La résistance s’organise et l’usine est occupée.
Le déclin voulu et programmé de l’industrie ferroviaire du Centre aboutit en mars 1967 à l’annonce de la cessation d’activité, par demande d’un concordat judiciaire. L’Anglo – Germain occupait encore 450 ouvriers et employés. La brutale remise des préavis de licenciements était initialement prévue pour le 30 mars

| Manifestation des ACEC en soutien aux travailleurs de l’Anglo-Germain |
Les réactions seront nombreuses : plusieurs manifestations seront organisées dans les rues de La Louvière, contre la menace de fermeture. Pour le retrait de tout préavis, il y aura une première occupation de l’usine pendant 24 h par la délégation syndicale. Une grande manifestation régionale à La Louvière rassemblera plus de plus de 20 000 personnes le 8 mai 1967.
Cette fois, c’est l’occupation de l’usine
Le 16 mai 1967 à 7 heures du matin, les travailleurs décident en assemblée générale d’occuper l’usine, avec comme objectif n°1 le maintien de l’activité. Immédiatement le Gouverneur de la province en fut averti, pour l’assurer du calme et de la discipline des travailleurs et lui demander d’éviter toute présence et intervention des forces de l’ordre. De son côté, la direction de la centrale des métallurgistes avertie réagit par cette phrase : « Vous êtes tombé sur la tête, Couteau ». L’occupation, manifestement, n’était pas souhaitée par les directions de la centrale syndicale. Lors d’une assemblée des forces vives de la région du Centre, le discours dominant était : « Ce sont des épaves industrielles, il n’y a rien à faire. »
Voici la réponse qui leur fut adressée : « Avec une volonté politique, on peut les renflouer. Vous êtes responsables de ces « épaves » (entretien avec Marcel Couteau).
Le point n°1 de l’occupation fut un plan de relance de l’activité de l’usine, avec mise sous séquestre si nécessaire. IL fut aussi demandé l’assurance du maintien de tout emploi et d’autres revendications sur le reclassement de tous les travailleurs dans la région. Des travailleurs allèrent à Bruxelles, rencontrer le gouvernement, (ministre Servais) qui escamotait le point 1 et le 1er ministre Van den Boeynants. Durant l’occupation, ce dernier fut invité par les travailleurs et leur délégué principal Marcel Couteau à venir se rendre compte sur place de la situation. Le premier ministre se rendra à l’usine.
Le point principal de l’occupation était bien sûr , comme dans tout combat contre les fermetures – l’espoir du maintien de l’activité avec des accords écrits et signés. C’est ainsi qu’à 2 reprises les travailleurs, par vote secret, refuseront les promesses du gouvernement. Le jeudi 18 mai, dans la nuit, malgré le report des préavis et la promesse de commandes de wagons supplémentaires la proposition fut refusée par 165 voix contre 66 car les travailleurs se méfient des promesses. Le vendredi 26, ce vote sera confirmé par 154 voix contre 116. Les travailleurs voulaient des engagements écrits.
Un formidable mouvement de solidarité
Pour soutenir ce combat, un formidable mouvement de solidarité se développa dans toute la région et dans toute la Wallonie. Dès le 17 mai, les délégations massives se pressent devant les grilles de l’usine occupée : 500 travailleurs des ateliers du Thiriau en bleu de travail, 500 des laminoirs de Longtain, tous chantant l’Internationale, de multiples délégations de chez Boël. Ils sortent, parfois la nuit, en casque blanc à plusieurs centaines pour aller à l’Anglo. Tout le personnel communal de La Louvière, des délégations des ACEC de Charleroi manifesteront en masse quelques jours plus tard à Charleroi en compagnie de délégations de métallos du Borinage et de Liège, des travailleurs des faïenceries Boch, des enseignants CGSP du Centre, de Bruxelles. Des arrêts de travail auront lieu, organisés par des traminots. Le 19 mai, 4000 travailleurs de Cockerill – Ougrée arrêtent le travail et manifestent dans les rues de Seraing. Le dimanche suivant, une délégation de mineurs limbourgeois de Zwartberg arrive à La Croyère pour expliquer que malgré les accords signés sur leur reclassement après la fermeture, de leur entreprise, 1200 d’entre eux étaient toujours sans emploi.


Durant la 2ème semaine, dès le lundi 22 mai, le mouvement s’élargit, c’est d’abord une grève générale de 24 h des métallos du Centre, avec une manifestation devant l’Anglo-Germain :15 à 20 000 travailleurs défilent devant l’usine occupée. « On ne crie pas, mais un chant s’élève inlassablement, l’Internationale. Des drapeaux noirs comme celui fiché sur l’usine sont portés par les travailleurs mais aussi d’innombrables drapeaux jaunes avec un coq rouge comme en 60-61. Pendant plus de 45 minutes, le flot des manifestants défile. Les trains Bruxelles – La Louvière sont bloqués pendant plus d’une 1/2 heure. Des pancartes réclament : « halte aux faux reclassements, mise sous séquestre » L’après-midi, ce sont les mères, épouses et fiancées des occupants qui parcourent les rues de La Louvière portant des drapeaux noirs et des calicots réclamant du travail pour leur mari et le sauvetage de la Wallonie. Le mercredi 24, c’est toute la métallurgie du Hainaut, suivie par celle de Liège et de Namur, qui arrête le travail pendant une heure. Une entreprise liégeoise Bailly Mathot, menacée de fermeture elle aussi, démarre une occupation. Les jours suivants, les entreprises métallurgiques tiennent assemblée. Dans certaines, on vote des résolutions appelant à la vigilance : « Si les promesses de reclassement ne sont pas tenues, il faudrait généraliser les occupations d’usine. » La situation devenait explosive en cette fin mai 1967.
Pourquoi la création d’un comité de défense ?
L’occupation était gérée par un Comité de défense. La colonne vertébrale en était bien sûr la délégation syndicale FGTB et son délégué principal Marcel Couteau. Suivant ses conceptions personnelles, Marcel a voulu promouvoir la démocratie syndicale en s’opposant à ce qu’il appelait : « la magouille permanente » pour désigner le président de la délégation. C’est ainsi qu’il a voulu en 1967 élargir le poll des élections sociales pour désigner les candidats, réservé en principe aux seuls syndiqués FGTB. Il a voulu que chacun(e) membre du personnel soit interpellé, quelle que soit son étiquette. De même, il s’est opposé à la guerre permanente entre FGTB et CSC, activée par la direction droitière et sectaire de la Centrale des Métallurgistes et en outre, il promouvait le Front Commun.
Lors des élections sociales, la CSC avait perdu son siège ouvrier, la FGTB récoltant l’ensemble des sièges. « Pour maintenir l’unité de tous les travailleurs et associer la CSC au combat, nous avons créé ce comité de défense », nous rappelle Marcel Couteau. D’autre part, dans ce Comité de défense, participaient aussi des cadres qui soutenaient le mouvement. C’est aussi dans cet esprit d’ouverture que le Comité de défense organisa le dimanche matin une messe dans l’usine dite par l’abbé Monnom, aumônier de l’action sociale.
A suivre
Sandro Baguet.