Mesdames, Messieurs, Chères amies et amis,

C’est avec un très grand plaisir que nous vous accueillons ce soir pour fêter ensemble les 60 ans de l’ASBL Club Achille Chavée. L’ASBL n’a pas toujours porté ce nom-là. En 1963, lorsqu’elle se crée à l’initiative du Parti Communiste, un débat a lieu pour le choix du nom. A la verve poétique d’Achille Chavée qui propose comme nom « Le Drapeau qui flambe », Robert Guillaume, un militant de La Hestre s’insurge : « Un drapeau qui brûle ? « Astè sot Chavée ! ». Il avance une autre proposition : « Le Monde nouveau », plus conforme aux espoirs des militants qui rêvent et militent pour un monde meilleur. L’ASBL s’appellera donc « Le Monde Nouveau ». Outre le militant ouvrier (qui, soit dit en passant, a tout au long de sa vie militante associé l’action politique à une démarche culturelle populaire) et le poète le plus célèbre de la rue Ferrer, l’ASBL compte en son sein l’artiste peintre Hélène Locoge et son mari, l’ingénieur Albert Ludé, tous deux proches du mouvement surréaliste, le cardiologue Jacques Lemaître, le pharmacien Mauroit ainsi que l’instituteur syndicaliste, Gustave Piton.
Son siège se situe au 25 de la rue du Temple. Le bâtiment fut ensuite occupé par la radio libre Canal du Centre et l’est actuellement par la poissonnerie, le Loup de Mer. Nos anciens n’étaient guère conservateurs et peu soucieux de laisser les traces de leurs activités. On imagine donc que leurs activités correspondaient à l’objectif statutaire de l’association qui « a pour objet la promotion, la diffusion de l’instruction, de l’art, de la science et de la culture parmi les travailleurs…». Peu voire pas d’archives subsistent de cette période et parmi les traces qui demeureront, il y a des livres de mathématiques soviétiques, ouvrages réputés pour leur qualité et pour leur prix démocratique, ouvrages fort prisés par quelques professeurs des Arts et Métiers. Nous hériterons encore quelque temps du commerce de produits de bouche (sardines soviétiques, vodka, vins bulgares et objets artisanaux…) jusqu’en 1979.
Cette année-là, l’idée de relancer l’ASBL sur des objectifs plus culturels occupe l’esprit estival de deux couples : Christine Béchet et Frank Herlemont d’un côté, Françoise Flament et moi- même de l’autre. A la rentrée quelques amies et amis rejoignent le quatuor : il y a Liliane Dupont, Jacques Bénichou, Jack Houssa, Zoé Blusztejn (mieux connue sous le nom de Zouzou), Pierre Smirnoff.

1979, c’est le dixième anniversaire de la mort d’Achille Chavée. L’idée d’un changement de nom paraît comme une évidence : l’ASBL se nommera désormais Club Achille Chavée. En 1980, une première conférence est organisée par le Club Achille Chavée, avec Sœur Françoise Vandermeersch, une religieuse française qui, en mission au Cambodge, témoigne du sort des cambodgiens sous le régime des Khmers rouges et elle justifie dès lors l’intervention du Vietnam pour y mit fin. Cette conférence nous vaudra un article « surréaliste » en première page de la Nouvelle Gazette.
Dans la foulée, on quitte la maison de la rue du Temple devenue très vétuste pour la rue Hamoir, une maison de maître située face à la station essence Shell. Cette maison dispose d’une grande salle au rez-de-chaussée où les conférences et autres activités peuvent être organisées. Au 1er étage, un bureau et une petite salle de réunion. Le second étage sera aménagé en loft habité par Zouzou. L’ASBL change de direction, c’est Jack Houssa, directeur de la médiathèque de La Louvière qui en prend la présidence, Frank Herlemont en est le secrétaire avec Pierre Smirnoff comme adjoint et Zoé Blusztejn est la nouvelle trésorière.
Une page est ainsi tournée. Le Club Achille Chavée s’ancre délibérément dans une démarche culturelle et d’éducation populaire, engagé politiquement selon la « Virgule » d’Achille Chavée qui « regarde toujours à gauche ». L’ASBL garde son âme sans contrainte partisane et avec un esprit d’ouverture et de dialogue réels. En 1982, nous parvenons à capter, au nez et à la barbe de la commune de La Louvière (qui n’obtiendra le statut de ville qu’en 1985), l’exposition d’Inter-Environnement « Des villes pour vivre », énorme exposition sur la rénovation urbaine qui va nous imposer, durant quinze jours, une belle organisation pour accueillir de nombreuses classes et un assez large public. Il y a aussi plusieurs débats, une visite urbaine en bus de la SNCV (le TEC d’aujourd’hui, pour les moins de quarante ans)… C’est un succès, l’exposition sera même prolongée d’une semaine. Les réunions de l’équipe du Club Achille Chavée sont fécondes, enthousiastes et se terminent généralement Chez Mario à la rue de Bouvy. Les projets ambitieux.
