Vacances forcées en 1944

J’étais étudiant à l’Université du Travail à Charleroi dans la section machines-outils quand au début avril 1944, je reçus une convocation pour me rendre à la Werbestelle. Je ne savaisis pas de quoi il s’agissait car je n’avais que 18 ans. De toute manière, cela signifiait une déportation en Allemagne aussi je résolus de ne pas m’y rendre.

Mon père en parla à son oncle Victor Massart qui habitait le Ry de Fromont à Sautin. Cet oncle m’offrit l’hospitalité dans sa maison. Je devais abandonner mes cours mais car cela ne tienne, sécurité oblige. Je partis donc sans tarder en compagnie de ma mère, mon frère et mes sœurs.

Partis à pied de Marcinelle le matin, nous sommes arrivés le soir au Ry de Fromont. Nous nous installâmes chez notre grand-oncle. Celui-ci logeait dans une ferme à Eppe Sauvage où il était domestique.

Quelques jours après, pour ne pas rester inactif, je suis embauché au Château Doyen à Sautin. Il était en réfection et je fus affecté au nivellement de la cour.

J’avais voulu fuir les Allemands à Charleroi mais j’allais bientôt faire connaissance avec eux à Sautin. Un beau jour, un camion de la Wehrmacht s’arrêta dans la cour. Des soldats en descendirent et firent éruption dans la remise où nous étions en train de déjeuner.  Tous les mains en l’air ! On nous fouilla sur tout le corps. Les Allemands partirent ensuite vers une autre annexe située de l’autre côté de la cour après nous avoir enfermés à double tour.

Comme on ne les voyait plus et qu’ils n’avaient pas remarqué qu’il y avait une fenêtre, l’idée d’évasion germa instantanément. Je courus sans m’arrêter à travers bois pour aboutir chez une cousine qui habitait plus dans le  centre de Sautin. À mon air, elle vit tout de suite que quelque chose s’était passé et elle ne fut pas trop enjouée de me voir chez elle. Elle craignait des représailles. Je retournai alors tout naturellement au Ry de Fromont.

Après quelques jours, je suis reparti au travail. Quelques semaines de tranquillité eurent pour effet de relâcher la vigilance. Un après-midi, les Allemands, surgirent à nouveau. Cette fois, il n’y avait plus d’échappatoire. Quelques-uns furent arrêtés pour partir en Allemagne tandis qu’un autre groupe dont je faisais partie, furent acceptés à un autre travail que de la restauration. C’est pour les Fridolins*que nous dûmes travailler.

On creusa une grande tranchée au milieu d’une prairie attenante au château et on commença ensuite la construction d’un vaste entrepôt qui devait être enterré par la suite. Je ne sais pas à quoi il devait servir. Après la guerre, on ne parla plus de  cela.

Deux soldats revenaient souvent au château. Un jour, ils remarquèrent que je mangeais de simples tartines de pain noir sans consistance, du ravitaillement alors que les fils ou amis du fermier mangeaient de larges tranches de pain blanc bien garnies. Ces soldats me proposèrent d’aller manger à la cuisine. Refuser, était difficile. Je n’avais pas de raison valable à évoquer. J’y allai deux jours puis je suis revenu auprès des autres. La leçon avait peut-être porté car à chaque repas mes compagnons de travail, glissaient un petit supplément à ma miche.

Le weekend, j’allais donner un coup de main à la ferme d’un autre oncle à Montbliart. Le dimanche, j’accompagnais ma cousine à l’église pour la messe de 10 heures. Pour beaucoup, c’était la seule distraction de la semaine.SM-MONTBLIART-VL-001 L’église de Montbliart est jolie. Elle contient un superbe ostensoir en argent offert en 1700 par Hubert Desorbaix. Celui-ci était le neveu du célèbre docteur Paul Desorbaix qui, au 17e siècle exerça ses talents de médecin à la cour impériale d’Autriche. Voir à ce sujet les nombreux commentaires sur la vie de Paul Desorbaix parus sous la plume d’Edmond Michaux dans la publication de la Société d’Histoire  Régionale de Rance (tome 1).

Cette église a aussi une légende. Il y a longtemps déjà, des jeunes gens en ribote, revenaient aux petites heures d’une virée carabinée. Arrivés près de l’église, le besoin de vidanger les choppes  ingurgitées se fit sentir. C’est au pied du clocher qu’ils se soulagèrent. Pendant l’opération, tous commentaient la soirée, la tête relevée. Au clair de lune, on pouvait voir les cumulonimbus poussés par un vent vif au-dessus de l’église ce qui donnait l’impression qu’elle se déplaçait. « Arrêtez, cria soudain un des soulards, l’église recule ! ». La renommée de l’église de Montbliart venait d’être faite.

Mon oncle Victor était un grand amateur de papiers comme il le disait. De grandes quantités de journaux et de revues de toutes sortes gisaient dans son grenier, dans sa garde-robe et même sur son lit.

Pour tuer le temps,  le soir, je lisais l’une ou l’autre de ces revues dont certaines dataient des environs de 1870.

Quelle aubaine cela aurait été pour les fouilleurs d’archives de notre Cercle d’Histoire de Marcinelle. Une revue du début du siècle m’intrigua beaucoup. Elle émanait de la paroisse de Froidchapelle et relatait  l’histoire que voici : « Dans cette paroisse vivait Céline. Elle menait une vie dissolue, aimait se rendre au carnaval et parfois lorgnait un peu trop du côté de la gent masculine. De plus, elle ne fréquentait pas l’église et jurait comme un charretier. Tout cela était mal vu. Bref, elle était constamment en état de péché mortel. Un hiver un peu plus rude que les autres la cloua au lit. Elle avait contracté une grave maladie et ne tarda pas à rendre l’âme sans avoir reçu « les secours de la religion ».

On ne pouvait plus rien pour elle et c’est Belzébuth qui s’occupa directement de son cas.

Au printemps suivant, une procession fut organisée à Froidchapelle. Son itinéraire passait sous les fenêtres de l’ancienne maison de la damnée. Arrivée en ce lieu, une paroissienne zélée s’écria : « Céline où es-tu ? » Une voix grave et caverneuse répondit : « Je brûle dans les flammes éternelles de l’enfer. »

Telle était l’imagerie populaire de ce temps. Il y a belle lurette que l’Église n’utilise plus ce genre de phraséologie.

Mais pourquoi s’agissait-il d’une femme de Froidchapelle que faisait-elle de mal?

A suivre

Roger Nicolas

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