Savoir tirer la leçon d’une aventure personnelle

Mac Cain dans un hôpital de Hanoï

Dans son livre « Les chocolats de l’entracte, dans le chapitre « Au large, les jours se rejoignent », François Chalais, grand reporter français, est au Nord Vietnam et souhaite rencontrer un prisonnier américain.

… Depuis mon arrivée à Hanoï, je demandais l’autorisation de pouvoir rencontrer un prisonnier américain. Cette autorisation vient de m’être accordée. Je ne sais pas encore qu’elle sera à l’origine d’un des souvenirs qui marqueront le plus profondément tout le reste de ma vie.

La nuit tombée, sans aucune précaution spéciale, ni mystère, on me conduit jusqu’à cet hôpital, non loin de l’aéroport dont nul n’ignore qu’il est plus particulièrement réservé aux militaires. Dans ma tête, j’ai préparé un beau petit discours. « Ma conscience, dirai-je, m’interdit d’interroger un prisonnier comme j’aurais pu le faire avec un homme libre. Mes questions seront de stricte routine. Tout ce que je désire, c’est voir comment un Américain est traité chez vous, ce qu’il mange, s’il peut lire, et quoi, s’il peut écrire ou recevoir des lettres, etc. » Mais devant la tasse de thé et le paquet de cigarettes, Dien Bien, l’officier qui me reçoit prend les devants.

« Je vous demanderai de ne poser aucune question d’ordre politique. Si cet homme répondait dans un sens favorable à notre cause, on ne manquerait pas de parler de je ne sais quel « lavage de cerveau », voire de menaces que nous aurions pu proférer. Vous voudrez bien, je vous prie, en tenir compte et ne rien dire qui pourrait faire monter sa température. »

La chambre est nue mais assez confortable. Lit blanc surélevé. Table de chevet. Une lampe. Un paquet de cigarettes. John Sidney Mac Cain est couché. Ses yeux fiévreux éclairent, comme de l’intérieur, un visage aux cheveux déjà presque blancs malgré ses trente et un ans. C’est un athlète au torse puissant recouvert d’une épaisse toison noire. Des épaules de lutteur au-dessus d’une physionomie qui rappelle celle de l’acteur Montgomery Clift. Son bras droit est dressé vers le plafond, retenu dans un énorme carcan de plâtre. Le gauche est sans bandage mais on le devine raide jusqu’aux extrémités des doigts qui retiennent maladroitement une cigarette. Je l’allume et je vois la flamme de mon briquet qui tremble, au rythme de ma main que je ne parviens pas à tenir immobile tellement une émotion que je n’attendais pas, m’étreint. J’ai envie de me serrer le coude droit avec la main gauche pour me fixer enfin le vacillement. La cigarette passe plusieurs fois à côté de la flamme sans pouvoir s’y arrêter. Et soudain, je fais le rapprochement : « Les Vietnamiens ont bien fait les choses. » Ce John Sidney Mac Cain n’est pas un prisonnier habituel. Son père n’est pas moins que l’amiral Edmond John Mac Cain, commandant en chef des Forces navales U.S. en Europe. Son grand-père, déjà, était amiral… Lui-même militaire de profession, lieutenant-commander, il a fait la « une » de tous les journaux américains lorsque, au mois de juillet dernier, il fut l’un des très rares et miraculeux rescapés de l’incendie du porte-avion Forestal …

D’une voix faible, il me raconte son histoire : « J’étais en train d’accomplir une mission de bombardement, mon vingt-troisième raid au-dessus de Hanoï. Mon appareil a été touché. J’ai voulu faire fonctionner mon siège éjectable. Mais le mécanisme m’a brisé les deux bras et la jambe droite. Evanoui, je suis tombé dans un lac. Des Vietnamiens, venant de la rive, se sont jetés à l’eau et m’en ont retiré à la nage. J’ai appris après qu’ils devaient être une dizaine. Ils m’ont ensuite conduit à l’hôpital où j’ai été à deux doigts de mourir. Un docteur a opéré ma jambe. D’autres, en même temps, se sont occupés de mes bras ».

Quez dire ? Il y a comme un poids sur mes mots qui leur interdit de sortir.

  • Comment êtes-vous traité ici ?
  • Très bien. Tout le monde est très gentil avec moi.
  • Et la nourriture ?

Il sourit mais s’arrête dans une grimace. La moindre réaction doit le faire souffrir atrocement :

  • Ce n’est as le chef de chez Maxim’s… Mais ça va …
  • Avez-vous de quoi lire ?
  • On m’a proposé de la lecture Mais mes mains sont incapables de tenir même un journal …

Sa cigarette s’est éteinte. Il parle de sa famille qui vit à Jacksonville, en Floride, de ses trois enfants. C’est à cette famille, maintenant qu’il s’adresse, mettant toutes ses forces dans l’espoir qu’il en sera entendu : « Ne soyez pas tristes … Je sais que cela va aller bien… Nous nous reverrons. Je vais aller bien … C’est tout… »

Il répète : « C’est tout »

Il y a des larmes dans ses yeux. Sa voix s’étrangle Tout le monde est ému. Les Vietnamiens aussi.

François Chalais décrit par la suite la description de cette guerre et termine son récit.

Mac Cain, candidat républicain US

 « Mon aventure vietnamienne s’achèvera de la façon suivante : « Un matin, j’aurai la surprise de recevoir la visite d’une petite femme au petit col Claudine. Elle arrivait de Floride. C’était la femme de John Sidney Mac Cain, le prisonnier blessé de l’hôpital d’Hanoï. D’abord, elle n’a pas su quoi me dire. Et puis, elle a touché ma main. Mais ce n’était pas ma main qu’elle touchait. Dans le contact de sa peau et de la mienne, je savais ce qu’elle cherchait : comme une trace sensible de ce que son mari qu’elle avait cru mort, était toujours vivant.

Il nous faudra attendre 2008, Européens, pour entendre parler de nouveau de John Sidney Mac Cain, il représente le Parti républicain à l’élection présidentielle l’opposant au démocrate Barack Obama et perd le scrutin avec 45,7 % des voix.

En 2016, après l’élection de Donald Trump à la présidence, il déclare, en dénonçant les prises de position du milliardaire en faveur des tortures par simulations de noyade : « Je me fous de ce que le président des États-Unis veut faire ou de quiconque d’autre veut faire. Il n’y aura pas de waterboarding. Nous ne ferons pas cela ».

Il décède le 25 août 2018.

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