Ainsi à deux reprises en 1984 et 1985, le CAC organisera une grande exposition de livres appelée L’Amour du Livre. Elles se tiendra dans la même salle de la rue des Amours où se tint « Des villes pour vivre », salle qui deviendra bien plus tard le Centre de la Gravure. Un large choix de livres provenant de multiples maisons d’éditions, une place importante aux livres d’enfants dont l’intérêt culturel et commercial n’échappera pas à celui qui ouvrira plus tard la librairie, « l’Ecrivain public », des conférences, un spectacle… de quoi boire… Une équipe renforcée par des « travailleurs temporaires » que le Ministre de la Culture nous a accordés, se relaient pour tenir les permanences. Toujours dans le domaine de la littérature, nous organisons, au Gilson, encore en 1984, une conférence sur les Fous littéraires avec André Blavier, pataphysicien et dans la foulée nous accueillons une pièce de théâtre « Les incontinences de la raison ou Kidonkefou », au Centre Culturel et sportif de Strépy-Bracquegnies. Vous aurez compris que le choix des activités tourne beaucoup autour de la littérature.
Le livre va rester le moteur de nombreuses activités. L’histoire du mouvement ouvrier en sera un autre. Le Club Achille Chavée a pris l’engagement de perpétuer la mémoire du combat des travailleurs de l’usine Anglo-Germain, par deux ouvrages dont les mémoires de Marcel Couteau et une exposition réalisée avec l’aide précieuse de l’historien Michel Host.
L’analyse de questions internationales nous préoccupe aussi avec de façon récurrente la solidarité avec le peuple Palestinien et de Cuba. L’Afrique fut également le thème de plusieurs conférences.

Mais ces activités ont quelque peu entamé l’énergie des animateurs bénévoles. En dépit de la présence de « permanents » temporaires, le Club Achille Chavée va alors connaître un certain essoufflement. Le noyau de base se repose petit à petit sur ces « permanents » et s’éteint progressivement. Les « permanents » se succèdent : Martine, Franco et Dany vont vite retrouver un emploi stable. Seule Anne-Marie ira jusqu’au bout de son contrat qui ne pourra être prolongé par un engagement statutaire… faute de moyens. Nous sommes en 1992, les coûts locatifs de la maison de la rue du Hamoir sont prohibitifs. Si nous ne manquions pas d’idées et de créativité pour les activités, nous sommes nettement moins performants pour trouver l’argent.
Nous sommes donc contraints de déménager et de revoir notre espace vital à la baisse. Nous trouvons donc un arrangement pour occuper une maison plus modeste, ici, au 34, rue Abelville. Se passe alors un temps de flottement durant lequel Zouzou et moi allons « tenir la maison » tant bien que mal. Nous sommes comme tétanisés. Pourtant, un projet ambitieux germe, mais comment le réaliser ? L’idée est d’organiser un colloque sur Les intellectuels en Wallonie. Une chose est sûre, le projet est énorme. Une autre est qu’on ne peut pas le réaliser seuls. On fait appel à notre ami Hubert Cambier, animateur de la Fondation Joseph Jacquemotte. On propose le projet aux rédactions des Cahiers Marxistes et de la revue Toudi de José Fontaine. On file à Aubervilliers, dans la banlieue parisienne pour rencontrer Jack Ralite qui en est le Maire. Il fut aussi Ministre communiste du premier gouvernement de François Mitterrand. Mais surtout, il est le fondateur des Etats généraux de la Culture. On profite de son portefeuille d’adresses (qui attire le compositeur Jean-Claude Petit au colloque et le poète et éditeur Bernard Noël) et on profite aussi de nos partenaires des CM et de Toudi qui vont étoffer l’important panel d’intervenants. Il y a évidemment aussi Jean Louvet, co-auteur du Manifeste Wallon. Jean va rester un ami fidèle du Club…
En novembre 1992, dans le réfectoire de l’Athénée de La Louvière, nous tenons ce colloque qui rassemble près d’une centaine de personnes. Un numéro des Cahiers marxistes lui est entièrement consacré. On a réussi notre pari au-delà de ce que nous imaginions et découvert aussi les vertus du partenariat. Vont alors se succéder dans notre local une série d’expositions de jeunes artistes de la région dont ce sera pour certains une première occasion d’exposer leurs œuvres.
