De scandaleux événements

Lors de l’inhumation des victimes de la catastrophe du charbonnage du Bois du Cazier du 7 mars 1930 au cimetière de Marcinelle, des incidents eurent effectivement lieu. Ces incidents montrent combien était tendu le climat politique de l’époque. Le chômage persistant, une crise de production qui faisait tant de sans-emploi dans toute l’Europe, créaient un climat favorable à l’éclosion des extrémismes.

Joseph Jacquemotte

Le 12 mars 1930, le quotidien de droite « La Rappel » titre :

  • Les communistes italiens enlèvent le drapeau des anciens combattants de la colonie italienne de Charleroi.
  • Les Polonais se montrent tellement turbulents.
  • Scandale Jacquemotte au cimetière ».

Ces incidents, rapportait le journal de la rue Léopold où se trouvaient, à l’époque, ses bureaux et son atelier ont été provoqués par des meneurs politiques et syndicaux belges, italiens et polonais. Bien qu’agissant pour des motifs différents et sans s’être concertés, ils étaient unanimement qualifiés d’extrémistes communistes, de dangereux agitateurs, d’écervelés (ce qui se contredit mais la polémique ne s’embarrasse guère des subtilités) mais aussi de provocateurs et fauteurs de troubles. Si on passe outre à ces exagérations, que se passa-t-il aux bureaux du charbonnage et au cimetière ?

Lors de la formation du cortège funèbre au charbonnage, le Directeur gérant, Joseph Cappelen, recevait les condoléances des personnalités venues honorer de leur présence ce dernier hommage aux victimes. On notait la présence du Corps des Mines conduit par M. Lebacq, Directeur général, du Ministre Heyman, de M. Fikret, Inspecteur principal des Mines, de l’ingénieur Desenfants, de son chef, l’ingénieur M. Breye, administrateur, Directeur de l’Institut national des Mines, de MM Legrand et Gillet, ingénieurs principaux, Dethaye et Bohn, ingénieurs du Cazier, des membres du Conseil d’Administration du charbonnage parmi lesquels le comte de Sainte Foix, le Prince de Mérode .

Il y avait aussi de nombreux ingénieurs de la région dont M. Ferange, Directeur gérant des charbonnages du nord de Gilly.

Le conseil communal de Marcinelle était évidemment présent au grand complet. Plusieurs curés assistaient aux funérailles ainsi que Monseigneur Rasneur, évêque de Tournai.

Enfin, l’Italie mussolinienne alors au pouvoir depuis 7 ans, était représentée par le commandant Porta des anciens combattants italiens.

Plusieurs discours furent prononcés lors de l’inhumation par les représentants de ce haut gratin. Ils exprimèrent avec émotion combien ils partageaient le deuil et les souffrances de la classe ouvrière et adressèrent leurs vives condoléances aux familles des victimes  glorifiant, dans la phraséologie en rigueur dans les années 30, « ces soldats du travail fauchés par leur perfide ennemi, le grisou ». Aucun ne parla des remèdes qu’il convenait d’apporter aux dangers auxquels était exposée cette classe laborieuse qu’ils exaltaient ainsi.

Lorsque, après ces discours de circonstance, les représentants des mineurs voulurent adresser un dernier adieu à leurs compagnons de travail et réclamer en leur nom de meilleures conditions pour les ouvriers du fond et dénoncer l’incurie patronale qui préférait ne pas investir dans la sécurité pour éviter d’amoindrir les dividendes des actionnaires, ils en furent empêchés par la police communale et la gendarmerie, requises par le bourgmestre, pressentant des troubles qui pouvaient se présenter dans le contexte socio-politique d’alors.

Drapeau national fasciste

Bon nombre d’organisations ouvrières, groupées autour de leurs drapeaux, exprimèrent leur mécontentement à ce moment et l’état d’esprit s’excitait de part et autre. C’est à ce moment que l’arrivée du drapeau des anciens combattants italiens de Charleroi, porté par le lieutenant Dortigo flanqué d’emblèmes mussoliniens, provoqua l’ire de nombreux travailleurs italiens présents dont beaucoup avaient dû fuir leur patrie pour ne pas tomber sous la coupe fasciste. Deux de ces opposants se saisirent du drapeau et s’enfuirent dans la campagne. Leur fuite fut favorisée par la foule qui empêcha les pandores de les rattraper. Plus tard, la police, sur dénonciation, retrouva les lambeaux du drapeau cachés dans la « cantina » italienne du Fiestaux à Couillet.

