Une évasion
Penchés l’un vers l’autre par-dessus la table du café, les deux hommes scellèrent leur accord d’une chaleureuse poignée de mains. C’était à Fontaine-l’Evêque. Il y avait là Dick, commandant de Bataillon et le chef du groupe de Fontaine -l’Evêque qui venaient d’élaborer le plan d’un prochain sabotage.
Dick laissa partir son compagnon puis, après quelques minutes, il sortit à son tour. Une patrouille surgissant on ne sait d’où le repoussa à l’intérieur du café. Notre ami avait affaire à un trio de boches accompagnés de quelques Belges de l’école de Merlot spécialistes de la chasse aux réfractaires.

Deux allemands fouillèrent Dick. Comme le partisan n’était pas armé et que ses papiers paraissaient bien en règle, on le laissa passer. Comble de l’infortune et de la trahison en même temps, un ancien condisciple se dressa en face du patriote, exigea ses papiers et constatant la falsification, dénonça Dick aux Allemands en le renseigna comme un individu dangereux. Le malheureux subit alors une deuxième fouille puis on lui passa les menottes et on le fit monter dans le camion stationnant de l’autre côté de la rue.
A la prison de Charleroi, Dick fut assailli de questions ponctuées de coups de cravaches. Il ne desserra pas les dents mais, dès le lendemain, on le transporta, malade, à la caserne où il demeura sans soins durant trois semaines. Mais au cours de ses promenades quotidiennes, il put faire connaissance de certains prisonniers, simples réfractaires au travail, autorisés à recevoir la visite de leurs parents. Il en profita pour faire sortir une lettre à l’adresse de ses amis…
Comme il avait appris que, bientôt, on l’évacuerait par chemin de fer, le partisan réclamait à cor et à cri une arme et une clef de profil carré semblable à celles dont se servent les garde-convois. Hélas, malgré ses instances, le prisonnier ne voyait rien venir.
Un soir, il fut introduit dans une salle où un nouvel interrogatoire le laissa meurtri mais aussi décidé à se taire. « Demain, rugit son bourreau, on vous transportera là où l’on saura vous délier la langue. »
Effectivement, vingt-quatre détenus, réputés terroristes, devaient être embarqués le lendemain à destination de Bruxelles où ils devraient rejoindre un convoi en partance pur Buchenwald. Effectivement, Les vingt-quatre hommes et leur escorte, vingt-huit membres de la Gestapo (!!!) se dirigeaient vers l’immense voiture métallique qui leur était réservée en queue de train.
Malgré toutes les précautions voulues, les boches n’avaient pu canaliser le flot de voyageurs affairés sur le quai. Une chose phénoménale se produisit tout à coup. Dans une bousculade, Dick sentit qu’on lui glissait un paquet sous le bras. Là-bas, un homme s’éloignait sans se retourner.
Comment expliquer le coup ? Comment les boches n’avaient-ils pas remarqué la manœuvre ? Avaient-ils confondu un voyageur libre avec un prisonnier ? On ne sait. En tout cas, le fait est là, indiscutable : Dick venait de recevoir des mains de Remy, son fidèle adjoint, une gabardine roulée sans façon et recelant la clé tant désirée ainsi qu’un pistolet du calibre 6/35. Le P.A. comprit alors que ses amis ne l’avaient pas perdu de vue un instant et qu’ils étaient au courant de tout ce qui se tramait chez l’ennemi. Le train démarra. Dans le compartiment central du wagon, les prisonniers alternaient avec leurs gardiens vigilants. Néanmoins, Dick parvint à empocher adroitement le révolver puis la clef. Les Allemands stupides et sûrs de leur force avaient donné l’avertissement sans réplique : « Le premier qui bouge n’ira pas loin avant de recevoir une balle dans la tête. »
Dick et ses camarades étaient d’abord convenus d’un soulèvement brusque, d’un corps à corps général qui aurait jeté la confusion dans le train. Mais la présence d’un fort détachement de S.S. dans le wagon précédent avait refroidi les desseins de la majorité et finalement, par signes discrets, on se fit comprendre que le projet était abandonné.
Mais Dick, lui, maintenait son désir, sa volonté de s’évader coûte que coûte. Avec son révolver en poche, il se sentait moins seul, beaucoup moins seul. Quand notre ami se leva pour se rendre au W.C. situé à l’extrémité arrière du wagon, un boche bondit sur pieds et fit le même chemin. Le plus innocemment du monde, Dick poursuivait son idée. D’un coup d’œil subtil, il se rendit compte des moindres détails de structure du compartiment arrière. A gauche, le W.C., juste en face, au centre de la paroi, la portière donnant sur la voie entre les rails, … sur la liberté.
