L’exploitation du minerai fer en Wallonie (suite)

Nous publions la suite des articles parus dans notre bulletin périodique précédent

Les conditions de travail

En plus du manque de sécurité, le mineur était confronté à bien d’autres problèmes. Dès son embauche, il devait apporter avec lui les outils qu’il devait acheter au magasin du seigneur, propriétaire. L’outillage se composait d’un marteau pique, d’une pelle et souvent d’une barre à mine. À propos de celle-ci, nous en avons retrouvé une à Marcinelle au cours de nos fouilles avec le C H A M (Club d’Histoire de Marcinelle). Elle avait un diamètre de 5 centimètres et une longueur de 1 m 40. et d’un. poids de plus de 20 kg. Son maniement était  assez épuisant à la longue. Elle servait à détacher de grosses roches avant d’atteindre le minerai.

Le propriétaire possédait non seulement les minières mais aussi Les masures où étaient logés les ouvriers et leur famille. La proche famille du propriétaire possédait une ou plusieurs boutiques dans les corons.

Quand un futur mineur venait s’embaucher à la mine, il n’avait que ses mains pour toute fortune.. Comme il fallait manger et se loger, le gérant apparenté au propriétaire de l’exploitation lui faisait crédit. Il avait une ardoise* et il entrait ainsi dans le cycle infernal de l’endettement. Quand il touchait sa paie, le mineur devait passer par le comptoir du cabaretier s’il ne voulait pas, plus tard être affecté aux veines les plus insalubres. D’ailleurs dans la majorité des cas, c’est au cabaret même que le salaire était payé. Quoi d’étonnant alors qu’une bonne partie de la paie sombrait dans le péket et que l’alcoolisme finissait par devenir ce terrible fléau qui exista tout au long des siècles.

L’alcoolisme était encouragé par le patronat lui-même qui, en vendant de l’eau de vie le plus souvent frelatée, en tirait de plantureux bénéfices. Parmi tous les alcools, celui qui causait le plus de ravages chez l’homme était l’absinthe. Ses effets sur le système nerveux sont plus marqués que ceux du péket et ressemblent à une intoxication par un poison narcotique âcre. Cet alcool provoquait des troubles de la sensibilité, un affaissement de la force musculaire, de la force génésique, de la vue,… Ensuite survenaient, des pertes de mémoire, de l’irritabilité, de la tristesse, des hallucination et des inquiétudes permanentes. L’absinthe causait chez les descendants des troubles graves dont Émile Zola a très bien décrit les effets. Heureusement, la loi du 16 mars 1915 interdit la fabrication et la vente de boisson à base d’absinthe.

Après avoir dépensé une bonne partie de son salaire, l’ouvrier se retrouvait devant le comptoir de l’épicerie. Avec le reste de sa paie, il devait effacer l’ardoise. Il ne lui restait plus alors que quelques insignifiantes pièces de cuivre au fond de la poche. Quand sa femme s’amenait ensuite à la boutique pour acheter le nécessaire besoin alimentaire, le tout s’inscrivait à nouveau sur l’ardoise. L’endettement était continuel. Le sinistre engrenage se remettait en route à la grande satisfaction des patrons qui pouvaient ainsi attacher le mineur à l’exploitation, comme jadis le seigneur assujettissait le serf. 

C’était encore le moins pénible des cas. Quand l’ouvrier malade ou blessé ne pouvait pas travailler, malheur à lui et à sa famille. La sécurité sociale n’existait pas et la famille entière tombait bientôt dans le gouffre de la paupérisation. Comme l’habitation appartenait au gérant des mines et que les loyers gravitaient autour d’un cinquième du salaire, on se retrouvait sans logis. On entrait ainsi dans un autre cycle infernal, la faim, la maladie, le manque d’hygiène, la mortalité infantile puis la mort prématurée pour tous parachevaient l’œuvre destructrice.

Encore heureux quand on pouvait émerger à « l’assiette des pauvres » comme plus tard à Froidchapelle où le tiers de la population était secouru. Mais cela n’existait pas partout. Parfois pour atténuer un tant soit peu la honte de cette misère, on obligeait l’épouse de l’ouvrier malade à se rendre à la mine.

Les archives de Florennes nous apprennent par exemple qu’en 1853, Rose Delahaut se vit remettre une amende qui lui avait été infligée par le juge de paix étant donné qu’elle était obligée vu son mari maladif et sa belle-mère impotente d’aller au péril de sa vie arracher aux entrailles de la terre le minerai de fer dont la vente formait toutes leurs ressources.

À propos de la mortalité des enfants, celle-ci était considérable. Selon des statistiques pour un coron minier du Nord de la France, des statistiques publiées en 1860, sur 168 mères de famille connues, 147 ont perdu des enfants. Le total des petits cadavres se montait à 240 pour 495 naissances soit 49 %. Ce qui est vrai pour le nord de la France l’était aussi chez nous où les conditions de vie des plus petits n’étaient pas meilleures. C’est dans les ménages où la mère était forcée de travailler à la mine que faute de soins maternels mouraient le plus d’enfants. Dans la majorité des cas, le manque de soins, le défaut d’hygiène alimentaire et le mauvais allaitement causaient la mort par gastro-entérite et athrepsie (défaut d’assimilation des aliments)

Ardoise : cahier sur lequel , le boutiquier inscrivait les dettes de l’acheteur.

Roger Nicolas

À suivre

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