« Les centres d’archives privés ont besoin d’un nouveau cadre légal »

Le 9 juin est la Journée internationale des Archives. A cette occasion, le secteur des archives privées a adressé une lettre ouverte à la ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles, Bénédicte Linard. Les signataires déplorent que les centres d’archives privées restent considérés comme un secteur subsidiaire du patrimoine culturel.

Madame la Ministre de la Culture,

La crise actuelle que vit la société belge amène les institutions, les organisations, les entreprises, les citoyen.ne.s à repenser leurs modes d’action. Des milliers de travailleurs et travailleuses sont en télétravail, des collectifs se mobilisent pour les plus précarisés ou les plus touchés par la crise sanitaire et sociale, des acteur·rice·s du secteur socioculturel continuent à mener leurs missions. Les formes des interactions ont changé ou, à l’inverse, se sont intensifiées : aux réunions en présentiel se substituent les vidéoconférences, les réseaux sociaux sont plus que jamais sollicités par la population pour (re)créer ou maintenir du lien, l’usage de plateformes où s’échangent des connaissances, des pratiques, des réflexions se répand, les communiqués, les cartes blanches se multiplient, etc. Bref, autant de traces d’une société qui vit et se (re)pense.

Un centre de partage sur les expériences liées au Covid-19

Les archivistes ne sont pas en reste. Conscient.e.s du caractère exceptionnel de cette crise, des initiatives sociétales qui en résultent et de la nécessité d’en conserver la mémoire, ils se sont mobilisés et se sont adaptés aux circonstances. Depuis un mois, la plateforme Archives de Quarantaine Archief est active. Ses objectifs sont ambitieux. Elle relaie les initiatives de collecte et de valorisation des témoignages sur le Covid-19 et sur le confinement ; elle référencie les actions de même nature des services d’archives privées et publiques ; elle constitue un formidable centre de partage de connaissances pour les professionnels de l’archivistique et le/la citoyen·ne lambda. Ce projet peut déjà être crédité d’une belle réussite en termes de mobilisations et de dynamisme. Des centres d’archives privées en ont été quelques-unes des chevilles ouvrières. Nul doute que d’autres s’y investiront en partageant les fruits de leurs récoltes d’archives, leur expertise, leur expérience.

Comprendre le passé pour bâtir l’avenir

Pourtant, les centres d’archives privées restent les incompris du secteur socioculturel. Ils sont considérés à tort comme un secteur subsidiaire du patrimoine culturel en Fédération Wallonie-Bruxelles. Maintes fois ne sont-ils pas assimilés aux musées ou aux bibliothèques ? Leurs missions, leur expertise sont en fait tout autres. Comme les archivistes des services publics, ils sont les garants de la conservation de notre mémoire collective. Ils accompagnent et conscientisent les différents acteur·rice·s de société à gérer leurs documents au quotidien, quels qu’en soient leur forme (images, textes, etc.) et leur support (papiers, électroniques, etc.). Ils trient, classent, conservent, valorisent, forment selon des normes internationales et des pratiques construites tout au long de leur expérience. Il s’agit là d’enjeux de bonne gouvernance – gérer l’information pour agir en toute transparence ; il s’agit là d’un enjeu démocratique – étudier et comprendre le passé pour poser les bases d’actions présentes et futures.

La mémoire collective en danger

Ces centres d’archives seront-ils en capacité d’assumer ces missions essentielles à moyen et à long termes ? La plateforme #AQA montre une nouvelle fois ce dont ils sont capables. Mais, derrière, elle les confronte, à nouveau, à leur principal écueil : l’insuffisance des moyens financiers. Depuis des années, les centres d’archives privées sont confrontés à de fortes difficultés pour assurer certaines de leurs missions élémentaires, comme la conservation des documents, faute d’un refinancement substantiel. La crise actuelle et les pertes sèches qu’elle occasionne n’amélioreront certainement pas leur situation – d’autant que les centres d’archives privées ne peuvent pour le moment pas prétendre au fonds d’aide prévu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce qu’ils regrettent. La mémoire collective et tous les enjeux qu’elle sous-tend sont en danger.

Un décret à revoir en profondeur

Seul un choix politique fort de votre part, Madame la ministre, permettrait d’éviter ce danger. À notre sens, il doit s’articuler autour de deux axes majeurs. Primo, la déclaration de politique communautaire du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles prévoit la révision du décret régissant les centres d’archives privées. Nous ne pouvons que vous encourager à concrétiser cet engagement, et en concertation. En effet, au cours de ces dernières années, la presque totalité des secteurs de la culture ont connu des révisions de décret ; les centres d’archives privées restent quant à eux sous le régime d’un décret qui ne dispose d’aucun arrêté d’application. Revoir ce décret en profondeur et lui adjoindre des arrêtés d’application sont une nécessité qui répondrait à un besoin de transparence et de mise en conformité avec les réalités des centres d’archives.

Revaloriser l’enveloppe budgétaire

Secundo, la révision de ce décret ne peut s’envisager qu’avec une revalorisation de l’enveloppe budgétaire. Sans quoi, mener l’ensemble des missions assignées aux centres d’archives privées relève de l’impossible. En tant qu’acteurs du présent et garants de la mémoire de notre Fédération, ceux-ci méritent, dès aujourd’hui, toute votre attention.

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