Prélude au final.

| Raoul Baligand |
Retournons à Baligand que nous avons perdu de vue depuis la terrible affaire de juillet 1943. Notre ami avait retrouvé son aplomb et repris contact avec quelques camarades. Mais tous restaient sur les dents après le coup terrible infligé à l’Armée des Partisans.
Le Commandant national et son adjoint, les chefs du Service central des courriers, le commandant de corps de Charleroi, du Centre, de Tournai, du Borinage et de Namur ainsi que le responsable de l’armement étaient aux mains de l’ennemi. Il ne subsistait aucune liaison à la base. Les effectifs se trouvaient isolés, désemparés, perpétuellement sur le qui-vive.
Parmi les rescapés de la rafle désastreuse se trouvait le commandant du corps de Bruxelles et le camarade chef de l’Intendance nationale. Baligand réussit à les rencontrer. C’était le premier pas vers un nouvel élan, vers un nouvel assaut. Les partisans ne désarmaient jamais !
Un adjoint du responsable de l’armement fut heureusement découvert. A quatre, ils se mirent à la tâche. Imagine-t-on la somme d’efforts, de patience, de démarches qu’ils avaient en perspective ? Ils devaient relever et surtout d’abord rechercher toutes les pièces formant l’armature de leur organisation, rétablir des contacts et, de ce chef, le service des courriers, repérer les hommes capables d’assurer un commandement, aménager de nouveaux dépôts, récupérer des armes, des munitions, des explosifs, …
En quelques jours, grâce au concours d’éléments audacieux, le nouveau noyau fut formé. Il fit rapidement boule de neige. C’est alors que le Parti communiste détourna Baligand de son œuvre de reconstruction. Le patriote était trop connu de la séquelle de traîtres. On le savait terriblement menacé par la présence à Bruxelles d’une bande de mouchards qui auraient pu le pister. Il n’en fallait pas plus pour en arriver à sombrer une fois encore dans une rafle monstre.
Devant l’ampleur du danger, le P.C. invita donc Baligand à se tenir coi durant quelques semaines, voire quelques mois. Ne pouvant se résigner à l’inactivité, notre ami se vit confier la mission de rechercher des remplaçants favorables pour le montage des postes émetteurs clandestins et ce qu’il appelait ses « vacances » ne manquèrent pas d’animation.
En effet, après avoir déniché un endroit convenable, il devait en premier lieu s’assurer du patriotisme des habitants puis se mettre en rapport avec eux, leur inspirer confiance, dissiper leurs appréhensions et, même dans les meilleurs cas, ruser quelque peu car il fallait à tout prix éviter de se dévoiler entièrement, l’échec étant toujours possible.
Au bout de deux mois, Baligand fut délégué en qualité d’adjoint auprès du Commandant national pour la Wallonie et le secteur de Bruxelles.
Sur le plan international, les événements se précipitaient. Chassés d’Afrique ou plutôt pris au piège par centaines de milliers en 1943, les Allemands poursuivaient en Italie leur retraite « offensive ». Après Pantelleria et la Sicile, le pied de la botte était envahi, tenu fermement par les Anglo-Américains.
En Russie, l’élastique lâchée par von Paulus à Stalingrad revenait irréversiblement en arrière s’accrochant par-ci, par-là aux aspérités, c’est-à-dire aux garnisons désespérées émergeant des plaines d’Ukraine ou de Biélorussie.

En vagues de plus en plus puissantes, les bombardiers alliés sillonnaient le ciel. On sentait bien qu’un grand événement se préparait. On écoutait avec espoir, mais aussi le cœur étreint d’une légère angoisse le ronronnement devenu familier. C’était tout de même la mort qui passait, là-haut en route vers l’Allemagne.
Les rayons des projecteurs et le tir de la D.C.A. nous plongeaient brusquement dans une atmosphère de bataille. On croyait voir une étoile s’allumer dans le ciel mais une gerbe de flammes descendait tout à coup et s’épanouissait au sol dans une explosion sourde, dans un déchirement de ferrailles. Encore un équipage de perdu.
Sur notre territoire, le bombardement sérieux avait commencé. Les chemins de fer, les aérodromes et autres installations d’intérêt militaire étaient visés. Autant de signes avant-coureurs de la grande offensive libératrice.
Cette situation amena l’Etat-Major de l’Armée des partisans à créer une organisation capable de mener la guérilla si besoin s’en faisait sentir un jour. Antérieurement, on s’était contenté de rassembler quinze ou vingt hommes à la fois, selon l’importance des sabotages à réaliser. Ces effectifs restreints, suffisants pour les coups de mains nocturnes étaient loin de remplir les conditions nécessaires en cas d’éventuelle lutte ouverte.
La propagande allemande avait changé de visage. Elle ne parlait plus des avances foudroyantes de la Wehrmacht invincible mais bien de la joie de vivre dans la grand Reich menacé par les Soviets et pilonné par les sauvages de la R.A.F. ou de la A.A.F. On voulait nous faire oublier Rotterdam, Tournai, Coventry et Varsovie et nous ne savions encore que peu de choses sur les camps nazis.
On entreprit la formation des « Milices patriotiques ». Les volontaires étaient recensés par les soins de chefs de groupes. Ces chefs de groupes se réunissaient sous un commandement local. Un échelon plus haut se trouvaient les commandants régionaux lesquels recevaient leurs directives du Commandant national.
Pratiquement, les Milices patriotiques ne formaient qu’une espèce de réserve qui, le moment venu, pouvait être rapidement mobilisée, munie des armes promises par la radio de Londres et encadrée de partisans aguerris.
D’autre part, les Allemands activant la levée en masse de travailleurs destinés à leur industrie de guerre défaillante, nombreux étaient les hommes qui, bravant tous les risques, entraient délibérément dans l’illégalité. Ces braves gens erraient d’un refuge à l’autre, traqués par la Gestapo et la feldgendarmerie renforcées par les rabatteurs rexistes.
Bon nombre de réfractaires avaient déjà gagné le maquis, c’est-à-dire les forêts ardennaises. Tous préféraient tenir tête à l’ennemi, même au péril de leur vie, plutôt que subir l’asservissement. Il y avait chez ces hommes une élite capable d’accomplir de grandes choses à la seule condition d’être armés et sérieusement organisés.
Le Commandant Baligand fut chargé de prendre la direction de ce nouveau champ d’activités. Favorablement secondé, il obtint rapidement un résultat appréciable. Aux emplacements soigneusement choisis dans le cadre dessiné par l’Ourthe, la Lesse et l’Amblève, une dizaine de camps furent instaurés au plus profond de cette forêt ardennaise dont l’histoire deviendra légendaire.

