Par Nolwenn Weiler, Rachel Knaebel

Avant même le début du mouvement pour les retraites, des secteurs en grève ont obtenu ces derniers mois gain de cause pour de meilleurs salaires et conditions de travail. Comme quoi la mobilisation peut l’emporter. Témoignages de salarié·es en lutte.
« On avait déjà demandé des augmentations de salaire, mais sans qu’on nous prenne au sérieux. » Alors, au moment de la mobilisation nationale interprofessionnelle pour les salaires d’octobre dernier, Séverine Marotel, auxiliaire de vie à domicile à Caen depuis cinq ans, a appelé des collègues pour y participer, et pour faire grève. « Moi, je n’avais même jamais fait de manifestation avant. C’est l’inflation, et le gazole à deux euros, qui nous a emmenées dans la rue. »
Le 18 octobre, elles se retrouvent à dix grévistes, sur 35 employées, devant l’agence caennaise de leur employeur, l’entreprise de soin à domicile Domidom, une filiale du groupe d’Ehpad et de cliniques Orpea. Elles ne sont alors pas encore syndiquées. « On ne connaissait rien du tout. On ne savait même pas qu’on avait un délégué du personnel, on croyait ce que nous disait la direction. Des syndicats sont venus nous soutenir rapidement sur notre piquet de grève, Solidaires, la CGT, nous ont prêté un barnum, se souvient l’auxiliaire de vie. On pensait qu’on ne pouvait pas se syndiquer si on n’était pas 50 salariés. On a appris que c’était faux, et notre choix s’est orienté vers la CGT. On s’est même inscrites ensuite sur la liste du CSE [Comité social et économique], et on a eu des élues. »
45 jours de grève
Les grévistes demandent une augmentation de salaire et des indemnités kilométriques, un treizième mois, une prévoyance professionnelle pour compenser la perte de revenus en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, un panier-repas… « On a eu des propositions deux jours après notre première journée de grève, mais qui concernaient simplement les salariées en grève. On a refusé, on voulait des avancées pour tous les salariés. » Alors, les femmes continuent. « Des soutiens nous ont conseillé d’avoir une caisse de grève, on l’a fait, d’abord avec une caisse physique sur le piquet de grève, puis avec une caisse en ligne. Grâce à ça, on n’est pas trop perdantes sur la perte de salaire. »
Les employées caennaises de Domidom ont fait grève en tout 45 jours. « L’attitude de la direction a changé à partir du moment où on s’est syndiquées. » Au bout d’un mois et demi, Séverine Marotel et les autres grévistes ont obtenu une augmentation de salaire de 150 euros net par mois (de 1309 euros à 1469 euros net pour un temps plein) pour toutes les employées et une augmentation de l’indemnité kilométrique de 31 à 45 centimes. « Une prévoyance professionnelle doit être négociée d’ici le mois de juin », ajoute l’auxiliaire de vie. Et leur combat continue aujourd’hui au sein du CSE.
La grève, « dernier recours »
Deux mois plus tard, quand débutent les négociations annuelles obligatoires dans l’entreprise de logistique automobile CAT, les syndicats voient bien qu’on est « dans une situation économique dégradée », concède le délégué CGT de l’entreprise Cédric Lopez. « Le marché de l’automobile s’est un peu cassé la gueule ces deux dernières années, notre entreprise n’a pas connu ses meilleurs résultats. Mais on a aussi des salariés en difficulté, avec l’inflation et des salaires qui n’ont pas augmenté aussi vite que les prix. »
Les syndicats demandent donc des hausses de salaires qui correspondent à celles des prix. « À la CGT, on était parti sur une demande de revalorisation salariale à 7 %, en regard de l’inflation à 5,9 % en décembre et à 6 % en janvier », explique le responsable. Mais la direction, elle, ne proposait que 3,8 % d’augmentation, et seulement des revalorisations au cas par cas pour les cadres. « La direction a accepté de négocier, mais avec des propositions qui n’évoluaient pas assez rapidement. »
Alors, en février, l’intersyndicale réunissant la CGT et FO lance une grève dans l’entreprise. « La grève, c’est le dernier recours, même si on l’avait envisagée dès le début. Car on s’attendait à ce que la direction accepte difficilement nos demandes », précise Cédric Lopez. Le 20 février, les chauffeurs, ceux qui transportent les véhicules sortis d’usine aux concessionnaires, se mettent en grève, suivis le lendemain par les salariés sédentaires.
« Nous sommes des salariés répartis sur tout le territoire, à tous les points cardinaux, sur une dizaine de centres, ce qui pose des difficultés de communication pour organiser une grève. Mais on a réussi à se synchroniser, par téléphone et par les réseaux sociaux », témoigne le délégué syndical. Au total, selon Cédric Lopez, il y a eu 400 grévistes dans l’entreprise, pour 2200 personnes employées sur l’ensemble du territoire.
Le succès est vite arrivé, après seulement trois jours de grève : une augmentation générale de 6,2 % pour les ouvriers et employés, de 5,9 % pour les agents de maîtrise, et de 4 % pour les cadres avec une enveloppe supplémentaire d’augmentation individuelle. « Une belle avancée, se félicite Cédric Lopez. Pour notre direction, c’était un mouvement inédit. »
200 euros en plus
200 euros d’augmentation mensuelle : c’est ce qu’ont obtenu de leur côté les salarié·es des industries électriques et gazières à l’automne 2022, après plusieurs semaines de grèves – huit pour les plus longues. « Le mouvement a commencé en juin 2022, explique Fabrice Coudour, délégué syndical central à la CGT Mines énergie. 140 000 salariés venant de 170 entreprises sont concernés. « La discussion au niveau de la branche professionnelle a rapidement débouché sur une augmentation de 80 euros, précise Fabrice Coudour. Restaient donc 120 euros à négocier au niveau des entreprises. »
Ce second round a été plus dur, et inégal selon les entreprises. « Au sein de GRDF, cela a été assez compliqué, souligne Sébastien Raya, délégué syndical central CGT au sein de cette entreprise. Fin octobre, plusieurs organisations syndicales ont signé un accord avec une augmentation totale (c’est-à-dire cumulée aux 80 euros accordés par la branche, ndlr) de 150 euros. C’était bien en deçà des 200 euros sur lesquels on s’était engagés. » Les salariés décident donc de lancer un mouvement de grève.
Définies à une échelle très locale, site par site, les durées des grèves sont diverses. Elles s’accordent aux marges financières des agents, à leur nombre, aux énergies disponibles. Certains salariés sont à huit heures par jour, d’autres à quatre ou deux. « Au fur et à mesure, voyant la détermination de leurs collègues, de plus en plus d’agents se sont mis en grève. Mi-novembre, on occupait environ 150 sites », détaille Sébastien Raya.
Extrait de « Basta ! »