Robert Dussart et le rapport communiste au syndicalisme chrétien (1961-1976 n°3)

Cartels électoraux catholico-communistes : un compagnonnage rare et infructueux

René Noël , sénateur communiste

Mais le rapprochement le plus concret entre communistes et chrétien.ne.s de gauche a lieu après l’appel de Léo Collard au 1er mai 1969 de Charleroi. Le président du PSB sollicite en effet les progressistes à dépasser le clivage philosophique. C’est un appel du pied à la gauche catholique, peu concluant, mais les communistes le prennent au mot. Collard ne s’adressait pourtant pas à eux, s’étant sans doute trop avancé. Le PCB semble avoir trouvé le moyen de faire résonner en Belgique le rapprochement simultané de la gauche française et de tirer avantage des élections communales d’octobre 1970. Le Groupement politique des travailleurs chrétiens (GPTC) est donc constitué dans la foulée, en février 1970, par des militant.e.s borains du MOC, en particulier Josse Gilquin, délégué syndical CSC aux chemins de fer vicinaux. Le GPTC rejoint en 1972 l’Union démocratique et progressiste (UDP) de René Noël à Mons. Cette liste électorale, menée par ce truculent sénateur communiste, regroupe déjà des sociaux-chrétiens en rupture avec le PSC et lui a permis en 1964 de conquérir Cuesmes. Son succès s’élargit à Mons, suite à la fusion de ces communes en 1972, parvenant à entrer dans la majorité communale par la grande porte. Noël plaide auprès de ses camarades pour élargir ce type de cartel, avec une certaine fortune, quoique limitée au Hainaut. Peu de socialistes soutiennent l’initiative, à l’exception notable des syndicalistes Setca-ACEC. Le GPTC est un instrument de dialogue idéal entre le PCB et le MOC, élisant son chef Gilquin en 1974 à la succession de Noël au Sénat, avec un périodique diffusé en masse et des positions axées sur la lutte de classes. Mais ce groupe s’éteint avec l’UDP après l’échec des élections communales de 1976 et des disputes de Noël avec la tête de son parti, qu’il quitte en 1980.[12]

Les élections communales de 1976 marquent la fusion des communes. Ces refontes permettent aux socialistes de se libérer des alliances tissées avec les communistes, qui perdent presque tous leurs mandats exécutifs. C’est le cas à Charleroi de l’échevin damrémois Maurice Magis. Dampremy perd sa majorité pluraliste qui avait renversé en 1964 Adhémar Mombaerts (PSB), en fonction depuis 25 ans, et l’avait remplacé par une tripartite inédite : communiste, sociale-chrétienne et socialiste radical. Alors que Willy Seron se prépare à troquer son maïorat pour un échevinat à Charleroi, Raymond André, président MOCiste de la Démocratie chrétienne locale et échevin damrémois, écrit à Dussart en 1974 pour faciliter l’extension de l’UDP à sa liste, en réaction à l’inimitié que lui voue Magis. Cette main tendue reste toutefois sans effet, clôturant ainsi un cycle initié en 1932 avec l’éclatement de la gauche locale et le rapprochement rare des dissidents socialo-communistes avec les sociaux-chrétiens de cette petite commune ouvrière.[13]

Conclusions : une démarche inaboutie qui pose toujours question

Les relations catholico-communistes ne connaissent plus par après le même engouement. Pas même le débat autour du « compromis historique » entre PC italien et Démocratie chrétienne (1973-1978) ne relance en Belgique l’intérêt pour ce type de convergence. Dussart continue à entretenir un rapport cordial avec Léali, son homologue de la CSC aux ACEC, fructueux lors de la grève victorieuse de 1979 pour la semaine des 36 heures. Mais leur accointance se brise en 1985, alors que se profile la dislocation résistible de l’entreprise. La chute rapide du PCB, déjà marginal, règle la question. Côté social-chrétien, ce compagnonnage est de toute façon dépassé par la recomposition politique de la gauche catholique, déchirée entre le PSC et Ecolo, l’accélération de la déconfessionnalisation et la crise au sein de l’Église. Le renforcement de l’antagonisme autour du bloc de l’Est, surtout en Pologne où émerge alors l’aura de Jean-Paul II et de Solidarnosc contre le régime de Jaruzelski, achève de couler toute camaraderie.

Ainsi se clôt un contact inabouti, mais évocateur quant à la pérennité actuelle du front commun syndical et du dialogue entre forces syndicales comme politiques. Si l’étanchéité des piliers philosophiques s’est largement atténuée, le rapport entre syndicalistes chrétien.ne.s et communistes s’est renouvelé bien plus fortement avec la soudaine popularité du PTB. Sa cote de sympathie au sein même des rangs de la CSC dépasse de loin les succès sporadiques du PCB et pose de nouvelles questions quant à une éventuelle radicalisation du syndicat chrétien dans les conflits sociaux ou envers sa délicate équidistance avec la FGTB, qui n’est pourtant pas délaissée.

Notes

[12] Le Journal de Charleroi, novembre 1971 ; MAERTEN F., « René Noël et l’Union démocratique et progressiste, 1971-1982. À la recherche d’un autre communisme dans un Borinage en crise », Cahiers d’histoire des temps présents (CHTP-BEG), n° 15, 2005, p. 435-459 ; LEWIN R., « Vie et mort de l’UDP », dans COENEN M.-T. (dir.), Le rassemblement…, p.165-186 ; NAIF N., L’eurocommunisme en Belgique. Crises et débats autour d’une voie belge au socialisme (1954-1982), Bruxelles, CArCoB-CHSG, 2004, p. 114-127.
[13] Archives personnelles de Josiane Vrand, lettre de R. André à Dussart, 18 février 1974 ; La Nouvelle Gazette, 6 mars 1974 ; lettre ouverte au Renouveau damremois par R. Dussart ; ACJJ, À votre service, périodique de la section PCB Dampremy, 1970.

POUR CITER CET ARTICLE

THOMAS A., « Robert Dussart et le rapport communiste au syndicalisme chrétien (1961-1976) : approche originale inaboutie ou illusion persistante ? », Dynamiques. Histoire sociale en revue, n°18 : Militer en entreprise, une réalité polymorphe : l’exemple des ACEC, juin 2022, mis en ligne le 2 juin 2022. www.carhop.be/revuescarhop/.

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