
Chez nos voisins du sud, la situation politique et économique diverge de la nôtre. Le coup d’État de Napoléon III crée un deuxième empire en face duquel la Prusse constitue une Allemagne centralisée. 1870 voit l’effondrement du rêve impérial et la naissance de mouvements ouvriers. Une situation économique complexe se crée. Le Nord s’industrialise à l’exemple de l’Angleterre et de la Belgique tandis que les provinces d’outre Loire restent à la traîne. Cependant, contrairement à la Belgique, le besoin de main d’œuvre non qualifiée dans les charbonnages ou les usines du Nord n’est pas compensé par un déplacement des agriculteurs du Centre ou de l’Ouest. La plupart de ceux qui désertent les campagnes s’installent dans les grandes villes proches de leurs villages ou à Paris. Les bougnats* du Massif Central, les Bourguignons ou les Bretons ne montent pas dans le Nord.
Durant la période de 1850 à 1881, en Belgique, la maladie de la pomme de terre occasionne des famines en Flandre tandis que dans le Sud à peine industrialisé, les crises économiques entraînent la paupérisation d’une classe prolétarienne misérable.
La conjonction de ces deux faits socio-économiques va entraîner une forte émigration belge vers le Nord de la France. En Flandre française, on voit affluer de nombreux petits agriculteurs de Flandre occidentale (Ypres, Menin) ruinés et à la recherche de travail. Ils constituent une masse de main-d’œuvre essentiellement agricole qui va s’étaler jusqu’aux rives de la Loire.
Plus tard, leur ténacité au travail va leur permettre d’acquérir des fermes et de faire souche dans une grande partie de l’Ouest de la France. D’autres se présentent aux mines du Nord, Pas-de-Calais et s’y mêlent aux drapiers du Tournaisis, aux mineurs du Borinage et du Centre. L’émigration, par contre, est moins importante en Pays de Charleroi. Seuls les cantons proches de la frontière vont fournir d’importants contingents de travailleurs frontaliers vers les ateliers de la vallée de la Sambre.
Cette immigration de main-d’œuvre étrangère est favorisée par les autorités françaises pour compenser un déficit démographique. En 30 ans, le nombre d’étrangers passe de 380.000 en 1851 à plus d’un million en 1881. Les Belges forment alors la plus importante communauté étrangère en France et cela jusque vers 1900. En 1879, la population française se présente comme suit : 36.104.034 Français côtoient 375.000 Belges, 165.000 Italiens, 68.500 Espagnols, 50.200 Suisses, 60.000 Allemands ( ce sont en majorité des Alsaciens n’ayant pas voulu subir le rattachement de leur province à la Prusse au lendemain de la défaite de 1870) et enfin 30.000 Anglais.
Ces populations étrangères ne sont d’ailleurs pas mélangées de façon homogène à la population autochtone. Les archives du Ministère des Affaires étrangères belge en 1887 donnent une idée de la répartition des Belges d’après le nombre de dossiers traités par les consuls et l’Ambassade de France.
La plus grande partie de nos compatriotes se situe dans un croissant depuis le bassin lorrain, diminuant face aux Ardennes où le nombre de frontaliers est faible (Sedan, Charleville, Laon) et gagnant ensuite en importance à la fois en densité et en aire géographique dans la région partant d’Avesnes, Saint-Quentin et jusque dans la région de Dunkerque- Boulogne.
Comme nous l’avons dit : la présence de petits agriculteurs flamands, et journaliers bien qu’attestée, ne se marque que de façon épisodique dans l’Ouest de la France, au nord de la Loire. On note aussi la présence de pêcheurs flamands dans les petites villes côtières de la Manche.
Quant aux Italiens et Espagnols, ils sont essentiellement regroupés dans les régions proches de leurs pays d’origine. Ces notions très largement résumées sont extraites de « L’Année diplomatique » de 1904. A ce moment, la communauté belge n’est plus la plus importante. Ce rôle est maintenant tenu par des Italiens. C’est une des périodes les plus marquantes pour l’émigration italienne. Cela ne signifie pas que les Belges sont devenus moins nombreux par un retour massif dans leur pays d’origine. En effet, étant de cultures très semblables et de même langue, un grand nombre de ceux-ci sont devenus de bons citoyens français sans qu’ils en fassent la demande.
Ainsi donc, voici un exemple où des Belges ont dû demander ailleurs la possibilité d’exister par leur travail. Faut-il rappeler que dès le 16e siècle, beaucoup de nos compatriotes durent s’exiler pour garder le droit à exercer librement leur religion, ce qui se renouvela au 17e siècle. Durant cette période, nombre de nos « ferons » (travailleurs du fer) quittèrent la Belgique (qui formait alors les Pays-Bas) pour la Suède pour pouvoir exercer leur métier d’une manière plus rentable.
N’oublions pas, non plus, les émigrants belges du 18e siècle vers les Indes. Ceux du début du 20e siècle vers l’Amérique du Nord, ceux qui furent envoyés par le gouvernement belge dans des essais de colonisation au Brésil et en Amérique centrale. Ce fut le cas au Guatemala où leurs descendants quoique devenus Guatémaltèques gardent des noms de famille bien de chez nous (Dupuis, Vanderelst, Meunier,…). Quant à l’émigration belge vers l’Afrique centrale, elle ne fut jamais que temporaire et loin d’être une œuvre de civilisation. Elle fut surtout une entreprise commerciale marquée dès le début par de nombreux excès.
* Nom familier et vieilli : marchand de charbon, qui tenait souvent un café.
A suivre
Roger Nicolas