
La révolution française de 1789 qui devait donner naissance au développement de la grande industrie ne rendit pas les hommes plus heureux pour cela. Malgré les belles promesses que fit la bourgeoisie aux paysans, serfs, manufacturiers et autres gens de peine qui prirent la part la plus active pour se libérer du servage.
En fait, le peuple ne fit que changer de maîtres. La plèbe fit place au prolétariat. Si les seigneurs du Moyen-Age vivaient de la sueur et de la peine de leurs sujets, la bourgeoisie qui leur succéda vécut de l’exploitation des hommes, des femmes et des enfants sur lesquels refermaient , pour de longues heures de travail, les portes des bagnes industriels modernes. Si les révolutions bourgeoises sont faites pour les pauvres, ceux-ci n’en retinrent guère de profit.
C’est ainsi que la situation des travailleurs du XIX -ème siècle n’était pas brillante. L’ouvrier ne comptait que pour le travail qu’il était obligé de fournir aux conditions qui plaisaient aux maîtres de leur imposer. Ces conditions étaient des plus déplorables au 19 ème siècle comme le soulignent les statistiques de l’économiste Villerme sous le titre « Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. » A Lille dans le nord, on comptait à cette époque un indigent inscrit sur quatre habitants.
Il n’y avait rien de plus épouvantable que ces taudis aux sous-sols humides où l’on descendait par un escalier qui servait à la fois de porte et de fenêtre et où le jour entrait à peine. Dans ces taudis, disait Villerme, j’ai vu, non pas une fois mais fréquemment, reposer ensemble des individus des deux sexes d’âges différents, la plupart sans chemise et d’une saleté repoussante. Père, mère, vieillards, enfants, adultes s’entassaient là.
Ces gens étaient sous-alimentés, leurs maigres salaires leur permettaient au plus de survivre.
Le menu quotidien était fait de pain et de pommes de terre. Ils ne mangeaient pas de viande ou très peu. Encore heureux quand ils disposaient d’un courtil qui fournissait quelques légumes.
Dans ces conditions et avec les règles d’hygiène les plus élémentaires qui manquaient, les maladies faisaient rage surtout la tuberculose qui, dans l’atmosphère moite et surchauffée des filatures , abrégeaient la vie des femmes et des enfants. La mortalité infantile était élevée. Que voilà un bien sombre tableau !
Il a fallu attendre les années trente du XX -ème siècle pour que la condition des travailleurs s’améliore un peu grâce aux luttes incessantes et mieux organisées qu’ils menaient. Hélas, cette courte période fut de nouveau troublée par le déclenchement de la guerre 40-45.
L’insuffisance de ravitaillement, les pénuries d’aliments, de textiles, de combustibles et d’autres produits nécessaires à la vie replongèrent les travailleurs dans la précarité tout en faisant abstraction du nombre de victimes du conflit.
Quand survint la libération en septembre 1944, toutes les séquelles de la guerre ne disparurent pas pour autant du jour au lendemain.
En 1947, le grand capital maintenait toujours les populations dans l’insuffisance. C’était particulièrement le cas dans le Nord de la France . Aussi les travailleurs français ne tardèrent pas à lutter pour de meilleures conditions de vie et pour leur liberté. Ils se mirent en grève et occupèrent les usines. La lutte fut longue et âpre. Les derniers sous fondaient à vue d’œil et cependant, il fallait tenir. La paie ne rentrait plus dans les ménages et la maman se demandait avec angoisse comment elle allait nourrir ses petits .
Les femmes communistes belges furent sensibles à cette détresse et avec d’autres elles résolurent de faire vivre la solidarité prolétarienne agissante. Sous la conduite des responsables fédérales telles Félicie Mertens, Mariette Debaume, Jeanne Mullier, Berthe Beaumont et d’autres encore, elles éditèrent des tracts commentant la situation et appelant la population à aider sous toutes les formes possibles la lutte des travailleurs de France pour leur dignité et de meilleures conditions de vie.

Elles prirent l’initiative d’héberger chez nous les plus nécessiteux parmi les enfants français. Les femmes entamèrent de nombreuses visites dans les familles susceptibles d’accueillir ces enfants, de les nourrir, de bien les soigner. Des contacts ont été pris avec leurs familles en France ainsi qu’avec les autorités municipales et nationales françaises afin d’obtenir les permis de sortie pour se rendre chez nous.
Dans un tract diffusé parmi la population, Jeanne Mullier, responsable nationale des femmes communistes, disait :
« Bien sûr dans les foyers ouvriers belges, l’opulence ne règne pas mais nous connaissons le cœur généreux des femmes de chez nous et nous sommes convaincues que pas une d’entre elles n’hésitera à prendre dans une armoire une boîte de lait ou un peu de sucre, un bâton de chocolat , pour aider les enfants de France.
C’est pourquoi, nous vous proposons d’organiser d’urgence une récolte de vivres pour les enfants des grévistes de France.
Pas une minute à perdre. Dès demain, réunissez votre collectif et dès après-demain, commencez les collectes dans les localités. Circulez avec des charrettes portant un calicot « Donnez pour les enfants des grévistes de France – solidarité comme pendant la guerre ».
Nous femmes communistes belges devons aider les mères françaises. Leurs enfants ont faim. Que leurs familles soient communistes, socialistes ou chrétiennes :
- L’enfant n’a pas d’opinion.
- L’enfance est sacrée.
- Elle a le droit de vivre et de réclamer notre aide ».
L’appel de ces femmes fut entendu. Beaucoup de denrées alimentaires furent récoltées et acheminées vers les enfants les plus nécessiteux des corons du Nord de la France et même de Paris où 300 enfants furent invités chez nous.
Ces enfants avaient faim et froid. Ils étaient anémiés et ne possédaient que peu de vêtements. En cet hiver 47 – 48, il était donc urgent de les vêtir chaudement. Des collectes de vêtements furent donc organisées. Les soins médicaux les plus urgents leur furent prodigués et répondant à l’appel, plusieurs familles belges notamment du Hainaut hébergèrent et soignèrent les enfants français.

Plus de 70 années ce sont écoulées depuis ces événements. La plupart de ces femmes militantes sont décédées. Dans notre région de Charleroi, à Courcelles, Lucienne Dechamps, épouse du député Georges Glineur, s’activa beaucoup dans ce combat.
Dans la salle du Cercle Louis Tayenne de Dampremy, nous conservons jalousement les archives de ces femmes ainsi que les fiches avec les adresses des enfants français et de leurs hôtes. Ces enfants ont grandi et maintenant peu sont encore vraisemblablement toujours en vie.
Ecrit par Roger Nicolas pour le Cercle Louis Tayenne