Le pari hasardeux de Die Linke

La conférence de presse du 17 juillet 2023 intronisant Rackete et Trabert entendait marquer une nouvelle ère. La désignation de Carola Rackete, célèbre pour ses actions de sauvetage en mer auprès des embarcations de migrants, est emblématique de la voie empruntée par Die Linke. L’ancienne co-présidente du groupe, Katja Kipping, avait un temps exprimé son ambition de faire de Die Linke le catalyseur des « jeunes qui veulent changer le monde ». Pour souligner cette (relative) nouvelle orientation, la conférence de presse a été suivie par une autre devant les locaux de Die Linke, au cours de laquelle des représentants de plusieurs ONG ont pu « exprimer leurs attentes, leurs souhaits et leurs critiques du parti ».

Cette annonce a été vécue comme un « putsch » par certaines voix à gauche. Le recrutement d’une figure progressiste reconnue, extérieure au parti, permet à Die Linke de montrer qu’une page est tournée. Sans aucun doute, Rackete est une personnalité populaire auprès des militants les plus jeunes du parti et des électeurs de centre-gauche – deux franges, semble-t-il, au cœur de la nouvelle stratégie du parti. Une orientation qui semble pour l’instant convenir aux anciennes figures tutélaires du parti, comme Dietmar Bartsch. Ce virage semble confirmer l’émergence d’un nouveau « centre stratégique », longtemps exigé par ses membres. Mais les militants qui ont pris la parole au cours de la conférence de presse peuvent-ils représenter une véritable base électorale ?

Die Linke jouissait autrefois d’une base de votants à l’Est – notamment des nostalgiques de l’ancienne RDA -, qui constituait une « bouée de sauvetage » parant à tout naufrage électoral. Cette base est désormais perdue

La direction de Die Linke semble miser sa survie sur la capacité des ONG et des mouvements de la « société civile » à organiser de vastes mobilisations sociales. Ils pourraient constituer une base sociale qui s’intégrerait au parti sur le long terme. Pourtant, les manifestations « antifascistes » sous le mot d’ordre « indivisibles » (#unteilbar), tout comme les Fridays for Future, pour citer deux mouvements notoires, étaient tout sauf homogènes. L’une comme l’autre de ces marches a uni des manifestants en faveur de politiques « progressistes » (pour une politique migratoire ouverte et des mesures climatiques à la hauteur de l’urgence), mais leur composition sociologique et leur orientation politique sont quant à elles profondément hétérogènes. Le vote Die Linke pourrait conjoncturellement les séduire, mais de telles affinités électorales sont temporaires – contrairement à celles d’un front de classe. Ainsi, cette stratégie semble limitée quant à sa capacité à refonder la base sociale durable sur laquelle la gauche s’est appuyée au cours de son histoire.

Aux difficultés sociologiques que pose cette orientation du parti s’ajoute la question de la conjoncture politique. Cette annonce arrive en effet au moment où ces mouvements se trouvent dans une impasse : les vastes mobilisations climatiques de ces dernières années, parmi les plus importantes au monde, n’ont pas réussi à contraindre le gouvernement à accélérer la transition écologique. Le vice-chancelier Robert Habeck, lui-même élu du parti écologiste Die Grünen, semble abandonner sa promesse de sortir du charbon d’ici 2038, au grand dam des ONG, dont les efforts se sont avérés vains.

En dépit des mobilisations du mouvement « indivisibles », plaidant pour une politique migratoire ouverte, le gouvernement actuel, regroupant les Verts, le SPD et les libéraux du FDP, a choisi la doctrine opposée. La coalition tricolore a ainsi approuvé les réformes restrictives en termes d’octroi d’asile de l’Union européenne, tandis que la ministre de l’Intérieur Nancy Faeser a négocié des accords avec plusieurs dirigeants autoritaires nord-africains afin de maintenir les immigrés potentiels à distance des frontières européennes. La coalition « indivisibles » s’est dissoute en silence en 2022, concédant que « la dynamique du mouvement a vécu ». Relancer cet élan, comme le souhaite Die Linke, semble relever de la gageure…

À Berlin et à travers l’Allemagne, les ONG et mouvements progressistes comptent bien un certain nombre de victoires. Mais dans l’ensemble, ils semblent incapables de résister aux vents violents qui secouent la société. Reconstruire un parti autour de ce qu’il reste de la « société civile » paraît donc hasardeux. La déclaration de Janine Wissler, qualifiant Die Linke de « pôle de l’espoir », fait écho à cette impuissance. Ni son parti, ni aucun autre groupe progressiste en Allemagne n’est actuellement en progression : tout juste Die Linke peut-il espérer glaner 5 % aux prochaines élections et sauver les meubles…

À court terme, ce pari suffira peut-être à empêcher la désintégration totale du parti. Le gouvernement ayant renoncé à ses promesses de campagne et perdu toute crédibilité, Die Linke peut en profiter pour devenir le point de chute d’un fragment de l’électorat vert et social-démocrate. Mais ces reports ne constitueront pas une base solide. Die Linke jouissait autrefois d’une base de votants à l’Est – notamment des nostalgiques de l’ancienne RDA -, qui constituait une « bouée de sauvetage » parant à tout naufrage électoral. Cette base est désormais perdue. Ainsi, Die Linke semble condamné à se retrancher vers une coalition friable de votants, dont les choix dépendent de calculs politiques conjoncturels et de convictions fluctuantes. Supposons par exemple que les Verts prennent un virage inattendu à gauche lors de la prochaine campagne : rien n’indique alors que cette coalition ne volera pas en éclats. 

A suivre

Par Loren Balhorn, traduction Camil Mokaddem
Extrait de LVSL

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