Un documentaire sérieux, fouillé et instructif prend la recette industrielle du cordon-bleu comme base d’une enquête édifiante.

Inutile de chercher la recette du cordon-bleu dans Le Guide culinaire (1921), d’Auguste Escoffier : si elle s’inspire de recettes de pays alémaniques, cette préparation de viande (poulet, veau ou dinde) panée et fourrée au jambon et au fromage a trouvé son nom et son premier public aux Etats-Unis, dans les années 1950. Pour devenir, ce qui ne surprendra personne, en France notamment, l’un des plats préparés industriels les plus consommés.
Ce cordon-bleu vendu sous plastique a quelques avantages apparents : facile à réchauffer, il donne de surcroît l’illusion d’un plat préparé avec des ingrédients simples, voire sains. Sauf quand on regarde l’envers du paquet (où tout, d’ailleurs, n’est pas indiqué), puis le documentaire saisissant qu’ont écrit et réalisé Maud Gangler et Martin Blanchard.
De prime abord, La Grande Malbouffe ressemble à ces documentaires qui pullulent dans les programmes télévisuels, où la manière dont certains produits et ingrédients de consommation courante passent à la moulinette d’une enquête dévastatrice donne envie de ne plus jamais y toucher… Mais ce film va plus loin encore, fouillant implacablement les arcanes parfois nébuleux des pratiques agro-industrielles, y compris celles suivies par les adeptes du véganisme qui, tout en ayant décidé de se passer de tout aliment d’origine animale, n’ont de cesse de reconstituer steaks et fromages.
Cette séquence rappelle que ces ersatz, qui ont le vent en poupe grâce à leurs airs vertueux, sont, eux aussi, des produits ultra transformés, bourrés d’adjuvants dont l’allure, avant cuisson, évoque parfois le produit visqueux dans lequel Louis de Funès passe un sale moment dans Les Aventures de Rabbi Jacob (1973), de Gérard Oury.
Leurres chimiques dangereux
Certes, quelques groupes industriels ont fait des efforts (on ricane un peu cependant lorsque telle marque de soupe présente ses excuses sous forme de publicités accusant ses anciennes mauvaises manières…), et tentent de remplacer les leurres chimiques possiblement dangereux par des solutions naturelles… D’autres assument – en soulignant, sur l’emballage, que le jambon est naturellement gris et non rose.
Mais demeurent quelques composants qui pourraient ne pas être nos meilleurs amis sanitaires : bienvenue dans le monde du E 171, qui blanchit aussi bien les fromages que la peinture murale, celui des huiles minérales dérivées du pétrole, de la transglutaminase et d’autres « auxiliaires technologiques » qui échappent aux règles de contrôle et de mention.
On en apprend des vertes et des pas mûres, des raides et des pas digestes, dans La Grande Malbouffe. De sorte qu’on recommandera aux adeptes du visionnage à la demande de regarder ce documentaire de préférence en dehors des heures de repas et de digestion.
Par Renaud Machart
Extrait de Le Monde