence de guêpes alors que le printemps touche bientôt à sa fin interroge, et il n’y a aucune raison de s’en réjouir. Les guêpes, qui ont moins bonne presse que les abeilles, jouent un rôle majeur dans la pollinisation des plantes, et participent à la lutte contre les espèces invasives et parasitaires, comme les pucerons et les chenilles, capables de saccager une parcelle agricole. Mais pourquoi on ne les voit pas ?
Sale temps pour les guêpes
Cette fois, Marianne ne vous apprend rien, il fait un temps de merde sur le territoire métropolitain depuis, au moins, le début de l’année. Mais si cette météo morose peut être une bonne nouvelle pour certains domaines agricoles ou pour les nappes phréatiques en souffrance, elle est une mauvaise nouvelle pour nos amies (si, si !) les guêpes.
« L’absence actuelle de guêpes dans notre quotidien est probablement due à des raisons météorologiques », explique Jean-David Chapelin-Viscardi, responsable du Laboratoire d’éco-entomologie d’Orléans. En cas de météo pluvieuse, comme c’est le cas actuellement, les ruches s’activent moins que lors d’un printemps chaud et sec, et une partie des reines restent en hibernation. Elles ne construisent donc pas de nouveaux nids, berceau des ouvrières qui viennent ensuite nous voler dans les plumes. D’autant que, si ce printemps est particulièrement défavorable aux guêpes, ce n’est, de toute façon, jamais leur période phare. Les ruches sont plutôt à leur apogée à la fin de l’été et au début de l’automne.
Attention aux impressions.
Pour autant, peut-on vraiment dire qu’il y a moins de guêpes cette année ? Nous sommes pour l’instant plus dans l’impression que dans l’observation scientifique. Méfions-nous de l’empirisme. « À certains endroits, on va avoir l’impression d’avoir moins de guêpes, ou même plus que l’année précédente, mais les habitants d’un autre territoire voisin peuvent faire le constat inverse. Notre vision est totalement dépendante de l’endroit où une colonie s’est installée récemment », rassure Éric Darrouzet, enseignant-chercheur spécialiste des insectes sociaux à l’Université de Tours.
Tout est question de perception, lorsque les jours de beaux temps se suivent sans jamais discontinuer, on a l’impression que les guêpes se comptent par millions dans nos parcs et nos jardins, alors qu’un printemps pourri nous laisse directement croire que les guêpes ont disparu de la surface de la Terre.
En 2020, de nombreux médias, comme France Info s’interrogeaient sur une potentielle, mais fantasmée, prolifération de guêpes. En réalité, nous étions, là encore, victime d’une vision un peu autocentrée. Alors que les Français étaient confinés, les ruches tiraient les bénéfices d’un hiver particulièrement doux et d’un printemps excessivement chaud, qui avait permis aux reines de développer leurs ruches, dont les membres venaient ensuite manger les restes sucrés de nos repas d’été. D’autant qu’avec les fortes chaleurs, les guêpes, comme les autres insectes, ont plus de mal à trouver de l’eau, et ont donc tendance à se rapprocher des zones d’habitations humaines pour siroter nos verres. On les voit plus, mais elles ne sont pas forcément plus nombreuses.
Et pourtant elles disparaissent.
Mais dans le fond c’est vrai, il y a nettement moins de guêpes qu’avant, il faut juste changer d’échelle. En trente ans, près de 80 % des insectes auraient disparu, selon une étude internationale publiée mercredi 18 octobre par la revue PLoS One. Parmi eux, les insectes volants sont en bonne place, et — encore une fois ! – pas seulement les abeilles. « Nos résultats documentent un déclin dramatique des insectes volants, de 76 % en moyenne et jusqu’à 82 % au milieu de l’été, dans les aires protégées allemandes, en seulement vingt-sept ans », expliquaient les chercheurs dans leur étude de 2017.
En France, la population de guêpes, et d’insectes volants en général, est très mal documentée, nous ne disposons pour l’heure d’aucune donnée chiffrée pour estimer leur présence en métropole. Mais on peut estimer qu’elles suivent le même chemin démographique que leurs voisines d’outre-Rhin. En cause ? Principalement l’agriculture intensive, qui tue directement avec sa forte utilisation de pesticides, mais aussi de manière plus indirecte, en ayant fait disparaître les haies, paradis de biodiversité à polliniser. La monoculture et la disparition des fleurs sauvages sont la cerise sur le gâteau.
Autre tueur d’insectes volants : nos villes et leurs périphéries. L’urbanisation a réduit leur habitat naturel, et l’a surtout fragmenté en espaces entrecoupés de constructions humaines, et la lumière des villes joue aussi un rôle négatif. Les espaces verts éclairés attirent moins les pollinisateurs nocturnes.
Enfin, l’éléphant dans la pièce : le changement climatique qui décale les cycles des pollinisateurs volants et des plantes. Quand les guêpes, abeilles et autres hyménoptères sortent de leur ruche, les plantes sont déjà passées à un autre cycle, n’ont plus besoin de l’entremise des insectes volants et ne leur fournissent pas le précieux nectar. Ne reste plus qu’une bière tiède abandonnée sur une terrasse pour les satisfaire. Nul doute qu’aux premiers rayons de soleil, les guêpes arriveront dare-dare.
Par Antoine Margueritte
Extrait de Marianna