| La Reid: mémorial national au maquisard inconnu. |
L’un des plus importants de ces camps fut celui de Mesnil l’Eglise non loin de Marche-en-Famenne. Là, une centaine d’hommes s’abritaient sous des huttes de branchages. Les villageois des environs assuraient le ravitaillement de nos courageux jeunes hommes. Avec une régularité digne d’éloges, les fermiers fournissaient à tour de rôle qui, du pain, qui du beurre, qui les pommes de terre ou autres produits de première nécessité. Parfois, les fournitures s’agrémentaient d’un message ou d’un renseignement utile aux francs-tireurs.
Les braves ménagères ardennaises, elles aussi, couvraient de leur attention nos patriotes hors la loi. Et ces femmes accaparées par les travaux des champs qui n’avaient même pas le temps de veiller à leur propre toilette, se muaient en blanchisseuses bénévoles et passaient leurs soirées à raccommoder un blouson ou à repriser les chaussettes d’un maquisard.
En très peu de temps, les Ardennes se transformèrent au grand dam de l’ennemi. Naguère, cette province peu industrielle et à la population clairsemée jouissait d’une tranquillité enviable. A dater de la création du maquis, il en fut tout autrement.
Les routes et les lignes de chemins de fer importantes tombèrent sous le contrôle des patriotes armés : des ponts sautèrent, les rails déboulonnés ou simplement dynamités ne se comptèrent plus. Il fut un temps où le trafic était réduit à quelques trains de voyageurs dont le retard s’accentuait par suite de nombreux transbordements forcés auprès des ponts détruits. Exaspérés, les Allemands envoyèrent leurs limiers et leurs mercenaires à la recherche des saboteurs. Naturellement, les mouchards rexistes déployèrent tout leur zèle.
Aussitôt informés et soucieux de leur sécurité, les maquisards parèrent la menace. Jusqu’alors, ils s’étaient contentés d’arrêter les Allemands isolés mais seulement dans le but de s’approprier de leurs armes. L’affaire prit une autre tournure quand il fut question d’abattre des hommes. On a beau savoir qu’il s’agit d’un traître ou d’un espion. L’idée de tuer son semblable entraîne une impressionnante crise morale.
Les chefs durent donner l’exemple. Ils se firent accompagner par quelques hommes, qui, témoins des premières exécutions, surmontèrent leur répugnance et accomplirent, à leur tour, de salutaires épurations.

La meilleure liaison entre les camps était due au Groupe mobile qui se spécialisa dans la chasse aux traîtres et aux agents de la Gestapo. Toujours partout et jamais nulle part, ce groupe avait, à sa disposition, deux automobiles confisquées à de peu scrupuleux collaborateurs.
Dès qu’ils apprenaient qu’une auto de la Gestapo pénétrait dans une zone tenue par les partisans, nos hommes se mettaient en campagne. Procédant par recoupements, se renseignant auprès des paysans, sur le passage de leur gibier, ils organisaient des poursuites allant parfois jusqu’à 150 ou 200 kilomètres.
Les boches roulaient, roulaient, effectuant leur ronde sur les routes à l’ombre des forêts. Quand une rencontre s’opérait, loin de toute localité, sans secours possible de part et d’autre, le combat s’ouvrait sans merci, une lutte à mort où les adversaires inexorables ne se faisaient pas de quartier et qui se clôturait par l’anéantissement complet de l’un ou l’autre part.
Heureusement nos partisans jouissaient souvent de l’effet surprise et leur connaissance parfaite du terrain leur permettait d’attaquer l’ennemi aux endroits se prêtant le mieux à ce genre d’escarmouches.
L’imprévu avait aussi son rôle à jouer parfois. C’est ainsi qu’un jour, les partisans tombèrent à un tournant de route sur un peloton d’une quarantaine d’Allemands. En pareil cas, la moindre hésitation serait fatale. Aussi le conducteur appuya-t-il sur le champignon. Avant que les boches aient pu se ressaisir, une volée de grenades et une grêle de balles les couvrit, cependant que l’auto fauchait les premiers rangs. Les partisans sortirent de l’affaire avec deux blessés seulement. Les Allemands ne publièrent jamais leur bilan et pour cause … Hélas, ils se rabattirent souvent sur d’inoffensives populations civiles mais leurs sanglantes représailles n’ajournèrent pas indéfiniment l’échéance fatale.
A suivre : « Un fameux sauf-conduit »