Un danger insoupçonné

Cette anecdote se situe au début du mois d’août 1944. L’Etat-Major des partisans était en liaison avec les chefs de l’A.S. opérant dans les Ardennes ainsi qu’avec une fraction des F.F.I. établie de l’autre côté de la frontière. On vit même les patriotes effectuer en commun quelques coups de mains en territoire français et les F.F.I. participer, en Belgique, à d’autres expéditions audacieuses.
Mais si les autorités supérieures étaient au courant de certaines choses, les hommes ne se connaissaient pas toujours entre eux. C’est ce qui valut à Baligand d’être jeté dans une aventure assez scabreuse. Le partisan et sa secrétaire revenaient d’une tournée dans le secteur Marche-Rochefort. Tous les deux pédalaient allègrement en direction de Ciney. La route était libre, la température clémente. La journée avait été bonne, la mission s’était accomplie dans l’ordre et le couple avait plutôt l’air de paisibles excursionnistes.
Brusquement six hommes armés de mitraillettes surgirent d’un fourré et barrèrent la route. On était aux approches d’Haversin. Tout d’abord interloqués, Baligand et sa secrétaire s’arrêtèrent mais ils sourirent aussitôt car ils venaient de reconnaître le badge caractéristique de l’A.S. Les nouveaux venus ne paraissaient pas enclins à la plaisanterie.
– « Vos papiers !»
Baligand et la jeune fille s’exécutèrent de bonne grâce.
– « … de Bruxelles ? Que faites-vous dans le pays, questionna celui qui semblait être le chef du petit groupe. »
Baligand, les yeux dans les yeux, répondit franchement : « La même chose que vous. »
La réponse ne démonta pas le maquisard qui poursuivit : « On va voir. Levez les bras ! »
Débordant de confiance, Baligand obtempéra.
– « Fouillez-le ! »
A cet ordre, notre partisan frémit. Il venait de penser à la carte de recruteur rexiste. Trop tard. L’homme de l’A.S. la parcourait déjà des yeux. Un éclat de rire haineux traduisit les sentiments du patriote induit en erreur.
– « Nous en tenons un. Et il est de choix !

Les six maquisards jubilaient. Baligand n’en menait pas large. Les doigts sur la détente, un homme avait l’air pressé d’en finir. Et ces canons de mitraillettes s n’avaient rien de rassurant. Une seconde d’énervement, un emballement prématuré et c’était la fin lamentable au bord du fossé, sous les balles d’un patriote de bonne foi.
– « Qui est cette fille ? »
Répondant avec calme, Baligand présenta sa secrétaire et gagna du temps mais son interlocuteur précipita les choses.
- « Nous ne pouvons pas nous occuper d’elle pour le moment mais en ce qui vous concerne, la preuve est flagrante. Venez avec nous ! »
Notre ami comprit que son destin se jouait. Entrer sous bois, c’est courir à un jugement sommaire, à un lieu d’exécution qui aurait épargné à l’A.S. la peine de transporter un cadavre.
S’armant de toute se volonté, Baligand fit impression sur les maquisards par son calme imperturbable. Il les invita à la raison :
- « Voyons, ne vous énervez pas. Ecoutez-moi deux minutes…
– Toute discussion me paraît inutile. Ce papier nous renseigne clairement sur votre activité.
– Je n’ai pas de carte de travail. Ce document est mon seul sauf-conduit. Il m’est absolument nécessaire pour remplir ma mission qui m’entraîne dans tout le pays situé entre Liège, Arlon et Bruxelles. - Prouvez-le, je ne demande qu’à vous croire. »
La secrétaire atterrée se souvint tout à coup : « Dans le cadre de mon vélo ! » Il fallut enlever la selle. Dans le tube, un rouleau de papier était logé. Fébrilement, on déroula les feuillets. Il y avait là des documents relatifs à l’établissement d’un nouveau camp, le bilan des actions exécutées au cours du mois précédent, un relevé de l’armement et des indications en anglais concernant les mesures à prendre à l’occasion d’un parachutage. Ces papiers eurent l’heur de convaincre le chef des maquisards.
Cordialement, il tendit l main au partisan. Tous bavardèrent gaiement tout en permettant le vélo en ordre de marche. Ils oubliaient déjà qu’ils venaient de frôler une sanglante méprise. Les deux chefs se promirent de reprendre contact et prirent rendez-vous à cet effet.
Ainsi s’acheva, dans une ambiance symbolique, une aventure qui avait failli devenir tragique.
Prochain épisode : « Le goal-keeper fait un faux pas. »