L’armée belge des partisans armés (suite LXVII)

Parachutage d’armes

Fournitures d’armes

Depuis des mois, depuis des années, les partisans réclamaient des armes, des munitions, des explosifs. L’Etat-Major national avait pris contact avec les agents de l’I.S. Ensuite, une ligne de communication fut établie avec les services londoniens. Il en résulta un échange de vue concernant d’éventuelles fournitures d’armes. Quelques terrains furent choisis, soigneusement répertoriés sur la carte et pourvus d’indicatifs indéchiffrables pour l’ennemi. Mais clairs pour nos partisans et écartant tout risque de confusion. Ces renseignements furent transmis en Angleterre. De son côté, Londres envoya une série d’instructions à observer en cas de parachutage : disposition du personnel engagé, code secret d’avertissement, échange de signaux, etc. …

Tout était paré. Dans les camps, retirés de la vie normale, les hommes attendaient. Ils entretenaient amoureusement et, un peu mélancoliquement, leurs armes démodées ou celles qu’ils avaient prises à l’ennemi. Certains maquisards s’étaient procuré des armes de façon rocambolesque. On suivait un Allemand en balade avec une « cocotte ». Au moment propice, trois ou quatre hommes surgissaient d’une haie ou d’un champ de blé.

« Haut les mains ».

Un révolver de plus et deux chargeurs augmentaient l’arsenal des partisans. Ce genre de réquisition eut beaucoup de succès au Bois de la Cambre d’où bien des Allemands revinrent penauds et regardant de travers les filles dont ils oubliaient les charmes.

Quelques audacieux patriotes s’étaient spécialisés à profiter des bousculades sur les plates-fromes des tramways aux heures d’affluence :

« Excusez-moi, Monsieur …
Aufgepass, bitte … »

Le voyageur descendait à l’arrêt le plus proche et l’Allemand s’apercevait un peu plus tard que la gaine de cuir fauve avait été proprement délestée de son pistolet…

A certains endroits, les partisans envahirent par ruse le corps de garde des sentinelles rexistes. Tel fut le cas à Marchienne-au-Pont où une équipe de la Garde Wallonne y compris le factionnaire, fut désarmée en un clin d’œil. Mais toutes ces opérations ne procuraient qu’un armement disparate et les réserves étaient inexistantes car les pertes avaient été lourdes au cours des rafles exercées précédemment par les boches.

Juin passa … Le débarquement s’était opéré dans de bonnes conditions. La bataille faisait rage en Normandie. L’ennemi aux abois ne savait où donner de la tête. Les partisans rongeaient leur frein. Les événements d’un moment à l’autre et les armes n’arrivaient pas.

Premiers jours de juillet.

Vers 5 h de l’après-midi, un homme d’une trentaine d’années et une jeune femme entraient à Namur sans se presser. Leur allure modérée qu’on aurait pu attribuer à la nonchalance était due en réalité à l’extrême fatigue. En effet, nos deux personnages n’étaient autres que Baligand et sa secrétaire revenant à vélo du fond des Ardennes. Leur intention était-elle de s’arrêter à Namur ou de rejoindre Bruxelles le jour même ? Quoi qu’il en fût, nos gens ne manquèrent pas d’entrer chez un patriote namurois dont la maison était le rendez-vous de partisans : une nouvelle inattendue pouvait y être recueillie au passage.

Grande fut la surprise de Baligand de rencontrer là, sa femme venue expressément de Bruxelles et qui s’efforçait de retrouver les traces du commandant. Un heureux hasard venait de mettre les époux en présence. La courageuse femme sauta au cou de son mari mais, loin de s’attarder aux effusions agréables et bien compréhensibles, elle dit à brûle-pourpoint :
«  Un message reçu de Londres annonce que les parachutages peuvent commencer les soirs à 9 h ¼.
«  Tonnerre ! Nous devons alerter le camp !
– Peut-être ont-ils reçu le message ?
– Possible, mais douteux. Mieux vaut s’en assurer »

S’en assurer ? Ce n’était pas de la bagatelle. Refaire en sens inverse le chemin péniblement parcouru depuis midi !
« J’y vais ! »
Cela fut dit simplement et la secrétaire de Baligand se prépara à reprendre la route. Quiconque connaît le relief accidenté restera muet d’admiration devant le courage de la jeune fille.

