
Vers la fin de l’année 1907, les négociations entre la CGT et les syndicats indépendants se précisèrent, ce qui entraîna une controverse dans L’Insurgé, notamment entre Henri Fuss et Georges Thonar, controverse qui prit le tour d’un débat théorique sur le « néosyndicalisme ». Mais finalement les négociations aboutirent, le 19 avril 1908, à Liège, au congrès fondateur de la Confédération syndicale belge (CSB), qui atteint les 5 000 adhérents. Les syndicalistes indépendants – et notamment les 3 000 diamantaires d’Anvers, très corporatistes – y étaient prépondérants et, selon les mots de Christian Cornélissen dans L’Insurgé du 29 avril 1908, « la nouvelle organisation est bien loin d’être révolutionnaire. Néanmoins tous les petits syndicats à base d’action directe existant dans le pays, et notamment la Fédération du travail de Liège, s’y sont ralliés dans l’espoir de l’orienter peu à peu dans leur propre sens ».
Las, le syndicalisme révolutionnaire allait en s’affaiblissant. Trop en difficulté, L’Action directe fusionna en novembre 1908 avec L’Insurgé pour donner L’Avant-garde, où Thonar et Fuss se retrouvèrent tous deux. L’Avant-garde se voulait organe de « concentration révolutionnaire » et voulait rassembler « tous ceux qui, socialistes, syndicalistes, anarchistes veulent coopérer à la lutte révolutionnaire contre l’État autoritaire et le capital exploiteur ». La tentative fut un échec – L’Avant-garde n’eut que 7 numéros – et Thonar tenta alors de relancer L’Insurgé, qui dut également s’arrêter au 7e numéro, en janvier 1909.
Sans doute découragé par cette impasse, Henri Fuss s’installa à Paris où vivait déjà son frère aîné Gustave. Du 20 décembre 1908 au 7 janvier 1909, il vécut au 35, rue de l’Arbalète, puis rue Vauquelin, chez un ami polonais venu de Belgique, Boleslaw Iwinski. À compter de janvier 1909, il travailla comme correcteur à l’imprimerie Alcan Lévy, 117, rue Réaumur et reprit, pour les achever, ses études de juriste.
En février-mars 1909, il collabora à l’éphémère quotidien La Révolution, d’Émile Pouget puis, à partir d’octobre, au bimensuel syndicaliste révolutionnaire de Pierre Monatte, La Vie ouvrière. Il y signa dès le premier numéro sous le nom d’Henri Amoré.
Pendant ce temps, la CSB végétait. Le syndicat des diamantaires d’Anvers, uniquement préoccupé de ses intérêts corporatistes, lui donna en janvier 1910 le coup de grâce en passant un accord de coexistence avec les syndicats anversois affiliés au POB.
Fin 1910, Henri Fuss-Amoré fut embauché comme secrétaire à l’Association internationale pour la lutte contre le chômage fondée le 22 septembre 1910 lors d’un congrès international à la Sorbonne réuni sous les auspices de l’ancien président du conseil Léon Bourgeois. Il fut également secrétaire de rédaction de sa revue trimestrielle.
Il restait cependant lié au mouvement ouvrier belge. Il donna des articles au journal anarchiste éclectique L’Émancipateur, qui parut de septembre 1910 à mars 1913. Le 31 décembre 1911, il soutint une controverse « centralisme ou fédéralisme » contre le socialiste Louis de Brouckère. Son discours fut publié par l’Union des syndicats de la province de Liège dont le journal, L’Action ouvrière, comptait Fuss parmi ses collaborateurs. Et quand une nouvelle CSB fut fondée à Liège, les 19 et 20 octobre 1913, sur des bases d’action directe et d’indépendance vis-à-vis du POB, Henri Fuss-Amoré s’en fit le promoteur dans La Vie ouvrière.
Le 25 mai 1912 il épousa une doctoresse polonaise, Frania Alden, dont il eut une fille, Mimi.
Au début de la Première Guerre mondiale, Henri Fuss devint fonctionnaire à l’Office de placement et de statistique du travail du département de la Seine. Le 28 février 1916, il fut l’un des signataires belges – avec Jules Moineau – du « Manifeste des seize » (voir Jean Grave) en faveur de la guerre contre « l’impérialisme allemand ». Il collabora alors à La Bataille, ex-Bataille syndicaliste, devenu organe cégétiste d’union sacrée. En 1917, Henri Fuss fut engagé volontaire dans l’artillerie belge.
Démobilisé le 1er février 1919 avec le grade d’adjudant aspirant sous-lieutenant, il devint fonctionnaire au ministère belge de l’Industrie, du Travail et du Ravitaillement. En 1920, il partit travailler à Genève, au Bureau international du travail, où il resta seize ans.
Rappelé à Bruxelles par le gouvernement Van Zeeland, et malgré les réticences du roi Leopold III à signer sa nomination en raison d’une peine de prison pour objection de conscience, il fut nommé en 1935 Commissaire royal au chômage, puis directeur général du ministère du travail en 1938.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il rejoignit la résistance et participa à la reconstitution du parti socialiste belge clandestin. À partir d’octobre 1941, en tant que haut fonctionnaire, il fut la cheville ouvrière de la « concertation sociale » clandestine entre patronat et syndicats chrétien et socialiste pour jeter les bases du « pacte social » de 1944.
À son décès, en 1964, il était considéré comme un des « pères » de la Sécurité sociale belge.
Par Guillaume Davranche, Rolf Dupuy
Extrait de Maitron (dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier et social)