Dans notre dernier récit, nous annoncions l’arrivée de mineurs italiens.

Ces ouvriers isolés de leurs collègues par la barrière de la langue, n’ayant aucun droit légal pour constituer un syndicat, n’avaient aucun moyen de faire entendre leurs revendications. Ils n’avaient de contacts possibles qu’avec la lourde administration consulaire dont les bureaux n’étaient accessibles que durant leurs heures de travail. De toute manière, seuls ceux qui étaient inscrits aux A.C.L.L. (Association Cristiane dei Lavoratori Italiani) avaient accès à un moyen d’expression canalisé, aseptisé et qui était bien peu apte à convoyer une réclamation de façon suffisamment énergique.
Un beau jour du début des années 50, un jeune mineur, plus courageux, plus téméraire que les autres, osa protester et même prendre la défense d’autres de ses camarades ouvriers qu’ils soient italiens, polonais, grecs ou belges.
Gastone LODOLO était originaire d’Udine, une ville de 50 000 habitants du Frioul. Venu depuis peu d’Italie, sa femme lui avait amené leurs deux enfants. Pour sa famille, il avait quitté son baraquement du camp du XII et n’avait pu leur trouver qu’une petite maison de la Cour Monard, au pied du Tienne Saint-Gilles, près des usines de l’Energie . Ces maisons avaient été bâties avant 1840 et ne comportaient qu’une pièce du bas et une chambre à l’étage. Tout comme pour leurs compatriotes des camps, il n’avait pas l’eau courante. Seule la borne-fontaine pouvait leur fournir le précieux liquide. De plus, longtemps vide, la maison était insalubre et humide. Pour comble de malheur, l’hiver 1950 fut rigoureux. Dans la chambre mal chauffée, les enfants habitués à un climat plus ensoleillé, tombaient souvent malades. Le mobilier était réduit au minimum.+/
Le papier des murs se décollait de partout et les misérables meubles de bois blanc ne pouvaient suffire à masquer la misère des lieux. On va sans doute crier au misérabilisme en lisant cette description digne de Zola et pourtant, elle ne reflète que la stricte vérité de ce moment-là. On prétendait alors que les Italiens étaient sales comme s’ils avaient eu les moyens d’entretenir convenablement une maison louée souvent à prix prohibitifs. Pourtant madame Lodolo faisait de son mieux pour garder les lieux et sa famille dans un état de propreté impeccable.
Le courage de Gastone Lodolo et de son épouse fut remarqué par de jeunes membres de la jeunesse communiste de la section de Marcinelle qui, à l’époque, se dénommait Jeunesse Populaire de Belgique. Marina, ainsi se prénommait madame Lodolo, parvenait, par des trésors d’ingéniosité à les inviter à partager leur repas. C’est là qu’ils ont, pour la première fois, fait la connaissance de la polenta, ce plat familial des pauvres du nord de l’Italie réalisée à base de pommes de terre ou de maïs.
Bien sûr, la revendication ne pouvait se concevoir que sur le plan politique et Gastone et son épouse eurent tôt fait de penser à fonder une cellule de jeunes communistes comme celle de leurs amis belges. Il fallait , bien sûr, leur conseiller la plus grande prudence car cette cellule devait rester clandestine car n’ayant aucune chance d’être autorisée. Il était interdit aux ressortissants étrangers de se coaliser. Les réunions se tenaient le soir chez Jamila, une amie algérienne qui vivait seule dans une maison plus grande de cette même cour. Les jeunes mineurs italiens avaient beaucoup de griefs à formuler et, régulièrement, on sortait un tract en français et en italien, distribué par la suite dans les charbonnages.

Mais le tempérament transalpin est ainsi fait que la vie, même la plus misérable, ne peut se concevoir sans fête. Des soirées étaient organisées. Le chianti et le valpolicella ne manquaient pas de couler. En leur compagnie, nous apprîmes à danser la tarentelle et à jouer de la mandoline. On se retrouvait ainsi chaque samedi après la vente de « Noi Donne », le journal des femmes communistes italiennes qu’on recevait de Rome chaque semaine.
Toutes ces activités ne plaisaient pas cependant à tout le monde. Un jour où nous avions organisé une soirée de cinéma en plein air dans la rue Neuve de Marcinelle où la cantine Moretti logeait près d’une centaine de mineurs étrangers surtout Italiens, un correspondant local du Journal de Charleroi nous prit à partie et, dans un article, nous dénonça comme séditieux et perturbateurs venant troubler le sommeil des honnêtes habitants voisins.
De telles accusations ne pouvaient manquer de nous mettre en évidence aux yeux de autorités. Dénoncé, Gastone Lodolo fut déclaré indésirable et sommé de quitter le territoire belge. Refusant de laisser sa famille, il fut amené à la prison de Charleroi comme un vulgaire criminel. Les jeunes ne laissèrent pas tomber leur camarade et la Jeunesse Populaire entama des actions pour sa libération et la connaissance des droits de immigrés italiens. Des inscriptions à la chaux constellèrent les murs de la région même ceux de la prison.
Pour aider la femme et les enfants de l’emprisonné restés sans ressources, des collectes de vivres et de vêtements furent organisées parmi les habitants du quartier. Lucien Druart, conseiller socialiste et plus tard échevin de Marcinelle que nous avions contacté, nous aida à organiser ce mouvement de solidarité. Ancien mineur et syndicaliste, il connaissait le problème.

| Chaulage pour la libération de Lodolo |
Au tribunal, Lodolo se fit accusateur du capitalisme et des patrons charbonniers responsables de l’insécurité dans les mines, des bas salaires et de mauvaises conditions de travail.
Il était inévitable que, devant une ingratitude aussi noire, la Belgique « hospitalière » qui avait accueilli aussi généreusement cet étranger le renvoyait chez lui. C’est ce qui se fit sans lui laisser la possibilité d’organiser le retour de sa famille. Avec l’aide de ses camarades, celle-ci put néanmoins le retrouver quelques semaines plus tard. Dans la cour Monard, c’était la tristesse car nous avions perdu des amis.
Le scandale que causa cette expulsion eut cependant un côté positif : la mise en lumière du manque de droits dont disposaient les immigrés. Sous la pression des mineurs, les syndicats et le Parti communiste purent enfin être reconnus en Belgique et agir de façon légale.
Un texte de notre camarade Roger Nicolas
Extrait du site : www.resistence.org
Le 8 août 1956 explosa la mine de Marcinelle en Belgique : 282 mineurs ont été enterrés dans le puits de Charleroi dont 5 jeunes. Les Italiens étaient au nombre de 132. En 1955, un mineur communiste, Gastone Lodolo d’Udine avait été expulsé pour avoir dénoncé le danger d’une tragédie causée par une possible fuite de grisou et les manquements à la sécurité. Quand il fut condamné et expulsé comme « personne dangereuse pour l’économie belge », le Consulat d’Italie de Charleroi prit le parti des patrons de la mine .