Chlordécone : le scandale sanitaire qui fait trembler les ministres


C’est une histoire qui se déroule en France mais à des milliers de kilomètres de la métropole. En Martinique et en Guadeloupe, pendant plus de 20 ans, les agriculteurs ont massivement utilisé un produit toxique : le chlordécone. Cet insecticide était fabriqué par une entreprise américaine et visait à éradiquer le « charançon noir » du bananier.


Cet insecte particulièrement friand de bananes, mange également les troncs des bananiers, ce qui finit par tuer les arbres. La prolifération du charançon est une véritable catastrophe économique pour la Martinique et la Guadeloupe, qui vivent en bonne partie du commerce de la banane.

Le problème, c’est que le chlordécone, lui, présente de nombreux risques pour l’homme et l’environnement… …et on le sait depuis longtemps !

Des soupçons sur le chlordécone depuis les années 1960

En 1963, une étude de l’Université de l’Ohio a montré la toxicité de chlordécone chez la souris et chez la poule. Cette toxicité pouvant entraîner la mort dans le pire des cas. Des mesures sont prises… puis remises en question :

En France, en 1968 et en 1969, l’utilisation du chlordécone est rejetée par la Commission des Toxiques qui dépend du ministère de l’Agriculture. Mais, en 1972 c’est un bouleversementquand le ministre de l’agriculture de l’époque, Michel Cointat, autorise finalement l’utilisation du chlordécone en France.

Plus tard, en 1975, aux Etats-Unis, des ouvriers d’une usine de production de chlordécone sont victimes de sérieux troubles testiculaires et neurologiques. [1] Les autorités américaines prennent alors une décision radicale : interdire l’insecticide dans tout le pays à partir de 1976.

« L’exception française »

Charançon de la banane

Afficher l’image sourceMalgré la décision des autorités américaines, leurs homologues français ne reviennent pas sur leur décision et maintiennent l’autorisation du chlordécone. La substance a donc été massivement utilisée entre 1972 et 1993 ! Pourtant, depuis 1979, cette substance avait été classée « possiblement cancérigène ».

Alors qu’est ce qui explique cette utilisation ? La « version officielle » indique que c’est la dévastation de la Guadeloupe et de la Martinique par des ouragans en 1979 et 1980 qui ont contraint les autorités françaises à maintenir l’utilisation du chlordécone. Ces catastrophes ayant détruit les plantations de bananes, les agriculteurs ont dû replanter des arbres et les protéger de leur principal ennemi : le charançon noir. Pourtant, même en métropole, il a fallu attendre 1990 pour que la France interdise le chlordécone.

Les Antilles, elles, ont même bénéficié d’une « prolongation » après cette date ! Et savez-vous pourquoi ? Figurez-vous que le principal fournisseur de chlordécone était Yves Hayot entrepreneur et grand propriétaire foncier. Or, en 1990, ses hangars regorgeaient de stock de Chlordécone. M. Hayot était également le président du groupement de producteurs de bananes de Martinique.

Ayant de nombreuses relations, l’entrepreneur a réussi à influencer Jean-Pierre Soisson, le ministre de l’agriculture de l’époque, pour qu’il accorde une prolongation de l’utilisation du chlordécone aux Antilles.

Rendez-vous compte : l’un des plus gros scandales agricole et sanitaire français de la fin du XXe siècle, repose sur la volonté d’un homme d’affaires de « vider ses stocks ». Avec la bénédiction des plus hautes autorités de la République ! Qu’importent les risques sanitaires et environnementaux, ce qui comptait avant tout c’était de minimiser les pertes. L’histoire a donc tout du scandale d’État ! Des sols contaminés pour 600 ans… et une explosion des cancers.

Aujourd’hui, l’ampleur des dégâts en Martinique et Guadeloupe est énorme. D’abord pour les sols : on estime quun quart de la surface agricole des îles a été directement contaminé par le chlordécone. La diffusion de l’insecticide a été massive car le produit a été utilisé pendant plus de 20 ans. Ce sont donc les terres, mais aussi les nappes phréatiques, les rivières et même l’océan qui sont actuellement contaminés !

