Le coup de grisou du puits Pêchon à Couillet le 7 novembre 1972

La dernière catastrophe minière du Pays Noir


Couillet, le 7 novembre 1972 rue de Marcinelle, le siège numéro  25 dit du Pêchon des charbonnages de Monceau-Fontaine dresse ces deux énormes châssis à molettes les plus hauts de la région avec ceux d’Anderlues et du puits numéro 10 de Forchies, dans le ciel couilletois. Ce charbonnage fait partie des 8 derniers encore en activité dans le bassin de Charleroi-Basse-Sambre. Ce sera le prochain de la société de Monceau-Fontaine qui devra fermer. Peu de temps avant, le 15 août, la société avait fermé le numéro 14 à Goutroux. Pour le numéro 25, ce sera chose faite le 31 mars 1975 ainsi la décider le CMCES (Comité Ministériel de Coordination Economique et Socialc). A ce moment, l’industrie charbonnière carolorégienne entre tout doucement dans la dernière décennie de son existence séculaire.

Le Pêchon est appelé ainsi car les mineurs qui y travaillaient avaient eu autrefois les pieds dans l’eau et on les surnommait les pêchons. En 1972, ce n’est plus guère le cas. Le siège est bien équipé et très mécanisé. Il est pourvu de deux puits de 5 m de diamètre ce qui autorise une extraction intensive. Ce tableau est permis par la présence massive de grisou à l’instar de tous les travaux situés sous Marcinelle dont le sinistre « Bois du Cazier ». Le numéro 25 est classé « catégorie 3 » par l’administration des mines ce qui signifie en clair : « Risque de dégagement instantané de grisou ». En 1952,  ce siège fut d’ailleurs le théâtre d’un coup de grisou.

Les galeries du charbonnage courent très loin dans le sous-sol à des kilomètres des puits. L’une d’entre elles, celle de l’étage 930 dessert un chantier qui se situe à 6 km de l’envoyage. On y trouve plusieurs tailles donc la 930 – 3.

On y extrait du charbon dans une veine de belle allure comme disent les mineurs. La taille 3 mesure quelques 220 mètres et a une ouverture qui va de 1 mètre 50 à 2 mètres (ce qui met à mal l’affirmation péremptoire affirmant que toutes les veines wallonnes étaient de faible épaisseur). Située à la limite de la concession du célèbre « Bois du Cazier », cette taille permet un gros rendement d’extraction. Outre son éloignement, son seul véritable problème est qu’elle est très grisouteuse. Mais à Monceau -Fontaine, on a su apprivoiser le méthane puisqu’on effectue de nombreux forages en veine afin de le récupérer et de le valoriser. Les accidents dus à ce gaz ont fortement diminué dès la fin des années 50. Les émanations résiduelles sont évacuées par l’aérage. Un contrôle strict qui s’ajoute à des mesures draconiennes imposées par l’Administration des Mines a rendu le risque bien moins probable. Et pourtant…

L’extraction a commencé en ce 7 novembre. Les mineurs ont gagné les chantiers et se sont attaqués à ce charbon qui déjà ne fait plus partie de l’avenir du Pays Noir. Les moyens d’extraction ont bien changé : dans beaucoup de tailles, on a recours au rabot.

Celui-ci tracté par des moteurs puissants, arrache au passage des pans entiers de charbon qui est évacué par un convoyeur, blindé le panzer. Le marteau pic n’est plus utilisé que dans certains travaux, ainsi que pour la préparation et le nettoyage du front de taille. Comme dans les autres fosses survivantes, la pause du matin est vouée et à la production, alors que les travailleurs de l’après-midi et de la nuit procèdent à l’entretien, à la remise en ordre, au nettoyage et à la préparation du matériel pour l’extraction.

Dans la taille 930.3, comme à l’accoutumée, du grisou s’échappe du toit de la veine. On s’en inquiète mais on sait que le phénomène est normal dans cette zone de Marcinelle.


Peu avant 10 heures, les 10 hommes qui sont près de l’envoyage entendent un bourdonnement sourd qui provient  du bouveau principal. Ce bourdonnement est semblable au grondement du tonnerre et s’accompagne presqu’aussitôt d’un déplacement d’air conséquent, d’une onde de choc et d’un nuage de poussières: un coup de grisou! Les quelques mineurs occupés à l’envoyage ont ressenti tout cela et prennent peur. Ils sonnent la cage et remontent à la surface où ils donnent l’alerte . Là aussi, le personnel occupé à la recette et aux abords des puits a entendu le bruit étrange.

La centrale de sauvetage de Marcinelle est prévenue et dépêche aussitôt une équipe de 10 hommes avec du matériel en suffisance. Le personnel du fond est remonté mais il manque neuf hommes.

Les sauveteurs descendent. Une fois à l’étage 930, il faut  déchanter: à mesure que l’on se dirige vers la taille 3, la poussière gorge de plus en plus l’air chaud qui circule dans les galeries. Très vite, on dénombre 3 blessés que l’on dégage et que l’on remonte. Il s’agit de Camillo Ferrante, un Italien de 40 ans résidant à Marcinelle, de Mohamed Bensnanin,  Algérien de 30 ans de Charleroi et de Mohamed Attbouda, Marocain de 36 ans de Viesville. 

Impossible  de s’approcher plus près de la 930-3, la poussière de charbon et la chaleur s’ajoutent au grisou qui continue à s’échapper du chantier sinistré pour rendre l’air irrespirable, malgré les appareils respiratoires dont sont munis les sauveteurs.

On place des humidificateurs d’air pour désaturer l’atmosphère de la poussière en suspension, mais le efficacité est limitée. Il faudra longtemps pour dégager cet air vicié.

Les sauveteurs n’auront pas la tâche facile car il faut opérer au départ d’un poste situé à 6 km du lieu de la déflagration. Finalement, l’air va se décharger de la poussière et on va pouvoir se rendre à la taille 3. Nouvelle déception : 80 tonnes de charbon pulvérisé par le coup de grisou encombrent le bouveau et le chantier. Cent cinquante wagonnets sont à charger et à enlever. Les sauveteurs s’épuisent rapidement et doivent être relayés très souvent. On les voit remonter avec les traits fortement marqués par la fatigue. Un premier corps est dégagé, celui de Haïdar Persinel, un mineur turc habitant Couillet.

Les 5 autres victimes sont retrouvées dans la masse du charbon pulvérisé: Jules Rase de grand Rosière, père de 8 enfants; Giorgio, Franco, Italien, de 42 ans de Rêves, Julien Pizzaro, Espagnol, 25 ans de Couillet; Francesco Agedo, Espagnol de Montignies-sur-Sambre. Ils ont été instantanément ensevelis dès que l’explosion a soufflé tout sur son passage.

Le coup de grisou du 25 de Monceau-Fontaine sera le dernier du bassin carolorégien et même de la Wallonie. Un ultime coup de grisou se produira en Campine durant les années 80 avant que ne meurent à leur tour les mines campinoises.

Gilles Durvaux

A suivre

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