Le tournant de 2010

Résultats électoraux du Fidsz
Mais après un premier passage à la tête du gouvernement de 1998 à 2002, l’homme fort du Fidesz connaît sa traversée du désert et survit de justesse à huit années dans l’opposition. Viktor Orbán est alors bien aidé par la déliquescence de la gauche hongroise, qui ne s’est jamais relevée depuis. Proposant une alternative radicale, sa victoire en 2010 est sans appel et sonne le coup d’envoi d’un véritable durcissement du discours et de la politique mise en œuvre.
Fort d’une majorité des deux tiers au Parlement, le système Orbán peut se mettre en place. Le Premier ministre a les mains libres pour changer la Constitution à son avantage. Comme le résumait déjà le journaliste d’origine hongroise Thomas Schreiber (1929-2015) à Toute l’Europe en 2014 : “sans devenir pour autant une dictature, le système ne permet plus l’alternance, en raison du fonctionnement verrouillé du ‘régime Orbán’ ”. Par certains aspects, ce dernier s’apparente à celui de Vladimir Poutine en Russie, avec une pratique “autoritaire et personnelle du pouvoir” et le déploiement d’une fidèle oligarchie aux postes clés de la politique, des médias, de l’université et de la culture.
Les mandats suivants de Viktor Orbán ne feront que confirmer cette orientation radicale et liberticide. Considéré comme une faiblesse, l’état de droit est limité. “Dans ces Etats forts, il ne doit rien y avoir entre le chef et son peuple : il faut imposer le silence aux associations, aux syndicats, aux partis d’opposition et à tous les citoyens qui contestent la vision religieuse, voire ethnique, de la nation que défendent les dirigeants”, expliquait en 2018 le philosophe Michaël Fœssel. Un mode de gouvernement d’autant plus facile à imposer dans des pays où la démocratie libérale n’est pas implantée de longue date, comme en Hongrie ou en Pologne.
“Solidarité flexible” vis-à-vis des réfugiés
Et face à Viktor Orbán, les Européens se sont montrés plutôt impuissants pour infléchir ses positions, même lorsque la confrontation entre la Hongrie et la majeure partie de l’Union européenne s’est faite de plus en plus brutale, dans le contexte de l’éclatement de la crise migratoire en 2015. Le dirigeant hongrois s’est alors sèchement opposé aux propositions de Jean-Claude Juncker de répartir les demandeurs d’asile dans l’ensemble des Etats membres sur la base de quotas. Fédérant autour de lui les pays du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), Viktor Orbán a plutôt développé le concept de “solidarité flexible”. Une manière policée d’affirmer que l’UE sera incapable d’imposer l’accueil de migrants aux pays qui y sont opposés, et peu importe que la charge ne revienne qu’à une poignée d’Etats du pourtour méditerranéen.

Située sur la “route des Balkans” – et donc concernée par des arrivées massives -, la Hongrie n’a pas tardé à réagir en fermant ses frontières et en détenant des demandeurs d’asile dans des conditions dénoncées par l’ONU. En 2016, Viktor Orbán va jusqu’à convoquer un référendum pour faire approuver par ses électeurs le rejet des quotas de répartition voulus par Bruxelles. Une consultation approuvée à 98 % des votants, mais qui n’a suscité que 44 % de participation, invalidant le scrutin et atténuant fortement la démonstration de force du chef du gouvernement hongrois.
Mais à force d’outrances, de provocations et d’entorses aux valeurs de l’UE, Viktor Orbán a logiquement pris le risque de voir la Hongrie mise au ban des Etats membres, à l’image de la Pologne, et de perdre le soutien si précieux du PPE. Aussi habile pour exploiter ses forces que pour composer avec ses faiblesses – le Premier ministre a bénéficié de bonnes performances économiques de son pays au cours de la précédente décennie et n’a pas pâti du creusement des inégalités – l’homme fort de Budapest était ainsi toujours parvenu à maintenir le lien avec les conservateurs européens. Une relation qui sera finalement complètement rompue en 2021, lorsque le Fidesz – qui en était déjà suspendu depuis 2019 – quitte de lui-même le PPE. Si certains apparaissaient mal à l’aise lorsque le parti hongrois faisait encore partie de la famille politique des conservateurs européens, comme ses membres scandinaves du PPE, d’autres n’étaient pas loin de partager ses vues, notamment sur le plan migratoire.
“Talon d’Achille” de la droite européenne
A l’approche des élections européennes de mai 2019, la donne a toutefois changé. De fait, soutenir une personnalité aussi clivante que Viktor Orbán avait de quoi constituer un handicap de taille pour des partis conservateurs de plus en plus concurrencés par des formations d’extrême droite et/ou antisystème. C’est ce qui a incité, en septembre 2018, la plupart des membres du PPE à “lâcher” le Premier ministre hongrois, visé par un rapport du Parlement européen pour ses infractions à l’état de droit. Même la CSU bavaroise et l’ÖVP autrichien, d’ordinaire plutôt complaisants vis-à-vis du Fidesz, n’ont pas soutenu Viktor Orbán, le laissant seul avec une poignée de soutiens, venus notamment de Forza Italia de Silvio Berlusconi et d’une partie des Républicains français.
Ainsi, comme l’expliquait le politologue bulgare Ivan Krastev en 2017, Viktor Orbán n’avait d’autre choix que d’essayer de “maintenir l’immigration comme le principal sujet pour la politique européenne”, et d’utiliser “l’anxiété causée par la crise des réfugiés pour pousser le PPE à adopter des positions habituellement associées à l’extrême droite”. Mais la baisse du nombre d’arrivées jouait contre le dirigeant hongrois qui apparaissait, selon M. Krastev, de plus en plus comme le “talon d’Achille” de son camp, laissant croire à une possible exclusion, ou du moins à une marginalisation.
Au Parlement européen de Strasbourg en septembre 2018, face aux eurodéputés puis aux journalistes, Viktor Orbán a opté pour le clash. “Nous lutterons contre l’inondation de l’Europe par les migrants”, a-t-il notamment martelé dans une ambiance électrique. Regard d’acier et posture de combat, le Premier ministre n’a jamais perdu son calme, comme galvanisé par son infériorité numérique.
Mais le PPE, premier groupe politique du Parlement européen, a fini par exclure temporairement le Fidesz de ses rangs en mars 2019. En pleine campagne électorale, le Premier ministre avait en effet multiplié les provocations sur le thème de l’immigration, mais surtout vis-à-vis de la Commission européenne et de son président. “L’enfant terrible” du PPE avait en effet, pour ses détracteurs, dépassé les bornes en lançant une campagne d’affichage hostile à Jean-Claude Juncker. Depuis, et malgré sa victoire sans appel aux élections européennes avec 52,5 % des voix, le Fidesz a fini par quitter le PPE en mars 2021.
Jules Lastennet, mis à jour par Boran Tobelem
Extrait du site « touteleurope.eu »
A suivre