
Lors de l’inhumation des victimes de la catastrophe de 1930, le député communiste Joseph Jacquemotte était présent. Il s’entretenait avec un groupe de mineurs affilés au syndicat des « Chevaliers du Travail ».
Comme nous l’avons rapporté, il y a peu, des ouvriers polonais qui voulurent prendre la parole après les absoutes chantées par leurs compatriotes, en furent empêchés par la police communale . A ce moment-là, Jacquemotte voulut s’adresser à la foule pour dénoncer la responsabilité patronale dans le terrible accident. Filiaert , le commissaire de police, intervint pour l’en empêcher et somma le député de se taire . Comme il refusait, un barrage de gendarmes repoussa tout le groupe jusqu’à la sortie du cimetière. Un meeting fut alors improvisé dans un café de la place de Haies où logeaient la plupart des ouvriers polonais.
Jacquemotte était le fondateur du parti communiste de Belgique, en 1921. L’idéologie nouvelle récolta beaucoup de succès parmi la classe ouvrière surtout dans les bassins charbonniers liégeois et carolorégiens ainsi que parmi les dockers anversois. Certaines des Maisons du Peuple, créées par le parti socialiste furent emportées de haute lutte et même le Palais du Peuple fut occupé un moment par les communistes. La révolution prolétarienne faisait lever un espoir sans précédent parmi la classe ouvrière. Le suffrage universel enfin conquis n’offrait, par la voie démocratique, qu’un chemin long et patient.

Un des thèmes principaux de la presse progressiste de l’époque était la dénonciation du manque de sécurité et des mauvaises conditions de travail dans les mines et les usines. La notion de profit, chère aux premiers entrepreneurs, se doublait maintenant de celle de la productivité. Il fallait mettre les travailleurs en concurrence dans un monde où la mécanisation et la taylorisation avaient détruit toute la fierté de l’artisan et avaient fait de l’ouvrier un produit interchangeable naviguant d’une colonne de chiffres des statistiques à une autre.
De même, pourquoi, tous ces minuscules zéros voulaient -ils exprimer leur peur et leur faim de justice ? Ils étaient inaptes à comprendre les vérités du marché capitaliste. D’ailleurs, on était déjà trop bon d’admettre quelques-uns de leurs fils (ne parlons pas de filles) dans les universités. Quant à la constitution des syndicats, les patrons paternalistes considéraient cela comme une diablerie et souhaitaient en secret le retour de la Sainte Inquisition. A défaut, le monde des puissants essayait par tous les moyens de faire taire cette ridicule presse ouvrière, de démanteler le réseau des solidarités coopératives. Le paternalisme du XIX -ème siècle, avec l’aide consolatrice de L’Eglise catholique n’avait-il pas pourvu aux besoins essentiels de l’existence des ouvriers ?
Les archives de la Maison du Peuple de Dampremy qui fut, avec celle de Roux un des bastions communistes, contiennent les tracts et procès-verbaux des réunions des membres du syndicat des Chevaliers du Travail, union de défense des mineurs. Nous en extrayons les principales revendications émises à l’époque, formulées comme suit :

- De tout temps, le patronat charbonnier a eu comme principal souci l’augmentation de la production tout en abaissant le plus possible le prix de revient à la tonne et, comme nous l’expliquions plus haut, en faisant peu de cas de la sécurité qui n’est pas prioritaire.
- Quand les fluctuations du marché leur en donnent l’occasion, ils lancent une offensive généralisée et bien orchestrée contre les conditions d’existence et de travail des mineurs au nom du coût du travail
- Dans le secteur charbonnier, la concurrence par conséquent la dureté des conditions d’exploitation est plus âpre que dans les autres secteurs.
- Des revendications particulières, de dénonciations de négligences soigneusement cultivées dans certaines « fosses » apparaissent souvent.
- Dans une taille du Sacré Français (charbonnage de Dampremy) la ventilation tombée en panne n’ a été réparée qu’après une heure sans que l’abattage ne soit stoppé. Il faut remarquer que cette taille était réputée très grisouteuse et, par conséquent, que l’interruption du circuit d’aération qui, non seulement fournit de l’air frais, mais aussi évacue l’air vicié et chargé de gaz, aurait pu provoquer une catastrophe majeure en cas d’explosion de la poche de gaz accumulés.
- Certains porions méprisent les travailleurs étrangers et, si leur rendement est trop bas même si la faute en incombe au manque de compréhension du français (ou du wallon habituellement utilisé), ils les frappent. La direction les couvre et refuse de les déplacer .
- Les patrons tentent d’écarter des conseils d’entreprise les éléments qualifiés de dangereux car résistants aux suggestions patronales.
- Trop souvent, un ralentissement de la cadence, dû à la fatigue, à la maladie ou même à une alimentation insuffisante, est puni d’une retenue d’un cinquième de salaire. La même chose pour les retards le matin sans égard aux conditions de transport.
- Tous les prétextes sont bons pour ne pas respecter le salaire minimum dû aux abatteurs.
C’était la généralisation systématique de ce genre d’abus que les représentants des mineurs voulaient dénoncer en cette froide matinée de mars 1930. Cela suffisait à les faire qualifier de terroristes et subversifs.
Il faut noter que si la présence communiste était fort accusée, nombreux étaient les mineurs socialistes ou chrétiens qui soutenaient les revendications qu’eux-mêmes exprimaient et ressentaient comme essentielles.
Un texte écrit par notre ami Roger Nicolas.