Bien gentiment, le P.A. regagna sa place, le boche se rassit pesamment. Quelques lieues plus tard, le prisonnier simulant un malaise se leva pour la deuxième fois. Son gardien l’accompagna de nouveau en laissant paraître son mécontentement. Cette seconde promenade vers l’arrière permit à Dick de vérifier une dernière chance : l’impossibilité, pour les occupants du wagon de remarquer ce qui se passait dans le compartiment arrière. Revenu à sa place, le P.A. réfléchit aux ultimes atouts dont il disposait.
Bientôt, il se lèverait pour la troisième fois ; Arrivé au réduit, au fond, il assommerait le boche d’un coup de clef. Au besoin, il lui logerait une balle dans la tête et puis … La poitrine du courageux garçon se dilata.
La plupart des Allemands cédaient au bercement du train, beaucoup frisaient la somnolence. Toutefois, persuadé qu’il était tenu à l’œil, Dick esquissa quelques gestes, symptômes d’une indisposition simulée. A la fin, ronchonnant et prenant un air contrarié, il se leva pour le grand jeu. On était aux environs de Baulers. Fatigué, sans doute de ce va-et-vient qu’il ne pouvait cependant pas empêcher, l’Allemand ne bougea pas. Sa défaillance lui a sans doute sauvé la vie. En tout cas, elle simplifia le plan du P.A. Introduire la clef, ouvrir la porte … trois secondes, se baisser, s’accrocher aux conduites des Westinghouse et se laisser glisser dans le vide … cinq secondes.
Les pieds du téméraire frôlèrent le ballast, se posèrent plus fermement. L’homme accomplit quelques enjambées de géant à la remorque du train puis il lâcha son point d’appui. Malgré toute se science mise dans cet effort, Dick ne courut que deux ou trois pas, la force attractive le plaqua violemment sur le gravier, entre les rails.
Quelques secondes d’étourdissement et le partisan, miraculeusement indemne, se releva pour plonger aussitôt dans les broussailles matelassant le remblai très élevé à cet endroit. L’homme roula jusqu’au fond puis il se mit à courir à travers champs sautant les haies, se faufilant entre les arbres. Là-haut, sur la voie, le train s’était arrêté. Déjà des S.S. et les gardiens se répandaient alentour.
L’évadé bondissait dans un effort surhumain. Il avait déjà parcouru plus d’un kilomètre quand il sentit ses forces faiblir. Il n’irait plus loin. Les coups qu’il avait reçus, la sous-alimentation en prison et le contre-coup de sa chute sur la voie, le handicapaient sérieusement. Et puis l’alerte avait été donnée trop tôt, les Allemands seraient bien vite sur ses traces et ne manqueraient pas de le rejoindre ;
Le pauvre diable contourna une haie. Sur le seuil de sa grange, un fermier fumait tranquillement sa pipe. Muet de surprise, il dévisagea l’individu dépenaillé qui se présenta soudainement devant lui. A bout de souffle, le misérable risqua sa dernière chance :
« Camarade, je me suis échappé du train, là-bas et les boches sont à mes trousses ! »
« Viens par ici ».
Dick entra dans la grange. Sur le conseil du fermier, il s’étendit avec confiance et le généreux paysan se mit en devoir d’amonceler sur le malheureux une quantité de paille qui découragerait certainement les plus acharnés chercheurs. Dick estimait à trois mètres l’épaisseur de la couche qui le protégeait ?
Peu après, il entendit la voix de son suiveur lequel accompagnait les Allemands dans leurs perquisitions. Les brutes ne firent qu’une brève apparition dans la grange. Ils fouillèrent toutes les maisons du voisinage, les haies, les buissons, les fossés, les hangars isolés en plein champ, tout ce qui aurait pu servir de refuge à un homme traqué. Après deux heures et demie de recherche, ls boches abandonnèrent la partie et regagnèrent le train immobilisé depuis trop longtemps déjà.
Le fermier dégagea le partisan de la paille qui le suffoquait à demi. Il le ravitaila copieusemet, lui garnit les poches et, à la tombée du jour, lui souhaita bonne chance.
Dick marcha longtemps, s’égara, se reposa retrouva son chemin et, dès l’aurore, il se coucha dans un renfoncement de terrain, au cœur d’une prairie immense où nul ne passait jamais. Il dormit profondément et pourtant, il était bien courbaturé quand il reprit sa marche, la nuit suivante.
Vers 3 heures du matin, il frappait à la porte du bourgmestre de Seneffe. Inutile de dire qu’il fut bien accueilli chez le brave patriote qu’il avait connu en prison.
Notre ami passa le troisième jour de son évasion chez un jardinier de Fayt-lez-Manage. Là, il se retrouvait en pays de connaissance chez un auxiliaire des P.A. Aussi, grâce à l’obligeance de son hôte, n’eut-il aucune peine à prévenir les camarades de son bataillon. Dans la soirée, quatre hommes se présentèrent à Fayt-lez-Manage. Ils servirent d’escorte à leur chef jusqu’à Marchienne où ils arrivèrent sains et saufs à 11 heures du soir.
Prochain épisode : « Hyménée »