Mon enfance.
Avant la guerre de 1940, La Villette était un des quartiers les plus huppés de Marcinelle. Beaucoup de gens qui l’habitaient exerçaient une profession libérale . Les avocats, notaires, artisans indépendants constituaient la couche la plus aisée du quartier. Parmi eux vivaient aussi de familles de conditions plus modestes. C’était le cas de ma famille et de quelques autres, mineurs, métallurgistes , lamineurs, terrassiers, manœuvres,…
Mon père travailla au moulin de Marchienne puis dans une fabrique de margarine à Fleurus, dans le chantier communal de Marcinelle et ensuite à l’entretien aux ACEC.

Nous étions six enfants à la maison et notre père ne gagnait pas lourd. Nous n’étions pas riches. Nous ne mangions pas de la viande tous les jours et quand il y en avait, c’était le plus souvent des boulettes qu’on appelait « vitoulets ». Nos vêtements étaient le plus souvent rapiécés et nos pulls troués aux coudes.
Je me rappelle que pour avoir chaud pendant l’hiver, ma mère avait jeté sur mon lit une vieille capote de soldat. Cette condition plus que modeste était celle de beaucoup d’autres familles ouvrières. Cette condition s’aggravait encore plus en période de chômage.
Nous fréquentions l’école libre Saint Joseph située à la rue Defuisseaux. Les responsables étaient des religieuses françaises de la Sainte Famille de Villefranche en Aveyron. Les six années primaires étaient tenues par des instituteurs et institutrices laïques.

Des amitiés se nouaient entre les enfants les plus pauvres surtout avec les petits Polonais. L’immigration polonaise était importante à l’époque. Le racisme n’existait pas à l’école et mes meilleurs copains sont rapidement devenus des jeunes fréquentant notre famille. Ils portaient le nom de Priegels et habitaient à la rue des Champs dans de petites maisons qui furent abattues par la suite afin d’y construire l’actuelle école communale. Les enfants devinrent orphelins de mère et c’est une tante venue de Poznanie qui vint les élever. Elle avait adopté toute la famille ainsi que les petits copains de ses neveux et nièces. Elle nous parlait en polonais et c’est Ludvik (Ludovic) qui traduisait mais bientôt on put lui répondre par quelques rudiments de cette langue. On apprend vite lorsqu’on est jeune.
Après nos études primaires, cette famille disparut sans laisser d’adresse. On les crut retournés en Pologne. Les années passaient quand un beau jour de l’année 1988, lors d’une visite au cimetière de Bouffioulx, je me suis trouvé face à une tombe où était inscrit « Kazimir Priegels ». Le nom et le date correspondaient au garçon le plus jeune de cette famille. Ils n’étaient donc pas partis bien loin. Dans les classes primaires, il y avait, outre les Polonais, deux Hollandais, un Américain mais aussi un Français. Avant de venir à l’école, ce gamin du prénom de Philippot devait faire le marché avec ses parents. Ceux-ci étaient poissonniers et quand Philippot arrivait en classe, cela « schinguait *» le poisson.
Nous étions donc des enfants pauvres à qui les religieuses faisaient de temps à autre des dons de vêtements de seconde main.
Hélas, parmi la population de riches, il y en avait qui nous faisaient sentir notre position d’inférieur. Par exemple, lorsque je fus en âge de faire ma communion solennelle, le curé Oscar Cattiez me plaça au quatrième range quoique j’étais premier au catéchisme et en histoire sainte. Cela aurait choqué les parents des petits bourgeois surtout aussi que j’avais reçu une réprimande très sévère de la part du curé. Voici l’histoire : « J’avais reçu d’Elvire, une petite copine de l’école des filles, un vieux livre français tout écorné, intitulé « La biographie du Camarade Staline ». Son père lui avait donné le livre pour me charger de le remettre à mon papa . Au lieu de cela, je l’avais caché sous mon banc pour y jeter de temps en temps un coup d’œil sans trop ne rien comprendre à ma lecture. Mais ce qui tracassait le plus le curé Cattiez, étaient les pratiques sexuelles des gamins et des filles. Au confessionnal, il posait beaucoup de questions à ce sujet.
Mais il y eut plus grave encore : il y avait à la rue des Grogères, une cellule de la « Libre Pensée » conduite par le gros Pipitte dont je ne me rappelle plus le nom. Quand nous revenions de la messe, le dimanche, cet homme et ses acolytes ne manquaient pas de nous interpeler dans un wallon vulgaire « Vous avez encore été à la grosse pipe (l’église) ? Vous avez eu votre paquet aux « béguènes** » ? Vous avez dû leur lécher les bottes ? » Toutes ces insultes nous blessaient profondément et personnellement, j’en ai conçu une haine féroce contre ces « connards*** » de la Libre Pensée. Cela eut des répercussions sur mes orientations politiques et celles de nombreux copains .
- * Sentait fortement
- ** Les nonnes
- *** imbéciles
A suivre
Roger Nicolas.