L’Armée belge des partisans armés (suite LI)

Les huit locomotives de Ressaix

Sur un coin de page du bilan des opérations à l’actif des partisans dans le Centre, nous lisons :

-Sabotage de la salle de pompage et des transformateurs à Piéton.
-Destruction des freins Westinghouse à des centaines de wagons.
-Exécution de nombreux traîtres rexistes et particulièrement de Saintrain Duquesnes.
-Réquisition de timbres de rationnement aux charbonnages de Mariemont.
-Sabotage de la sous-station électrique de Piéton.
-Réquisition d’argent au charbonnage de Strépy-Bracquegnies.
Destruction de huit locomotives au charbonnage du Plateau à Ressaix.

Société des charbonnages de Ressaix

Cette dernière entreprise fut assez mouvementée. Avent de l’effectuer les P.A. rencontrèrent déjà bien des difficultés. Ils ne disposaient pas que d’un matériel rudimentaire : le cordon « Bickford » faisait particulièrement défaut. Le commandant D … s’était vu dans l’obligation d’acheter 1 mètre de mèche d’amadou qu’il paya 30 francs, prix exagéré, on en conviendra.

On découpa cette mèche d’amadou pour en prolonger les quelques bouts de cordon Bickford mais à l’essai, on constata que le feu s’arrêtait au point de jonction des deux mèches de natures différentes. D … s’avisa de gratter le phosphore de quelques allumettes et d’en saupoudrer les sections des deux cordons. L’expérience donna pleine satisfaction et les mèches furent ainsi préparées.

Quand on se rend compte des moyens de fortune employés, on se demande une fois de plus ce qu’aurait pu réaliser une armée des partisans parfaitement équipée !

Au jour fixé, quinze hommes dirigés pat le commandant D … et son adjoint A … se présentèrent aux abords du charbonnage. Avec d’infinies précautions, ils cisaillèrent un réseau de fils barbelés défendant l’accès du chantier. Une fois le barrage franchi, les patriotes capturèrent les veilleurs l’un après l’autre et les enfermèrent dans la loge du concierge. Ensuite vint le tour des ouvriers travaillant à la surface. La rafle s’effectua sans encombre sauf quelques petits incidents tragi-comiques.

Un P.A. surgissant dans une remise y découvrit un bonhomme qui, à grands coups de pelle à feu, nettoyait le foyer d’une locomotive. Le patriote interpella l’ouvrier. Tout à ce son travail, ce dernier n’entendit rien… Une deuxième sommation n’eut pas plus de succès. Le saboteur s’approcha du travailleur et lui toucha l’épaule. Le pauvre diable se retourna mais, sidéré à la vue de ce géant masqué jouant négligemment avec un révolver, il s’affaissa comme une loque. D’autres partisans arrivèrent sur les lieux. On essaya de rassurer le manœuvre, on lui fit boire à même son flacon trouvé sur une caisse. L’homme se remit difficilement et on dut le transporter en lieu sûr auprès de ses camarades.

Un peu plus loin, un autre ouvrier sortit de dessous une locomotive en déclarant avec empressement qu’il autorisait les P.A. à faire tout ce que bon leur semblait. Cette gentillesse fut accueillie par un éclat de rire général.

Neuf locomotives s’offraient comme cibles et les partisans se mirent à placer les explosifs dans les boîtes à fumée mais une grande incertitude planait. Cinq machines, tous feux éteints étaient bien froides, deux autres conservaient un reste de chaleur et les deux dernières étaient encore sous pression. Comment le « plastic » allait-il se comporter sur ces objectifs différents quant à la température ?

On commença par dynamiter les premières locomotives et on alluma les mèches à retardement de vingt minutes. Ensuite, D … ordonna aux hommes de quitter la remise. Seul A … demeura avec lui et les deux P.A.se partagèrent le reste de la besogne. A … fut chargé de dynamiter les deux machines à moitié refroidies et de quitter la place le plus rapidement possible.

D … se réserva les deux locomotives sous pression. Une certaine appréhension l’étreignait… si la charge détonait brusquement, au premier contact du métal chaud ? Le commandant ouvrit la lourde porte sur l’avant d’une superbe « T.II », glissa dans le tube la pâte infernale, alluma rapidement la mèche, referma la porte et courut répéter les mêmes gestes sur la dernière machine. La matière détonnante s’amollissait de façon inquiétante. Elle fondait littéralement au contact de l’engin encore fusant de vapeur.

Au moment où D … refermait la porte sur la dernière charge, un souffle puissant le renversa. La locomotive qu’il venait de dynamiter l’instant d’auparavant sautait dans un fracas de tonnerre. Et la mèche était calculée pour un retard de vingt minutes. Heureusement indemne, le chef se releva, bondit vers A … qui accourait à son secours.

Une deuxième explosion les fit chanceler tous les deux. La deuxième machine, déchiquetée, dégorgeait un flot de vapeur et de fumée. Une odeur de poudre, de gaz, et d’huile surchauffée étouffait les deux audacieux. Dare-dare, ils rejoignirent leurs compagnons anxieux devant ces explosions prématurées.

Nom d’un chien ! Brusquement, les deux locomotives minées par A … sautèrent coup sur coup en l’espace de 10 secondes. Il s’agissait de filer au plus vite car les déflagrations allaient attirer des curieux.
Nos hommes se trouvaient déjà loin quand vingt minutes plus tard, quatre des cinq dernières machines explosèrent à leur tour, à l’heure prévue, celles-là mais la cinquième échappa à la destruction.

Heureux de la mission bien remplie, les partisans pensaient-ils encore au danger qu’ils venaient d’affronter ? Cela pouvait vraiment s’appeler jouer avec le feu !

Prochain épisode : « Le pont du Ventaire »

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