Les Cosaques Djiguites* à Marcinelle

 Les Cosaques forment cette population semi sédentaire qui, au temps du tsarisme, peuplait les steppes de la Russie méridionale. Ils jouissaient d’une liberté totale et vivaient de la chasse, de la pêche, du pillage et aux dépens des populations mal fixées auxquelles ils se mêlèrent fortement.

Plus tard, ils formèrent une armée irrégulière et se mirent au service de la cour impériale. Ils étaient les fidèles gardiens des frontières et furent à l’origine de la conquête de la Sibérie.

Sous les Romanov,  les Cosaques constituaient plusieurs armées dont l’ataman général était nommé par le Grand-Duc héritier. La plus importante communauté était celle des Cosaques du Don. Il y avait aussi celles des Cosaques de l’Oural, du Kouban, du Terek, de l’Amour, de l’Oussouri et bien d’autres encore. Ceux qui nous intéressent étaient les Djiguites caucasiens.

La révolution prolétarienne d’octobre 1917 survint et changea les rapports au sein de la société russe. Pour les Cosaques, il y avait un choix à faire . Certains devirent instructeurs dans l’Armée rouge tandis que d’autres restés fidèles au Tsar durent fuir devant l’avance des bolcheviks. Dans les ports de la Mer Noire, des milliers de Russes blancs s’embarquèrent sur les navires en partance pour l’Occident.

La Belgique eut son lot de réfugiés et c’est ainsi qu’on en vit arriver plusieurs à Marcinelle. Ils s’installèrent pour la plupart à la Villette.

Les Russes assimilèrent rapidement notre langue et eurent vite trouvé de l’emploi dans la région. Ils devinrent chauffeurs, ouvriers d’usine, traducteurs, professeurs de russe. A la rue des Grogères résidait Michel Tourov, originaire de Tangarog. Il exerça le métier de grimeur et fut un des fondateurs du cercle théâtral Saint-Joseph de la Villette.

Avec ceux venus d’autres coins de l’arrondissement, nos Cosaques eurent bientôt leur groupement folklorique. Ils montèrent une troupe de cavaliers qui excellaient dans la haute voltige équestre qu’ils appelaient « Djiguitoska ».

Sur leurs chevaux, noirs et nerveux, ils caracolaient, et leurs prouesses acrobatiques étaient surprenantes. Puis ils effectuaient des danses endiablées au rythme des accordéons et des balalaïkas , sans compter les fameuses danses du sabre et les lancers de couteaux . Le spectacle se terminait par des chants dont la célèbre chanson de Stenka Razine. Ce grand ataman des Cosaques s’était mis à la tête de la terrible révolte des paysans du XVII -ème siècle et fit trembler l’empire.

Stenka Razine

 Les cosaques Djiguites se produisirent un peu partout à Marcinelle mais aussi dans les régions de Beaumont et de Thuin. Ils allaient de succès en succès.

Hélas, la guerre  vint mettre un terme temporaire à leurs activités. Les troupes nazies envahirent la Russie soviétique et menacèrent Moscou. Pour les Russes blancs, il y avait un deuxième choix à faire. Ils n’hésitèrent pas longtemps. C’était la patrie commune qu’il fallait soutenir. Nous ne connaissons aucun d’eux qui, par rancœur, collaborât avec l’ennemi. Ils étaient Russes avant tout. Ils s’allièrent même à certains communistes marcinellois pour faire évader des prisonniers soviétiques qui travaillaient forcés dans les charbonnages.

Un beau jour , vers 10 heures du soir , Germaine Dahin, habitant la rue des Grogères vit son mari revenir de son travail avec Yvan qu’on avait aidé à s’évader.

Il séjourna quelques jours chez ses bienfaiteurs. Les voisins rendaient souvent visite à Germaine car on voulait voir comment était fait un soldat de l’Armée Rouge. On lui donna des vêtements civils et il s’éclipsa dans la nature où il rejoignit la résistance. On n’entendit plus jamais parler de lui. Quant à Germaine, saisie d’une peur rétrospective, après son exploit, elle se demanda comment se débarrasser des témoins gênants que constituaient les effets militaires d’Yvan. Ce fut une voisine qui trouva la solution. On enroula le tout dans la capote marquée K.G. (kreigsgefangen) soit prisonnier de guerre et lesté d’une pierre, on précipita ce paquet dans une citerne . Cet encombrant fardeau séjourna quelques années au fond de l’eau.

A l’entrée de la rue Vital Françoisse habitait Ordonikidre. La maison de ce rude caucasien servait de local à tous les émigrés russes du quartier qui venaient discuter le coup.

Il y avait quelque chose d’étrange dans cette maison. Au-)dessus du corps de cheminée trônaient les portraits du Tsar, de Staline et une icône représentant la mère de Dieu. Sous celle-ci, une bougie brûlait en permanence. C’est que Ordonikidze était un inconditionnel de Nicolas II tandis que son épouse chérissait le petit père  du peuple, sous l’œil vigilant de la Vierge Marie.

Après la guerre, la vie reprit son cours normal.

Un jour arriva aux ACEC, un autre phénomène caucasien. Il s’appelait Matchabeli et fut engagé comme dessinateur. Il était bavard et racontait moult histoires de sa Russie natale où il avait été officier du Tsar. Quoiqu’ayant dû fuir le bolchevisme, il n’était pas peu fier d’avoir été le compagnon de classe primaire du petit Vissarionovitch Djougachvili qui plus tard devint Staline. Il se délectait de conter des histoires où il était question des frasques du jeune Joseph. C’est que Matchabeli provenait de la même ville que lui et ce n’est pas rien d’avoir côtoyé un personnage devenu illustre, fut-il le pire des ennemis.

Et puis après tout, Staline n’avait-il pas réorganisé la cavalerie cosaque qui se distingua en combattant les Allemands ?

Matchabeli était venu en Belgique vêtu de sa vaste houppelande. Elle avait une histoire : « N’est-ce pas dans celle-ci qu’il enveloppait les nombreuses fiancées qu’il avait connues au cours de sa carrière militaire au service du Tsar ? »

On reprit les cours de russe à la Villette et de nouveau, les Cosaques djiguites repartirent en tournée d’exhibitions, toujours avec le même succès.

Hélas, l’horloge du temps d’Ordonnikidze marquait les heures mais aussi cette sentence « Tempo fugit » (Le temps fuit).

L’âge aidant, tous ces fiers cavaliers sont partis rejoindre leurs ancêtres dans les steppes immenses de l’Au-delà. Il ne reste plus que leurs descendants qui, fondus dans la population, tirent le rideau sur une tranche de notre histoire locale ;

Roger Nicolas

*Les Djiguites, cavaliers d’élite exceptionnels du Kirghizistan sont des cavaliers qui se distinguaient des autres par leur virtuosité.

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