L’ACJJ obtient un subside de la Région wallonne pour engager une personne qui sera détachée au Club Achille Chavée. Ce sera d’abord Marie- Christine Latour qui organisera à deux reprises des déplacements à la Fête de l’Humanité avec Jean Liemans comme chauffeur de car.
Au tout début des années 2000, Sandro Baguet et Martine Godenir (qui a remplacé Marie- Christine comme animatrice) apparaissent dans le giron du CAC. Avec eux, notre association va connaître un bain de jouvence salutaire et retrouver un réel dynamisme créatif. Aidés par d’autres peaux rouges qui ne marchent pas dans la file indiennes, Stéphane Mansy, Denis et Sylvain Michiels et d’autres jeunes dont les sœurs chiliennes filles de réfugiés politiques installés à Morlanwelz. Ils vont organiser, dans la salle des Fêtes du Roeulx, une Fête du 1er mai hors normes qu’ils baptisent Lucha y Fiesta. Le concept est à la fois politique et culturel, engagé et festif. Un débat politique ouvert, un festival de musiques alliant le ska et le rock, des stands associatifs, à boire et à manger… Autour d’eux, un large groupe d’amies et d’amis se partagent les tâches.
La première fête rhodienne est une réussite. Plusieurs fêtes Lucha y Fiesta se succèderont pendant 3 ou 4 ans au Cercle horticole d’Houdeng-Goegnies. Les invités aux débats couvrent tous les milieux progressistes, de Pierre Beauvois à Maria Arena en passant par le député bourgmestre PSC de Charleroi, Jean-Jacques Viseur et l’entarteur Noël Godin, de Catherine Fonck à Olga Zrihen, de Pierre Galand à Josy Dubié. Les concerts attirent un incroyable nombre de jeunes de toute la région et au-delà. Cet événement politique, culturel et festif s’interrompra en 2005. Le 1er Mai du CAC se tiendra alors de façon plus modeste au local.

Je souhaiterais aussi souligner les partenariats qui nous permettent d’élargir et de mêler les publics. Ils s’inscrivent dans la solidarité comme nous le faisons avec nos amies et amis de la Marche des Migrants ou avec le CEPRé. Dans un souci aussi de partager nos réflexions notamment avec L’Extension de l’ULB, la Maison de la Laïcité, Picardie laïque et le Mouvement Ouvrier Chrétien. Ces derniers partenariats nous ont permis d’accueillir devant un large public, des personnalités comme Riccardo Petrella, ancien commissaire européen et militant inlassable pour le droit à l’eau, Bernard Thibault, ancien dirigeant de la CGT française, mais aussi représentant syndical de la Confédération européenne des Syndicats auprès de l’Organisation Internationale du Travail, Arthur Borriello, un enfant du pays Docteur es Sciences politiques, Jean-Jacques Claustriaux, statisticien, ancien vice-recteur de l’Université de Gembloux qui nous parla de ce que l’on fait dire aux chiffres et le Juge Claise, connu pour son inlassable combat contre les fraudes fiscales.
Je ne vais pas énumérer toutes les activités réalisées par le CAC, ces dernières années. J’en épinglerai toutefois une : c’est l’atelier « Enseignement et numérique » qui s’est tenu durant deux ans pour déboucher sur l’édition d’un petit livre L’enseignement est-il soluble dans le numérique, paru en septembre dernier aux Editions du Cerisier.
Enfin, je terminerai par une initiative du Club Achille Chavée qui ne s’inscrit pas dans le cadre de l’éducation permanente pour adultes, mais répond manifestement à un très grand besoin : c’est l’école de devoirs « Les Loupiots d’Abelville », qui accueille chaque année depuis plus de dix ans, une vingtaine d’enfants du quartier pour un soutien scolaire les mardis et jeudis après-midi et le mercredi pour des activités culturelles, récréatives, nature, etc. Je m’en voudrais de ne pas citer pour les féliciter et les remercier l’équipe actuelle d’animatrices bénévoles de cette école : Annette, Christiane, Martine D., Françoise, Corine, Martine G., Chantal, Irène, Ornella, Jacqueline, Martine R, (Les Loupiots d’Abelville), c’est un nouvel épisode des aventures de Martine à l’Ecole des Devoirs), Anne, Michèle, Nathalie… dont plusieurs sont aussi des aides indispensables – comme ce soir -au bon déroulement d’activités du Club.
Merci les amies et bravo pour votre dévouement et votre travail extraordinaire. Je vous remercie pour votre attention.
Jean-Pierre Michiels