La catastrophe est telle qu’il est interdit de pêcher certains poissons dans l’océan Atlantique à moins de 500 m des côtes ! L ’étude « ChlEauterre » : qui a été publiée en septembre 2017 a permis d’identifier les territoires susceptibles de contenir le plus de « chlordécone ». [2] Les spécialistes estiment que les sols sont pollués pour au moins 600 ans. C’est un véritable désastre écologique !

Mais le pire, c’est que la santé des habitants est également touchée [3] :

La Martinique est le lieu avec le plus haut taux de cancer de la prostate au monde : 227 cas pour 100 000 hommes ;
En Guadeloupe le taux de cancer de la prostate est également élevé avec 184 cas pour 100 000 hommes. Au total c’est 92 % des Martiniquais qui auraient du chlordécone dans le sang.

Plus généralement, les dangers avérés du chlordécone sont les suivants [4] :

Neurotoxicité : c’est ce qu’indique notamment l’étude « Timoun » ;
Des troubles de la reproduction et une augmentation du risque de la prématurité ;
Les troubles dans le développement cognitif et moteur des nourrissons ;

C’est pour l’ensemble de ces raisons qu’en 2006, la première « plainte contre X » a été déposée par Maître Harry Durimel pour mise en danger de la vie d’autrui. Mais 12 ans après, en 2018, aucun coupable n’a été identifié…

Quelle a été la réponse des autorités françaises ?

Résultat d’images pour bananeraie martiniqueC’est en 2007 que le cancérologue Dominique Belpomme relance le débat en comparant le scandale du chlordécone au scandale du sang contaminé. [5] Le 30 juin 2008, un arrêté fixe la limite maximale de résidus (LMR) de chlordécone dans les aliments « d’origine animale et végétale ».

Aujourd’hui, les victimes demandent que le scandale du chlordécone soit enfin reconnu par le gouvernement, que les familles soient indemnisées et que des solutions soient trouvées pour décontaminer les sols. Mais les gouvernements successifs optent pour la politique de l’autruche et une fuite en avant !

Pour preuve voici un extrait de l’interview de Nicolas Hulot (ex-Ministre de l’Agriculture et de l’Environnement) et d’ Annick Girardin (Ministre de l’outre-Mer) en juin 2018 [6] :

Journaliste : « Est-ce que vous pouvez reconnaître aujourd’hui, que la France a commis une erreur en autorisant pendant plus de 20 ans l’utilisation du chlordécone, ici aux Antilles ? Et pourquoi des centaines, les milliers de victimes de ce produit ne sont toujours pas indemnisés ? »

Annick Girardin, Ministre : « Oui, nous assumons cette responsabilité. Mais nous sommes aujourd’hui, vraiment, nous sommes engagés à tout mettre en œuvre pour chercher des solutions »

Nicolas Hulot : « Ce n’est pas l’État non plus qui a dispersé le chlordécone ! Les responsabilités on les verra ! »

Journaliste : « Ha ben c’est l’État qui a autorisé la dispersion… »

Avant qu’une assistante interrompe l’interview car les ministres « n’avaient plus le temps ». C’est ce qu’on appelle botter en touche ! Le gouvernement semble adepte de l’adage « responsable mais pas coupable ». C’est une preuve de plus que nous devons peser de toutes nos forces, ensemble, contre les dérives anti-écologiques et anti-santé de nos dirigeants !

Guillaume Chopin
Association Santé Naturelle

Sources

[1] https://www.youtube.com/watch?v=v_7VByFFQN0
[2] http://daaf.guadeloupe.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Projet_ChlEauTerre__Rapport_Final_2017_cle8e6961.pdf

[3] https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/manifestation-paris-denoncer-scandale-chlordecone-aux-antilles-604377.html

[4] https://www.bfmtv.com/police-justice/antilles-une-association-attaque-les-limites-autorisees-de-chlordecone-dans-les-aliments-1480948.html

[5] https://www.bastamag.net/Quand-la-France-et-des-fabricants

6] https://www.facebook.com/Loopsider/videos/474142539654344/

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