Socialiser

Ce type de formules présente l’avantage d’exclure du coût de la police d’assurance la rémunération d’actionnaires privés que l’on sait plus exigeants, en ce qui concerne le rendement de la propriété du capital, qu’une structure publique. Pour s’en convaincre, on prendra soin d’examiner les bilans et comptes de résultats des assurances en Belgique. Les statistiques des compagnies d’assurance telle que livrées par la Banque nationale de Belgique (BNB) démontraient que la rémunération du capital en 2020 dans le secteur avait été de 2.798.605.441 euros[1].
Cette même année, le chiffre d’affaires du secteur s’élevait à 15.545.947.092 euros. Il est également connu que les banques font assurer leurs risques auprès de compagnies de réassurance. La réassurance désigne le mécanisme par lequel le risque des compagnies d’assurance est mutualisé et pris en charge en échange d’une prime versée au réassureur. La réassurance fonctionne comme un mécanisme de protection des compagnies d’assurance dans la mesure où en cas de sinistre, le réassureur indemnise l’assureur qui sera, à son tour, en mesure d’indemniser les assurés. Le mécanisme de la réassurance, comme technique de prise en charge du risque porté par les compagnies d’assurance, permet à ces dernières de diminuer le risque de faillite, de continuer à bénéficier d’un chiffre d’affaires stable dans le temps et de limiter leurs besoins en capitaux propres puisqu’une partie des décaissements liés aux sinistres sera effectué par le réassureur. Pour toutes ces raisons, on estime que la réassurance stabilise le secteur des assurances au niveau mondial. Il n’existe donc pas une compagnie d’assurances dans le monde qui fonctionne sans passer par un réassureur. Autrement dit, on doit, avant de calculer le ratio de rémunération du capital, déduire les frais de réassurance du chiffre d’affaires des compagnies d’assurance. En l’occurrence, en 2020, les assureurs belges ont versé à leurs réassureurs 2.199.934.513 euros. Au total, il restait 13.346.934.513 euros pour effectuer le reste de leurs opérations. On peut donc évaluer, à l’euro près, la rémunération du capital à un ratio de 20,968%[2].
Il est obvie que l’Etat belge se serait caractérisé par une exigence de rendement plus bas. Pour s’en convaincre, on pointera que le coût de financement à long terme de l’Etat belge, qui correspond au taux d’intérêt de la dette publique à 10 ans, était de 1,56% en juillet 2022[3]. La comparaison s’avère, sous cet angle, particulièrement éclairante. Elle nous indique, en tout état de cause, qu’une étatisation de l’assurance contre les catastrophes naturelles serait de nature à permettre la couverture la meilleure marché et la plus étendue possible de la population face à un risque dont la probabilité va croître à l’avenir. Le monopole d’Etat de l’assurance contre les catastrophes naturelles fait, d’ailleurs, l’objet d’un questionnement théorique dans les milieux de la science de gestion les moins soupçonnables de penchants pour l’hétérodoxie marxiste. C’est spécialement le cas en Allemagne où deux chercheurs de l’Université de Cologne[4] ont conclu récemment à la nécessité d’examiner les bienfaits, sur un plan microéconomique, d’une assurance monopolistique d’Etat contre les catastrophes naturelles.
En cas de monopole public, les preneurs d’assurance sont dans l’impossibilité de se tourner vers des concurrents, ce qui permet aux compagnies d’économiser des frais de publicité, de représentation et d’acquisition. Par ailleurs, grâce aux économies réalisées sur les coûts d’exploitation, un monopoleur peut proposer des polices à un niveau de primes plus bas que des assureurs en concurrence sur un marché dit libre. Cette situation est renforcée par le fait que les assureurs monopolistes publics ne distribuent pas ou peu de bénéfices. Du côté des clients, on relève également un avantage considérable. Les coûts de recherche d’informations diminuent pour les assurés car ils ne doivent plus comparer les offres de différents prestataires. D’autres auteurs ont également pointé que les assureurs monopolistes publics sont davantage incités à instaurer des mesures de prévention[5].
Il existe d’ailleurs en Europe deux pays qui ont mis en œuvre, depuis longtemps déjà, des formes d’assurance « catastrophes naturelles » étatique. Il s’agit de la Suisse et de l’Espagne. En ce qui concerne la Suisse, on observe que dans de nombreux cantons, les propriétaires sont tenus d’assurer leurs bâtiments contre les dommages naturels auprès de l’assurance cantonale publique placée en situation de monopole. Il s’avère qu’en Suisse, la prime d’assurance exigée par les assureurs monopolistes est notoirement moins élevée que celle exigée par le privé dans les cantons n’ayant pas opté pour une solution publique. En outre, les assureurs monopolistes publics cantonaux investissent une part considérable de leurs recettes de primes dans des mesures de prévention et participent aux organes de décision cantonaux en matière de planification de l’aménagement du territoire et de protection contre les catastrophes naturelles. Le montant des sinistres qu’ils doivent indemniser est donc nettement plus faible que dans les cantons fonctionnant avec des compagnies privées[6].
