Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. C’était il y a 30 ans. La révolution roumaine renversait la dictature communiste de Nicolae Ceausescu. Le président et son épouse Elena sont exécutés au terme d’un procès expéditif. C’était un des derniers bastions communiste d’Europe. Le 21 décembre 1989, le Conducator tente de reprendre l’initiative : la révolte qui a éclaté quelques jours plus tôt à Timisoara gagne la capitale. A Bucarest, un rassemblement de masse en soutien au régime se transforme en manifestation contre le régime. Sous les huées, le président doit interrompre son discours. Le lendemain, le 22 décembre, Nicolae Ceausescu prend la fuite à bord d’un hélicoptère avec son épouse Elena. Quelques heures plus tard, la foule envahit le siège du Comité central du parti communiste où le « Danube de la pensée » était réfugié. L’armée va se rallier à la foule. Le régime tombe. Suivent trois jours d’errance avant l’arrestation du couple. Le 25 décembre, c’est leur jugement devant un tribunal improvisé à la garnison de Târgovişte à une cinquantaine de kilomètres de Bucarest.

Un procès expéditif
Après une visite médicale, l’audience commence. Le procès dure moins d’une heure. Il reproduit la procédure utilisée par le régime contre les opposants et les dissidents. Les normes de l’Etat de droit ne sont pas respectées. Les chefs d’accusation sont nombreux, notamment le génocide. A Timisoara, le bilan de la répression sanglante qui fait 70 morts a été déformé. Il est question de charnier et de milliers de morts, des estimations non vérifiées mais reprises par la presse. Le dossier d’accusation mentionne un génocide ayant fait 60.000 victimes. Les autres chefs d’accusation sont : atteinte au pouvoir de l’État par l’organisation d’une action armée contre le peuple et les pouvoirs étatiques, destruction de biens publics et affaiblissement de l’économie nationale. Le procureur requiert la peine de mort.
Face à ses juges, Nicolae Ceausescu conteste la légitimité du tribunal. « Un coup monté par des traîtres », dénonce-t-il. Ses avocats se livrent à un véritable réquisitoire contre lui. L’audience est secrète, à huis clos, mais filmée. Après 10 minutes de délibération, la sentence est sans surprise : la mort et la confiscation de tous leurs biens. A la lecture de la peine, Nicolae Ceausescu proteste véhémentement. Le couple est emmené pour être exécuté dans la cour de la caserne. Nicolae et Elena ne veulent pas avoir les mains entravées et se débattent. Des militaires leur ligotent tout de même les poignets et les emmènent. Quatre soldats sont choisis pour les fusiller. Ils vident les chargeurs de leur armes automatiques. L’ancien président entonne le début de l’Internationale puis s’écroule.
Le soir même des extraits choisis sont diffusés à la télévision nationale roumaine, vite repris par les télévisions occidentales. Le son est mauvais, l’image instable. On n’y voit pas clairement les membres du tribunal, maladroitement coupés au montage, mais on devine la coiffure de l’un de ceux qui annoncent avoir pris le pouvoir à la télévision, des costumes militaires… Ce n’est que plus tard que l’identité des juges sera révélée. Parmi eux, le général Victor Stanculescu, responsable de la répression à Timisoara. Il a changé de camp et est le grand organisateur de ce procès expéditif. Il rejoint ceux qui s’emparent de la révolution roumaine, dont Ion Iliescu, ancien cadre du parti communiste à la base du Front du salut national, des militaires et des responsables de la Securitate. Ensemble, ils veulent envoyer un signal clair à la population, un double signal : aucun retour du dictateur ne sera possible et se dédouaner des violences qu’ils ont commises sur les ordres de Ceausescu.
Les corps de Ceausescu seront enterrés dans le cimetière de Ghencea à Bucarest d’abord dans une sépulture sans nom, puis dans une tombe identifiée. Les corps seront exhumés en 2010 pour une analyse ADN qui confirme leur identité.
Quelques jours après l’exécution de couple Ceausescu, les médias occidentaux assistent à la découverte d’un prétendu charnier à Timisoara. En réalité une véritable mise en scène de cadavres exhumés du cimetière des indigents. Les images feront le tour du monde, les médias s’en donnant à cœur joie. Le spectateur lambda est tombé dans le panneau. On a fait croire les pires horreurs. Petit florilège :
TF1 : « Ceausescu, atteint de leucémie, aurait eu besoin de changer son sang tous les mois. Des jeunes gens vidés de leur sang auraient été découverts dans la forêt des Carpates. Ceausescu vampire ? Comment y croire ? La rumeur avait annoncé des charniers. On les a trouvés à Timisoara. Et ce ne sont pas les derniers «

Le magazine L’Événement du jeudi du 28 décembre 1989 titre même : « Dracula était communiste ».
Gérard Carreyrou (TF1) lance un appel à la formation de brigades internationales prêtes à « Mourir à Bucarest ».
Le quotidien Libération avec Serge July titre « Boucherie ». On y lit : « Timisoara libérée découvre un charnier. Des milliers de corps nus tout juste exhumés, terreux et mutilés, prix insupportable de son insurrection ».
Le Monde félicite La Cinq d’avoir « révélé l’horrible charnier des victimes des manifestations du dimanche précédent ».
Ces mêmes allégations et graves approximations sont également reprises la presse internationale :
Le renommé journal espagnol El País avance qu’« à Timisoara, l’armée a découvert des chambres de torture où, systématiquement, on défigurait à l’acide les visages des dissidents et des leaders ouvriers pour éviter que leurs cadavres ne soient identifiés ».
The New York Times, tout en soulignant que ces chiffres n’ont pas été confirmés par des sources indépendantes, avance que 4 500 personnes auraient été massacrées en trois jours.
Le 27 janvier 1990, Colette Braeckman publie « Je n’ai rien vu à Timisoara » dans les colonnes du Soir, où elle remet en question les images montrées sur les télévisions du monde entier.
C’est le journal Le Figaro qui, dans son édition du 30 janvier, annonce qu’il s’agissait d’un faux, que les morts montrés à la télévision avaient été déterrés du « cimetière des indigents » de la ville. En 2019, on ne sait pas précisément qui est à l’initiative de la tromperie, les journalistes manipulés accusant « ceux qui voulaient renverser le pouvoir ».
Freddy Guidé