Les rudes montées lui faisaient perdre un temps précieux. Souvent, elle devait mettre pied à terre. Des crampes lui paralysaient les jambes. Pour rattraper quelques minutes, elle dévalait à tombeau ouvert les descentes tortueuses. Au risque de se casser la figure, elle brûlait kilomètre sur kilomètre.

A 9 h du soir, Colette parvint au terme de sa course. Epuisée, haletante, elle arrivait juste à temps pour prévenir le commandant du camp si tranquille dans la douceur de cette nuit d’été.

9 h ¼ …

Après un bref résumé des nouvelles du jour, le speaker débita une série de messages personnels. Groupés autour du récepteur portatif, nos hommes, frémissaient d’impatience, attendaient anxieusement. La lecture des messages se poursuivait, au grand ennui des stratèges de salon qui les écoutaient forcément en attendant les nouvelles et qui maugréaient contre ces phrases décousues qui ne leur apprenaient rien.

Enfin, la voix du speaker énonça clairement les paroles fatidiques : « De Georges à François et d’Oscar à Joseph : l’alouette a retrouvé son nid. »
Vivement émus, les traits tendus, les dents serrées, les hommes se regardèrent.
«Ca y est ! »

Le message signifiait qu’à 1 h du matin, un parachutage s’effectuerait au-dessus du terrain situé à une dizaine de kilomètres au nord de Marche.

Une animation fébrile régna bientôt dans le camp. Les hommes prenaient leurs dispositions pour l’événement.

Avons-nous dit que tous vivaient là en parfaite discipline ? Tous étaient préparés : chacun avait reçu de sérieuses instructions sur le rôle qu’il avait à jouer. Des équipes étaient désignées pour baliser la piste d’atterrissage, d’autres pour tendre un réseau de protection autour du terrain, d’autres encore pour rapporter au camp le matériel qu’on allait recueillir.

On vérifia soigneusement les armes et on se mit en route, par petits groupes et en suivant des sentiers où tout étranger se serait égaré.

A 1 h du matin, tous les éléments étaient en place. La nuit noire se faisait complice. Les hautes herbes fouettées lâchaient leurs gouttes de rosée qui ruisselaient sur les chaussures. Le vent léger animait les feuillages et les haies d’un bruissement qui étouffait les rumeurs compromettantes. Un oiseau effarouché s’enfuyait en rasant le sol. Au claquement d’ailes, un partisan sursautait puis souriait de sa surprise. A part ces petits riens, tout était calme. Viendraient-ils ? Silence absolu, rien que du vent.

1 heure 02… Un vrombissement lointain …Ne seraient-ce pas les escadrilles de bombardement comme d’habitude ? Prêts à toute éventualité, les hommes plissaient le front pour mieux enfoncer leur regard dans la nuit.

Le bruit de moteur allait crescendo … s’approchait rapidement … si rapidement qu’on eut à peine le temps de réfléchir. Brusquement, l’ordre fut donné : « Allumez les torches ! »

L’avion volant très bas survola le terrain. Les torches étaient logées dans de légers tubes de diamètre approprié qui cachaient les rayons à quiconque se trouvait à la ronde. Mais, là-haut, l’ensemble présentait un quadrilatère jalonné de feux minuscules, rouges et blancs alternés.

L’avion décrivit un cercle immense et reprit de la hauteur. Le cœur battant, les maquisards scrutaient le ciel. Ah ! Une masse sombre ! Une autre encore ! Elles descendent … paraissent accélérer leur chute. Un bruit mat, un froissement soyeux. Serait-ce fini ? « Attention, ne bougez pas ! »

Une fois de plus, l’avion survola le terrain. Et de nouveau trois énormes paquets descendirent du ciel. L’appareil s’éloigna pour de bon cette fois. On pouvait y aller, ramasser les colis et il s’agissait de faire vite. Les équipes désignées s’élancèrent. Mais soudain, les hommes s’arrêtèrent figés de stupeur. Ils couraient sur la plaine déserte où quelques containers gisaient dans l’herbe humide et ils venaient de s’entendre interpeller par des voix étrangères. Les partisans se ressaisirent aussi et se couchèrent prudemment. Un ordre jaillit. De notre côté, quelqu’un y répondit. On s’expliqua.

