L’armée belge des partisans armés (suite LXIX)

Le goal-keeper fait un faux pas. 

La cavée à Lessines

Connaissez -vous Van Lierde, le fameux goal keeper de Grammont ? Oui ? Et le même devenu traître-gestapiste ? Non ? Eh bien, voici son portrait : passé au service de l’ennemi, Van Lierde battait tous les records quant aux dénonciations et aussi dans la chasse aux patriotes. Ses victimes ne se comptaient plus : l’individu était la terreur de la région et l’ennemi juré des P.A. du Corps 021 qui, durant des mois, essayèrent de mettre fin à son activité.

Très adroit, furetant partout, disposant de tous les moyens et foulant aux pieds pudeur et honnêteté, le bandit se croyait invulnérable. Tout d’abord, il était bien protégé et quand par hasard, on le rencontrait seul, c’était toujours mains enfoncées dans ses poches d’où saillaient deux révolvers et, dans un endroit très animé, il était impossible de le prendre par surprise, impossible de l’approcher. Le viser à distance, c’était risquer de le manquer, d’exciter sa colère contre d’innocentes victimes. On en était presque arrivé à se défier de lui sans espérer pouvoir jamais l’atteindre.

Ceci dit, portons-nous sur le tramway qui assure le service entre Lessines et Flobecq. C‘était dans la deuxième quinzaine d’avril 1944, la saison du plantage des pommes de terre. Les plants étaient très rares. Aussi, Léna, une jeune fille de Lessines, était-elle tout heureuse d’en porter quelques kilos à une sienne parente habitant Flobecq. Mais le sac manœuvré maladroitement et un peu brutalement se déchira et les précieux tubercules roulèrent sur la plate-forme du tramway. Un grand jeune homme, jusqu’alors impassible, s’approcha avec complaisance pour lui venir en aide.

Quand on est si aimable, on mérite bien quelques remerciements. La conversation était amorcée, les deux jeunes gens n’avaient garde de l’interrompre. Léna était jolie, le jeune homme pas mal du tout et … sympathique. Au terminus à Flobecq, on se souhaita au revoir. Cela se produisit comme par hasard. Les trams ne sont pas très nombreux sur cette ligne et nos deux gentils voyageurs se retrouvèrent à l’heure du retour.

Ils bavardaient gaiement comme de vieilles connaissances et pourtant, ils ne savaient rien l’un de l’autre. Quel pouvait être le nom d’une si jolie fille ? L’homme se risqua à le lui demander. Elle répondit avec espièglerie : « Vous êtes bien curieux. Que diriez-vous si je vous posais la même question ?

La conversation tournait au flirt et le charmeur répondit avec empressement : « Qu’à cela ne tienne. Je m’appelle Van Lierde. Mon nom doit vous dire quelque chose… »

Ahurie, la jeune fille murmura :
– « Comment ! C’est vous qui …
– N’exagérons rien Mademoiselle. Je suis un bon Belge. Je n’en veux pas aux réfractaires. Voici des lettres prouvant que je leur viens en aide à l’occasion.
– Pourtant …
– Oui mais je ne vise que les terroristes. Ceux-là, il faut les réduire. »

Léna s’était remise du choc. Comment ! C’était là le fameux Van Lierde, l’insaisissable acharné des partisans, de ses amis à elle car il faut dire que Léna faisait partie du corps de la région Tournai-Ath.

Maîtrisant ses sentiments, elle feignit se désintéresser de l’opinion et des actes de Van Lierde. La conversation reprit son cours d’amabilité puis glissa sur les préoccupations quotidiennes : « Comment, mademoiselle, vous manquez de beurre ? Si vous le désirez, je peux vous en procurer. »

Rendez-vous fut pris pour le lendemain et les deux jeunes gens se quittèrent mus par des sentiments différents : lui, dévorait des yeux celle en qui il voyait une conquête facile ; elle, était en proie à l’indécision. Que faire ? Avertir ses chefs ? Et si Van Lierde ne venait pas au rendez-vous ? S’il l’avait oubliée dès le lendemain ? On se moquerait d’elle, de sa prétention. Mieux valait attendre.

Le gestapiste amoureux fut exact et tint parole : il apporta un kilo de beurre frais. Mais le généreux donateur se montra de plus en plus empressé. En échange de sa prodigalité, il ne demandait que la faveur d’une petite promenade dans les champs. Vous connaissez la rengaine, n’est-ce pas ? L’air pur …le chant des oiseaux …les fleurs, toute la poésie d’un amoureux transi. Elle y consentit sans rougir, cependant comme le veut le refrain …

Ils se revirent le surlendemain dans le petit chemin vert qui coupe la plaine, immense damier de prés renaissants et de terres fraîchement emblavée. Mais Léna avait fait part à ses chefs de l’invraisemblable rencontre. On lui avait ordonné de ne pas manquer son rendez-vous et de laisser les choses suivre son cours.

Van Lierde jubilait. Jusqu’alors Léna avait répondu à toutes ses propositions. Il croyait pouvoir arriver à ses fins. La fièvre du désir bouleversait le traître. Ses instincts de mâle étaient peut-être les seuls qu’il ne pouvait trahir.

L’homme s’enhardit, prit le bras de sa compagne. Il l’emmenait plus loin, là-bas vers les grands saules. Penché vers elle, lui murmurait de mots prometteurs. Il ne vit pas les deux cyclistes qui, tout à coup, mirent pied à terre.

Le rêve s’acheva dans un claquement de révolver.

Effrayés, les paysans abandonnaient le travail et quittèrent précipitamment les champs. Léna prit le large, cependant qu’un justicier vidait son chargeur dans la tête du bandit.

Avant de s’en aller, les partisans fouillèrent le traître. Il n’avait pas d’armes Mais parmi ses papiers figurait une liste de deux cents personnes dont quinze partisans et le plan de la Cavée à Lessines où les patriotes avaient établi un dépôt. Mais là, les boches seraient arrivés trop tard car le matériel avait été enlevé quelques jours auparavant.

Le document ne constituait donc qu’une preuve supplémentaire de la trahison de Van Lierde à qui un sentiment humain venait d’être fatal …

Prochain épisode : « Soldats et paysans ».

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