Armée belge de partisans armés (suite LXXIV)

Une visite à Tournai

Nous avons laissé Jean Roch dans sa retraite, aux environs de Stavelot où le Commandant national l’avait placé après le désastre de juillet 1943.

En janvier 1944, Jean fut remis en activité. La place de chef de corps était vacante dans la région de Tournai – Ath – Mouscron. C’était la seule contrée où notre homme fut encore inconnu. Il changea d’identité, une fois de plus et sous le nom de Willy prit le commandement du Corps 021, fort de trois cents hommes.

Citons ses adjoints : Raymond Willequet (André) pour Lessines ; Emile Delaunoy (Albert) ingénieur commercial pour Mouscron et Raymond Bachy (Roland) pour Péruwelz – Quiévrain.

Résistance à Tournai

Delaunoy, déporté et mort en Allemagne, fut remplacé par Dubar de Lessines dont le frère avait été abattu par Lombard, bourgmestre rexiste de Péruwelz ce qui valut à l’assassin la peine de mort après la Libération.

Le P.C. du Corps 021 était bien abrité, jugez-en ! Le chef du service de renseignements n’était autre que Gaston Coppens, greffier qui ne trouva rien de plus audacieux que d’installer le dit P.C. dans le bureau même du juge d’instruction au cœur de l’hôtel de ville de Leuze ? Le juge, un peu ratatiné et bon enfant, ne siégeait qu’une demi-journée par semaine. Ne soupçonna-t-il jamais un instant la double destination de son bureau ?

En tout cas, les P.A. effectuèrent de la bonne besogne. Bien des jugements y furent rendus qui signifiaient la peine de mort pour l’un ou l’autre traître de marque et bien des projets furent discutés dans ces murs avant d’aboutir aux habituelles opérations de sabotage. C’est là également que les partisans élaborèrent le plan de réception d’un parachutage important.

Le terrain avait été choisi sur le territoire de la commune de Brasménil à proximité de la frontière française, baptisé Lerida et soigneusement pointé sur la carte. Ensuite un code d’avertissement et de reconnaissance fut établi. Un échange de communications avec Londres par l’intermédiaire du Commandant national termina les préparatifs. Il n’y avait plus qu’à attendre.

Le bourgmestre et le maréchal ferrant du village étaient de la partie et le 30 mars 1944, un avis leur parvint de Bruxelles annonçant qu’à partir de la date susdite, le message précurseur d’un parachutage pouvait être lancé pendant l’émission de 7 h ¼ de Radio Belgique.

Les P.A. se tinrent en alerte et, le soir même, les quatre prénoms convenus d’avance étaient prononcés par le speaker de la B.B.C. : « Message pour Philippe-Ursule, nous pratiquerons le jiu-jitsu ce soir avec André-Marie ».

Les prénoms, seuls, étaient à retenir. La phrase qui les annonçait ne signifiait absolument rien et ne servait qu’à tromper les Allemands dont les spécialistes du déchiffrage perdirent des journées précieuses à vouloir démêler ces messages baroques.

Philippe, Ursule, André, Marie : ces quatre noms avertissaient les partisans du Corps 021 qu’un parachutage serait effectué entre 22 h et 0 h 30 dans la nuit du 30 au 31 mars sur le terrain de Brasménil.

A 21 h 45, une quinzaine de partisans se trouvaient sur les lieux. Le temps était superbe, vraiment favorable pour une telle expédition. Les hommes se placèrent en ligne, en direction du vent avec trois feux blancs échelonnés à 100 mètres d’intervalle. Le quatrième feu prit position à trente mètres à gauche du dernier de la ligne, face au vent et de façon à dessiner la lettre « L ».

A 22 h, un vrombissement prévint les patriotes de l’arrivée d’un avion. Mais était-ce bien celui que l’on attendait ? L’appareil décrivit un large cercle. A son deuxième passage, il était descendu sensiblement. Plus de doute, c’était lui.

Un ordre … ! Les feux s’allumèrent mais le quatrième, celui qui se trouvait hors de la ligne se mit à clignoter de façon singulière… un éclair bref, deux longs puis encore un bref. Un court intervalle et ce jeu de signaux se répéta sans discontinuer, bref, long, long, bref … En langage morse, c’était la transmission de la lette « P » initiale de « partisan ».