Heureuse surprise ! Au dernier passage de l’avion, deux parachutistes de la S.A.S. avaient sauté. On les entoura mais il fallait avant tout retrouver les containers. Ceux-ci apportaient aux maquisards 10 mitraillettes, 20 révolvers, leurs munitions, 200 kilos de dynamite et deux postes récepteurs portatifs.

Rentré au camp, on fit la fête aux parachutistes. Ces hommes envoyés en mission spéciale ne devaient pas rester longtemps les hôtes de nos amis. Ils avouèrent les pénibles appréhensions qui furent les leurs au départ d’Angleterre. Être parachuté la nuit, en pays occupé par l’ennemi, en pays inconnu, quelle effrayante perspective ! Qu’allaient-ils trouver à leur arrivée au sol ? La mort ? La captivité ? Ne resteraient-ils pas livrés à eux-mêmes ?

Dépassant toutes leurs espérances, on les attendait à l’heure exacte, à l’endroit convenu. On leur procurait le gîte, la nourriture, des points de repère, des relais, des refuges de passage, des guides et tout ce que peut souhaiter un espion en territoire ennemi.

Nos alliés s’émerveillèrent de l’organisation au sein de laquelle ils venaient d’atterrir. En Angleterre, on était loin de s’imaginer que dans un pays restreint comme le nôtre, dans une hachure de routes et de voies ferrées, on puisse créer un foyer de résistance d’une telle ampleur.

Huit jours plus tard, un second parachutage eut lieu et les partisans virent de nouveau trois hommes descendre à la suite des containers. Ceux-là aussi témoignèrent de leurs craintes au départ et de leur étonnement à l’arrivée. Ils souhaitaient ardemment voir le chef des forces alliées prendre en considération les demandes et les capacités de la résistance belge et ils ne s’expliquaient pas l’indigence de certaines autorités à cet égard.

Nos hommes accueillirent chaleureusement, fraternellement les parachutistes alliés mais on doit dire franchement qu’ils auraient préféré recevoir leur poids d’armes et de munitions.

Londres ne fut pas prodigue. En tout et pour tout, les partisans groupés dans les Ardennes reçurent 35 mitraillettes, 60 révolvers, des munitions pour un usage modéré de ces armes, 200 kilos de dynamite et deux postes récepteurs. C’était bien maigre.

Parallèlement à cet inventaire, veut-on dresser le bilan des exploits accomplis, des effectifs recrutés et, si on ne l’oublie pas, des pertes subies ? A qui la responsabilité de cette carence ? Doit-on la rechercher auprès de notre gouvernement exilé ou bien auprès de grand Etat-Major allié ?

Par suite de riches promesses négligées, combien d’hommes sont tombés ? Combien d’autres échappèrent par miracle à la mort ? Nous connaissons un endroit où trois cents hommes des Milices patriotiques, fidèles au rendez-vous, attendirent pendant la nuit du 3 au 4 septembre 1944 un parachutage d’armes qui n’eut jamais lieu.

Que serait-il arrivé si les boches s’étaient avisés de cerner le terrain ? Quel massacre eut résulté de cet excès de confiance et de dévouement ? Vers minuit, une patrouille alertée trop tard surprit quatre retardataires qui ne durent leur salut qu’à leur connaissance parfaite de lieux et au concours de circonstances heureuses.

Cependant, quelles possibilités étaient ouvertes à ces hommes si l’équipement ne leur avait pas fait défaut ?

Qu’on imagine seulement ces trois cents volontaires bien armés, bien décidés, encadrés de partisans et harcelant les dernières colonnes ennemies en retraite. Peut-on estimer le butin qui ne serait jamais retourné en Allemagne ? Autant de matériel qui ne serait pas revenu écraser nos Ardennes et causer de sérieux soucis durant l’hiver 1944-1945 !

Cet exemple pourrait se répéter à l’infini. Il n’enlève rien à la valeur, à la bonne volonté des partisans ni à la gloire de la résistance tout entière.

Prochain épisode : « Un danger insoupçonné ».

Laisser un commentaire