
Le mur des Lamentations et la mosquée al-Aqsa
C’était le six avril, en soirée, je peux enfin m’exprimer autrement que dans mon mauvais anglais. Ali a été invité à nous rejoindre, il me servira de traducteur. Il a vécu 20 ans à la Martinique. A la mode arabe, des matelas sont disposés autour de la pièce, une nappe en plastique étendue au milieu. Un repas appétissant se termine, les plats sont vides. Un verre de thé fortement sucré à la main, mes nouveaux amis, Naeem Saad, Ismaeel Sarraj, le Président du camp et Jassin Jad, mon hôte, m’entourent. D’autres nous rejoignent, des jeunes surtout, qui témoigneront de leur désespérance. Vous le comprendrez aisément à la lecture de nos échanges que je retrace ici le plus fidèlement possible.
Parlez de nous. Expliquez nos conditions de vie. Aidez-nous.
Ces demandes furent formulées des dizaines de fois durant ce court séjour. Laissons-leur la parol
Entretien.
R.T. : L’entrée du camp est marquée par une inscription « 50 years ». Vous étiez jeunes lorsque vous avez été expulsés de vos maisons. Quels sont vos souvenirs ?
Réponse : Les souvenirs se mélangent, se complètent. Brusquement, des militaires israéliens ont envahi notre maison. Toute la famille est expulsée manu militari, sans avoir le droit de rien emporter. Nous avons marché pendant trois jours sans boire, sans manger. Des cadavres de personnes assassinées gisaient le long de la route. Les militaires nous ont dépouillé de notre or et de notre argent. Arrivés à Ramallah, nous avons été chaleureusement accueillis et nourris par des familles chrétiennes. Pendant six à sept ans, nous avons vécu dans des tentes. Comme nos familles avaient été dispersées, nous avons dû attendre 1967 pour retrouver nos parents. A ce moment, éclatait la guerre des 6 jours qui nous obligea à un nouvel exode. Par la suite, les gouvernements canadien, italien et français entre autres, nous ont aidés à construire nos maisons en dur, très exiguës pour nos grandes familles puisqu’elles ne mesuraient que trois mètres sur trois.
R.T. : Quelles sont aujourd’hui vos conditions de vie ?
Réponse : Ma maison comporte deux pièces, dit Naeem, dix personnes s’y entassent. Aucune intimité n’existe donc. Au fur et à mesure des années et surtout en fonction des rentrées financières, nous tentons d’agrandir ces constructions. Notre vie est difficile, nous gagnons peu d’argent, à peine de quoi nourrir nos grandes familles.
R.T. : Croyez-vous sincèrement retourner un jour dans votre région natale ?
Réponse : Nous sommes persuadés que nous retournerons chez nous et que nous pourrons reconstruire notre maison. Nous supportons nos difficiles conditions de vie dans l’espoir de rentrer chez nous. Nous vivons la même vie que les gens du village de Silwad mais nous sommes des étrangers ici, même si nous sommes Palestiniens.
R.T. : Quelles sont les tracasseries auxquelles vous devez faire face ?
Réponse : Nous avons peu de libertés de mouvement. Nous ne pouvons pas rendre visite à nos familles à Gaza ou Jérusalem. Partout, les Israéliens nous arrêtent, contrôlent nos papiers, nous fouillent. Nous pouvons être arrêtés et jetés en prison sans aucun motif. On nous considère comme des terroristes parce que nous fréquentons la mosquée. Souvent et surtout sans raison, les Israéliens coupent l’eau ou l’électricité, parfois pendant plusieurs jours. En jouant sur le prix des marchandises ou en laissant pourrir les produits dans leurs entrepôts, ils entravent notre production agricole. Souvent aussi, dès 6 heures du matin, des barrages sont dressés qui nous empêchent de nous rendre sur notre lieu de travail et, à 9 heures, quand ils sont levés, la journée est finie. Pour aller à Gaza, nous devons posséder des papiers spéciaux qui nous sont de toute manière refusés.
R.T. : Parlez-moi de l’Intifada.
Réponse : Tout le monde y a participé, jeunes, vieux, hommes et femmes. Les Israéliens entraient dans les camps pour capturer nos jeunes et les jeter en prison. Nous avons tenté de les en empêcher en jetant des cailloux. Les militaires ont souvent tiré à balles réelles. Cinquante personnes de notre camp ont été blessées. Nous avons déploré cinq décès. Quarante personnes du village sont toujours emprisonnées, et ce pour encore longtemps – il n’y a pas eu de jugement – simplement pour avoir jeté des pierres sur les militaires. Actuellement, nous exigeons que nos frères soient libérés avant de parler de paix avec les Juifs. Les prisons sont dans le désert et les familles ne peuvent rendre visite aux prisonniers qu’une fois par mois.
R.T. : Quelle est la vie d’un jeune Palestinien ?
Réponse : Nous avons peu de travail : deux ou trois jours par mois. Nous vivons à charge de notre famille.
R.T. : En Israël, des partis et mouvements progressistes luttent pour la défense des droits du peuple palestinien. Avez-vous des contacts avec eux ?
Réponse : Ils sont peu nombreux et n’ont pas d’influence. Avec les Israéliens, nous n’avons que des contacts de travail, de patron à employés.

Rencontre avec des militants israéliens dont Michel Warschawski (pull rouge)
R.T. : Qu’attendez-vous de la déclaration d’indépendance qu’Arafat devrait prononcer le 4 mai ?
Réponse : Elle n’aura pas lieu à cause des élections israéliennes du 17 mai. Si elle ne survient pas rapidement toutefois, l’Intifada reprendra.
C’est aussi la conclusion personnelle que j’ai tirée de ce séjour. La guerre des pierres reprendra. Elle n’a pas cessé totalement. Des heurts réguliers opposent jeunes Palestiniens et militaires israéliens. Il y a trois mois, deux jeunes dont un de Silwad, ont trouvé la mort lors d’un de ces affrontements. Balles de caoutchouc ? Sûrement pas !
Robert Tangre
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13 novembre 2023
La situation en ce jour est bien pire que ce que je n’avais craint. Après les tristes événements du 7 février dernier, la colère gagne la Cisjordanie. Devant les bombardements incessants, les Palestiniens sont solidaires de ceux de Gaza qui s’enfuient et pleurent les milliers de morts civils innocents. La région risque de se soulever à son tour. Depuis mon séjour de Palestine, la situation ne cesse de se dégrader surtout depuis les gouvernements de Sharon et Netanyahou. Les colons viennent s’installer d’autorité dans leur région. Ceux-ci construisent bien souvent sur le sommet des collines auxquelles ils accèdent par des routes que ne peuvent emprunter les Palestiniens, routes qui sont protégées par l’armée israélienne . Ces occupants sont souvent très religieux et font appel à leur histoire biblique pour justifier leur présence. Ils sont armés par l’Etat et font souvent partie de mouvements d’extrême droite. Le pire risque de se produire et un nouveau bain de sang pourrait survenir.
Robert Tangre