Hallali (2)

Oradour-sur-Glane
C’était sur la fin du mois d’août 1944, le mois des coups de théâtre fabuleux. Après des semaines de piétinement en Normandie, les armées alliées bondissaient à travers la France. Les regards attachés depuis si longtemps sur les noms désormais historiques : Caen, Mortain, Avranches, Falaise, Cherbourg, avaient peine à suivre l’avance américaine.
Celle-ci avait débuté par l’entrée de Patton, à Rennes alors que l’on s’attendait toujours aux descriptions de combats titanesques à proximité de la côte. Puis on parla de Laval, de Mayenne, de Paris ! Paris dont on apprit le soulèvement dans une exaltation générale, l’arrivée des blindés de Leclercq, l’entrée triomphale du général de Gaulle.
Les pays, encore sous la botte hitlérienne frémissaient dans une atmosphère de victoire, de délivrance.
« Les alliés sont à Soisson, clamait le speaker de la radio anglaise ; 300 000 prisonniers depuis le 6 juin ! Reims … Laon ! Les Russes tiennent tout le delta du Danube et s’emparent de Constantza… Les Carpathes sont franchies … En Estonie, l’Armée rouge est à 12 km de Valka ! … Dans le Midi, le Rhône est franchi. Auxerre est libérée par les F.F.I. Le général Eisenhower lance une proclamation au maquis belge l’invitant à imiter le maquis français dès que l’ordre lui en serait donné. »
Et soudain, un coup de foudre, la nouvelle nous parvint : les chars de Patton venaient d’atteindre la Meuse aux environs de Mézières !
Nos routes étaient encombrées de milliers de véhicules refluant vers la frontière ; c’était la débâcle … Les drapeaux commençaient à sortir de leurs cachettes. Dans certaines maisons, on découpait fébrilement un drap de lit… Il y eut bientôt pénurie de teintures rouge, jaune et noire… Les rexistes, affolés et abandonnés à leur sort par leurs maîtres en uniforme, réquisitionnaient hâtivement l’un ou l’autre véhicule pour suivre la horde en déroute…
Cependant chez les partisans, les préparatifs se poursuivaient activement dans l’attente du grand jour. Le commandant Baligand, enfin parvenu à destination malgré sa mauvaise rencontre sur la route de Hemptinne, réunit en hâte l’Etat-Major du secteur ardennais car l’arrivée de Patton sur la Meuse apportait une impulsion nouvelle au branle-bas. La situation changeait de jour en jour, d’heure en heure.
L’avis de chaque chef de groupe fut sérieusement discuté et on en arriva à la conclusion : « D’après les positions atteintes par les Alliés, il était probable que ceux-ci se proposaient de traverser les Ardennes en direction de Liège et, de là, suivre le cours de la Meuse jusqu’en Hollande, peut-être même jusqu’à la mer en vue d’envelopper dans un gigantesque coup de filet toutes les troupes allemandes se traînant péniblement en Belgique et dans la pointe nord-ouest de la France. A leur tour, les Américains allaient sans doute rompre le front adverse en passant par Sedan. »
Les commandants des troupes répartis depuis la frontière française jusqu’à Liège reçurent des ordres précis : se renseigner d’heure en heure et rendre compte des faits nouveaux dont ils pourraient avoir connaissance.
Les opérations pouvaient être commencées selon l’initiative de chacun mais sans dépasser les limites du plan général. Il s’agissait de ne pas s’attaquer à la légère aux effectifs trop nombreux et toujours bien organisés qui suivaient les routes de première importance. C’eut été courir au-devant d’un massacre inutile. Qu’auraient pu faire une trentaine de mitraillettes contre une compagnie de chars ? Quelle chance pouvait avoir le plus valeureux P.A. armé d’un 6/35 en face d’une auto blindée ? Et puis les représailles contre la population civile étaient à craindre. On sait que ces démonstrations étaient le jeu favori des Allemands : massacrer froidement femmes, enfants, vieillards et raser un village pour venger la mort d’un des leurs tué au combat. Le plus sanglant exemple de cette monstruosité est celui d’Oradour-sur-Glane, en France où un millier de civils furent exterminés.
En conséquence, il fut décidé de commencer par l’occupant de petits villages perdus çà et là de part et d’autre des grand ’routes. Celles-ci se trouvaient ainsi sous le contrôle de nos hommes qui, selon l’occasion et la nécessité, pourraient y effectuer quelque raid : abattre des arbres, faire sauter un aqueduc, repérer un endroit miné, harceler un groupe isolé … en un mot, ralentir les mouvements de l’ennemi, contrarier ses plans, l’affaiblir dans la mesure du possible. Baligand et son état-major se rendirent au camp le plus proche A peine quelques paroles furent-elles échangées que le chef du camp demanda à brûle-pourpoint : « Peut-on y aller ? »
A suivre