Libres propos:  » Qui sème le vent récolte la tempête »*

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Difficile ce matin de passer à côté des événements qui se sont produits hier à Washington DC. Et difficile de passer à côté des « analyses » ou plutôt des réactions à chaud, particulièrement émanant de notre camp politique, la gauche de manière générale, et plus encore celle qui se revendique d’une certaine forme de marxisme.

On oscille entre la moquerie (QAnon le Barbare, j’avoue que ça me fait rire…), la Schadenfreude (la joie malsaine de voir des troubles se produire au cœur de l’Empire, bien compréhensible au sein du Sud Global, un peu moins excusable quand on voit l’état de la gauche et son rapport au pouvoir dans les centres impérialistes), les avis péremptoires (« c’est un coup d’état ! »/ »ce n’est pas un coup d’état ! «,) et autres joyeusetés du genre…

Alors, paradoxalement, au vu de ce que je viens d’écrire, il me semblait intéressant d’évoquer quelques pistes de réflexion (et j’insiste sur le fait que ce ne sont QUE des pistes de réflexion) au sujet de ce qui vient de se passer :

– Les analogies historiques sont toujours périlleuses, car souvent, on s’attache à l’expression superficielle de rapports sociaux, de phénomènes historiques, d’arrière-plans culturels complexes, et on n’évite quasiment jamais l’anachronisme voire le contresens. Toutefois, il est intéressant de se pencher avec les précautions que je viens d’évoquer, sur l’histoire des mouvements fascistes au vingtième siècle dans les centres impérialistes. Par exemple, les tentatives avortées de putschs, voire leur caractère « tragicomique » (le cas de la brasserie munichoise en 1923) n’ont été que des étapes dans la constitution de mouvements fascistes de masse « performants » en Allemagne, jusqu’ à la victoire de 1933. Il serait bon de ne pas trop se gausser de certaines manifestations spectaculaires qu’on pourrait considérer comme risible, et de s’interroger sur les appuis de certains secteurs des classes dominantes, et sur les contradictions qui traversent ces dernières.

– Un phénomène inquiétant est la relative passivité des « forces de l’ordre » face aux manifestants, et il semblerait qu’il y ait eu quelques flottements quant à l’envoi ou non de la garde nationale. Si l’on met cela en regard des réactions des forces de police ou armées lors d’autres manifestations, cela impose une vigilance et une action spécifique dans ces domaines, qui dépassent les simples slogans du type « ACAB » ou antimilitariste. Surtout dans la mesure où, contrairement au mouvement ouvrier de la première moitié du vingtième siècle, la capacité d’autodéfense à gauche dans les centres impérialistes est nulle. Pas faible. NULLE. Le cas états-unien est certes spécifique, mais ces questions prennent aussi de plus en plus d’importance en Europe, et il serait bon à ce sujet d’entamer une vraie réflexion qui dépasse les postures morales, les slogans faciles ou les fuites en avant utopiques (et ça vaut pour les appels à la violence déconnectés du réel, bien évidemment).

-On aurait vraiment tort, dans le camp progressiste, de se moquer du fond idéologique des supporters de Trump. D’abord, parce qu’une partie non négligeable de ces derniers, issus du prolétariat et des « classes populaires », devrait pouvoir se retrouver dans ce camp progressiste. Également car, en Europe, on n’est guère mieux loti. Et que c’est une défaite non par écrasement (comme cela pouvait être le cas en Allemagne ou en Italie au siècle précédent) mais par forfait. Mais il faudrait également pointer la responsabilité des gauches occidentales dans l’accélération du processus de « destruction de la Raison », que ce soit par rejet d’une approche « scientifique » (science humaine mais science tout de même) de la lutte pour le socialisme, au profit d’une approche émotionnelle, faite d’indignations à répétition et de mise en spectacle constante, ou encore par la complaisance, par opportunisme à courte vue, envers différents obscurantismes, le dernier exemple en date concernant les délires à propos du COVID. La mise en avant des subjectivités, des « rébellions » au détriment de l’organisation, de l’analyse des structures et des rapports de force, et surtout de la diffusion d’une culture militante et idéologique exigeante est partiellement responsable de l’état actuel des choses.

– En ce qui concerne la « Schadenfreude » évoquée en début de post, elle est révélatrice, à mon sens, de la dérive idéologique de pas mal dans notre camp politique. En tant que communiste, il m’a toujours semblé clair que nous devions être les porteurs d’un monde nouveau, d’une civilisation meilleure, juste, … et que, partant de là, jamais on ne peut se réjouir du malheur d’une population, fusse-t-elle celle du premier centre impérialiste. La plupart des habitantes et habitants de ce pays ne sont pas plus directement responsables des politiques pyromanes de leurs dirigeants que nous ne le sommes en Europe. Si les évolutions récentes devaient empirer, les premières victimes seraient les travailleurs, les classes populaires, les femmes, les minorités, la gauche, …et seraient suivies par des contrecoups à l’étranger.

– La défense des libertés « bourgeoises » est une tâche importante, qui a toujours finalement incombé aux éléments les plus avancés des classes populaires. Il ne faudra pas compter sur les néolibéraux ou les éléments de « gauche » qui soutiennent l’impérialisme pour les défendre.

– Nous sommes entrés dans la zone des tempêtes. Samir Amin évoquait la possibilité de sortie du capitalisme par décadence ou révolution consciente. Les éléments que j’évoque ci-dessus sont une invitation aux progressistes du « premier monde » à s’organiser pour la seconde.

Voilà, quelques éléments de débat et de réflexion qui je l’espère, seront utiles.

*Titre de la rédaction

François D’Agostino

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