Malgré des réussites flagrantes dans le domaine des biotechnologies, l’appareil productif cubain est vieillissant, principalement à cause du blocus imposé par les Etats-Unis. Lors d’une visite dans une coopérative d’impression à la Havane, détenue par ses travailleurs (qui parlent d’économie privée socialiste ! ) et mettant son savoir-faire au service des collectivités locales, nous avons été frappés par l’utilisation de machines datant des années 1950. L’ouverture limitée et sous contrôle aux investissements étrangers, complémentaire à l’augmentation de l’activité privée a notamment pour but, en plus de répondre à une certaine demande intérieure, de permettre l’introduction de nouvelles méthodes de production et de nouvelles technologies en vue de moderniser l’appareil productif et à terme de permettre des exportations. En se basant également sur les expériences d’autres pays socialistes comme la Chine ou le Vietnam, c’est dans ce cadre que la Zone de Développement économique de Mariel a été lancée[2]. L’accent est mis sur les secteurs biotechnologiques, la logistique, les hautes technologies et l’agroalimentaire. Les entreprises étrangères sont attirées par une série d’incitants fiscaux, mais doivent se plier au droit du travail cubain, et respecter des normes strictes en matière de protection de l’environnement, rompant ainsi avec des expériences de zones économiques spéciales dans d’autres pays de la région.

Du point de vue syndical, ces réformes entraînent de nouveaux défis : les réformes économiques, et notamment une certaine ouverture au capital étranger – sous le contrôle vigilant de l’Etat cubain -, sont perçues comme une étape nécessaire dans le développement du socialisme cubain. Le but est notamment d’améliorer le tissu industriel, de favoriser les investissements et d’agrandir les surplus destinés à financer les programmes sociaux, mais impliquent aussi de trouver de nouvelles formes d’actions syndicales dans le secteur privé national et étranger. Des contacts sont d’ailleurs pris avec des syndicats européens pour étudier ces nouvelles conditions.[3]
Le pays est à un tournant, mais la volonté semble claire de préserver toutes les conquêtes de la révolution en matière de santé. Contrairement à ce que certains à gauche[4] pensent, on assiste donc plus à une réorientation stratégique (proche, d’une certaine façon, de la NEP soviétique des années 20) en vue de consolider le socialisme que d’une « restauration capitaliste » qui pousserait Cuba dans une situation similaire à celle d’un pays comme Haïti.
A suivre
François D’Agostino
Historien, animateur culturel de l’ACJJ
[1] La pandémie n’a rien amélioré de ce côté : le gouvernement a décidé de ne pas collecter les impôts mensuels pour soulager la population qui devait faire face à des pertes de revenus, mais cela a un impact sur les finances publiques. Source : entretien avec un responsable du PCC de la province de Pinar del Rio, 13 février 2022.
[2] https://fr.granma.cu/cuba/2018-04-05/la-zone-speciale-de-mariel-la-connexion-de-cuba-au-monde-et-au-developpement
[3]Entretien avec Ulises Guilarte de Nacimiento, secrétaire général de la CTC, le 15 février 2022.
[4] Pour approcher ces débats, voir, e.a. https://mronline.org/2022/07/03/the-struggle-between-the-future-and-the-past-where-is-cuba-going/