Dans le cas de l’Espagne, la prise en charge des catastrophes naturelles par les pouvoirs publics est intéressante à plus d’un titre. En effet, bien que l’Etat espagnol soit fortement fédéralisé, c’est une entreprise publique nationale, le Consorcio de Compensación de Seguros (CCS), basée à Madrid qui assure tous les citoyens du pays. D’un point de vue institutionnel, le CCS dépend du ministère des Affaires économiques. On vérifiera, au passage, que le caractère fédéral, plus ou moins marqué, selon les contextes nationaux, d’un Etat n’entraîne pas ipso facto la nécessité d’organiser l’assurance publique contre les catastrophes naturelles sur une base décentralisée.
Du point de vue de son financement, le CCS assure ses recettes grâce à une redevance facturée aux personnes assurées de façon à fonctionner comme une sorte de caisse d’épargne pour les compagnies d’assurance. La surprime obligatoire représente une faible part (quelques millièmes) des primes versées. La collecte est effectuée par les assureurs privés. En d’autres termes, le CCS n’émet aucune police. Cet élément contractuel reste du seul et unique ressort des assureurs privés.
Contrairement à la Suisse, l’Espagne est membre de l’Union européenne et doit consciencieusement respecter les réglementations européennes protégeant la concurrence. Voilà pourquoi les statuts du CCS ont dû être modifiés « pour les mettre en conformité avec la directive 88/357/CEE du Conseil sur l’assurance non-vie tout en préservant le monopole de l’entité »[7]. Du point de vue du Droit, il n’existe donc aucune fatalité européenne à ce que le secteur des assurances ressorte exclusivement aux logiques de maximisation du profit du capital financier. Ce constat est d’autant plus vrai que ‘on observe en France une pratique des plus intéressantes. En l’occurrence, l’assurance contre les catastrophes naturelles outre-Quiévrain est, comme en Espagne, une garantie obligatoire des contrats d’assurance habitation. En France, toutefois, c’est un niveau de la réassurance que l’Etat intervient en apportant « sa garantie illimitée à la Caisse Centrale de Réassurance et [en régulant] le prix de la garantie catastrophes naturelles »[8]. Pour information, la Caisse Centrale de Réassurance désigne une société détenue à 100% par l’Etat français et jouant un grand rôle dans la réassurance au niveau non seulement hexagonal mais aussi mondial.
Un jour, peut-être, les pouvoirs publics en Belgique prendront-ils exemple sur ces bonnes pratiques venues de l’étranger. Hélas, ce n’est, pour l’heure, pas le cas, comme en témoigne l’abandon des victimes des inondations depuis plus d’un an.
[1] Banque nationale de Belgique (BNB), Statistiques financières des entreprises de (ré)assurance-Exercice 2020, affectations et prélèvements. Url : https://bit.ly/3vHcMJF. Date de consultation: 27 juillet 2022.
[2] Banque nationale de Belgique (BNB), Statistiques financières des entreprises de (ré)assurance-Exercice 2020, compte de résultats. Url : https://bit.ly/3vHcMJF. Calculs propres. Date de consultation: 27 juillet 2022.
[3] L’Echo, Taux d’intérêt (taux OLO), édition du 26 juillet 2022.
[4] Ann-Kristin, Becker und Christoph, Oslislo, Obligatorische Versicherung gegen Schäden infolge von Naturkatastrophen, Wirtschaftsdienst (Universität zu Köln), 102. Jahrgang, 2022, Heft 1. Url : https://bit.ly/3zzC1zE. Date de consultation: 25 juillet 2022.
[5] Reimund, Schwarze, Institutionenökonomischer Vergleich der Risikotransfersysteme bezüglich Elementarschäden in Europa, Studien und Gutachten im Auftrag des Sachverständigenrats für Verbraucherfragen. Berlin. Dezember 2019. Url : https://bit.ly/3cLpP5P. Date de consultation: 25 juillet 2022.
[6] Martin Nell, Thomas von Ungern-Sternberg, Gert G. Wagner, Brauchen wir eine Zwangsversicherung gegen Elementarschäden?, Wirtschaftsdienst (Universität zu Köln), 82(10), pp.579-588, 2002. Url : https://bit.ly/3QgBtV9. Date de consultation: 23 juillet 2022.
[7] République française, Division de la Législation comparée de la direction de l’Initiative parlementaire et des délégations, Les systèmes d’indemnisation des catastrophes naturelles (législation comparée), note réalisée à la demande de M. Philippe Nachbar, Sénateur de Meurthe-et-Moselle, Octobre 2017, p.17.
[8] Grislain-Letrémy, Céline. « Assurance et prévention des catastrophes naturelles et technologiques » in Vie & sciences de l’entreprise, vol. 197, n°1, 2014, p.73 (NBP 33).
Xavier Dupret
Economiste, animateur culturel à l’ACJJ