A propos de ces Italiens réfugiés chez nous et bien accueillis par la population, il faut noter que ce n’était pas toujours des ouvriers membres ou dirigeants syndicaux mais aussi des intellectuels, journalistes, instituteurs ou professeurs d’université, membres d’organisations ou de partis politiques opposés à la dictature du Duce.

L’organisation consulaire, par contre, totalement soumise au nouveau pouvoir, avait rallié nombre d’anciens combattants italiens venus chez nous après la première guerre mondiale pour chercher du travail comme le feraient leurs fils un quart de siècle plus tard.

D’anciens membres des Jeunesses catholiques se souviendront peut-être que des émissaires venus de ce milieu rallié tentaient de leur inculquer les principes fascistes. C’est peut-être ainsi que Léon Degrelle , responsable du parti belge REX fut formé ?

A Marcinelle, notamment, un nommé Isodoro leur apprenait le chant fasciste « Giovinezza » quand ils se rendaient à la plaine de jeux du Mat Noir. Monsieur Isidore, comme il aimait à se faire appeler, était un familier du sinistre Marivoet, futur membre des brigades rexistes de tueurs. Il lui demanda souvent de venir filmer, à la plaine de jeux catholique, les exploits sportifs des jeunes qu’il prétendait endoctriner.

Les mineurs italiens les plus conscients ne pouvaient tolérer que des gens  de cette sorte tentent de pervertir leurs enfants. Aussi, leur présence à une cérémonie d’hommage à leurs camarades disparus était considérée comme un outrage, ce qui provoqua la réaction rapportée ci-dessus.

L’enlèvement du drapeau fut le signal  d’une répression contre les immigrés italiens opposés au fascisme. La police judiciaire, aidée par la gendarmerie, perquisitionna plusieurs phalanstères de la région où les ouvriers logeaient. Comme nous l’avons écrit ci-avant, un de ces établissements fut plus particulièrement visé. Situé rue de Villers 110 à Couillet, il fut cerné , les occupants interrogés longuement avec l’aide d’un traducteur venu du Consulat et toutes les pièces du bâtiment furent fouillées pensant découvrir des armes. Ils en furent à leurs frais et ne purent se targuer que de la découverte, dans une anfractuosité, à peine camouflés, les restes du drapeau enlevé au cimetière de Marcinelle ainsi que deux autres étendards fascistes saisis en France. Par contre, ils purent saisir quantité de tracts rédigés en italien, en français mais aussi en russe ou en polonais. Les gérants, accusés de s’être dérobés à la justice italienne pour des délits de droit commun, furent arrêtés ainsi que plusieurs ouvriers et mis à la disposition du parquet. Des mineurs tchécoslovaques qui logeaient dans cet établissement, bien que n’ayant rien à voir dans cette histoire, furent aussi interrogés sans ménagement.

La presse de droite soulignait que les femmes des mineurs étrangers craignaient « à juste titre » les perquisitions policières dans leurs maisons. Il faut dire que c’était en fait à juste titre car le police ne prenait pas de gants avec les « Macaronis » ou les « Polacks ». pourtant, comme cela se présentait à Marcinelle, les organisations de résistance , entre 1940 et 3944, allaient réunir parfois des policiers avec des antifascistes qu’ils avaient aidés à traquer …Il faut aussi rappeler que les étrangers n’avaient pas le droit de se retrouver au sein d’associations politiques issues de leur pays respectif sauf pour les partis au pouvoir, c’est-dire les partis de droite ou d’extrême droite que ce soit en Pologne, en Italie ou en Allemagne. Les partis communistes étrangers étaient spécialement visés. Leurs membres devaient donc se réunir dans la clandestinité et leur littérature circuler de même.

Cela dura jusqu’après la guerre, dans les années 50 lorsqu’éclata l’affaire Lodolo. Celui-ci était militant des jeunes communistes italiennes qui avaient une section puissante à Marcinelle. Les membres se retrouvaient en compagnie de jeunes belges chez une sympathisante algérienne qui habitait rue Huart Chapelle. Convaincu d’appartenir à une organisation étrangère interdite , Lodolo, fut emprisonné à Charleroi et sa famille privée de revenus. Sa femme et ses enfants ne durent leur survie qu’au mouvement de solidarité déclenché par les Jeunesses communistes de Marcinelle et l’appui que leur apporta Lucien Druart, conseiller communal et échevin socialiste marcinellois, lui-même ancien mineur et syndicaliste. Lodolo dont le crime était de défendre la cause des mineurs et sa famille furent expulsés et renvoyés en Italie. Les multiples protestations des mouvements démocratiques forcèrent cependant le pouvoir à céder et le parti communiste italien fut autorisé en Belgique.

Récit écrit par Roger Nicolas.

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