De l’avion, un signal lumineux répondit sans tarder. L’appareil revint une fois de plus au-dessus du terrain puis s’éloigna rapidement. Les partisans virent alors les énormes champignons de soie tirés vers le sol par de lourds containers. Des bruits mais à droite et à gauche sur le terrain puis les hommes s’élancèrent. La récolte fut satisfaisante : 2000 kilos d’explosifs et 9 mitraillettes. Les P.A. creusèrent hâtivement des trous pour y dissimuler le lourd approvisionnement en attendant de pouvoir le transporter en lieu sûr.

Ils se disposaient à quitter la plaine quand, à leur grande surprise, ils perçurent à nouveau un bruit d’avion. Comme la première fois, l’appareil se mit à tourner en rond. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Inlassablement, l’avion continuait son manège. Intrigués, les partisans attendaient.

Brusquement, d’une voix ferme, le chef lança l’ordre : « Reprenez vos places ! ». Au pas de course, les hommes reprirent l’alignement comme à l’exercice puis, à tout hasard, on lança de nouveau le signal.

Qu’allait-il se passer ? Evénement tout à fait imprévisible, les P.A. virent les « choses » atterrir dans un froissement soyeux. Ils s’empressèrent pour les ramasser quand, au comble de l’ahurissement, ils distinguèrent trois hommes débouclant les sangles de leur parachute. Trois hommes : Jean, Henri et Alphonse, tous agents spéciaux qui n’étaient pas destinés aux P.A. mais bien à un autre organisme de résistance qui, pour une cause indéterminée, n’étaient pas présent au rendez-vous.

L’avion qui les avait amenés allait faire demi-tour pour rentrer à sa base quand le pilote avait aperçu le signal des partisans. Les trois parachutistes accompagnèrent les P.A. dans leur retraite mais, dès le lendemain, ils s’en allèrent vers leur mission, vers leur destin. Ils demeurèrent en contact avec les partisans et c’est ainsi qu’on apprit qu’un mois plus tard qu’en Henri fut tué lors d’une expédition ; Jean, blessé dans les mêmes circonstances, fut ramassé par les Allemands puis fusillé ; Alphonse est encore en vie.

Dans la nuit du 5 au 6 juin, en même temps que les alliés débarquèrent en Normandie, les P.A. bénéficièrent d’un second parachutage. Cette fois, trente-cinq hommes se trouvaient à leur poste. Ils avaient amené une camionnette afin d’enlever sur le champ leur butin et l’affaire se termina le mieux du monde.

Plus tard en juillet, un agent secret fut parachuté au-dessus de la plaine « Lérida ». Malheureusement, le vent qui s’était levé tout d’un coup déporta le parachutiste et les partisans le cherchèrent en vain durant toute la nuit. Le soldat malheureux avait été livré aux Allemands par le bourgmestre rexiste de Bury. Suivant l’ordre lancé par Hitler, les brutes fusillèrent sans jugement le brave parachutiste.

Pour se venger ce héros, un partisan abattit l’infâme dénonciateur d’une rafale de mitraillette un dimanche, en pleine foule, au sortir de la messe.

Entretemps, le commandant Jean Roch était entré en rapport avec le Service « Socrate » » d’aide aux réfractaires.

Un jour de juillet, alors qu’il revenait de Mouscron, quatre feldgendarmes en civil l’arrêtèrent. Conduit à la feldgendarmerie établie dans une aile de la Kommandantur de Tournai, notre ami subit un interrogatoire serré. Mais ses papiers paraissaient parfaitement en règle et les boches n’approfondirent pas l’enquête. Heureusement pour le patriote qu’une simple visite et coup d’œil sur le registre de la population aurait voué à la mort. Jean fut remis en liberté mais il reçut de ses chefs l’ordre de cesser toute activité et de passer son commandement à son adjoint André.

Quant à lui, il fut rappelé à l’Etat-Major huit jours avant la libération pour y assurer le rôle de responsable des effectifs et du service des communiqués. Il devint ensuite officier de liaison entre l’Armée des Partisans et le général Gérard, chef des Forces de l’Intérieur.

Nous nous en voudrions de terminer ce récit sans signaler que les P.A. du Corps 021 coopérèrent souvent avec les Francs-Tireurs Partisans (F.T.P.) de la région de Tourcoing ce qui valut à leur commandant la croix de guerre française avec citation à l’ordre du jour du régiment.

Tout ceci montre bien ce qu’on pouvait faire et ce qui a été fait. Mais on a pu se rendre compte que, s’il n’y avait pas lieu de hausser les épaules à la lecture du premier appel à la résistance, la filière de l’Armée des Partisans n’était pas un sentier semé de roses.

Prochain épisode : « Echange de coups »

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